Avancée ou stagnation dans la lutte contre les agressions sexuelles sur mineur(e)s ?

Beaucoup de polémiques à propos d’une loi saluée pour certaines de ses avancées et vilipendée pour ses manques. Qu’en est-il ?

Deux affaires récentes ont particulièrement ému l’opinion publique, poussant le législateur au vote de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Le 7 novembre 2017, un homme accusé du viol d’une fillette de 11 ans était acquitté par la Cour d'assises de Meaux, la preuve n’ayant pas été rapportée que l’enfant avait été contraint ( !). Le 13 février 2018, le tribunal de Pontoise demandait une instruction complémentaire au parquet, celui-ci n’ayant retenu que la qualification d’atteintes sexuelles contre un homme ayant eu des rapports avec une enfant là aussi de 11 ans. Comment comprendre ces décisions au premier abord aberrantes ?

 

Que dit la loi ?

Selon l’article 222-22 du code pénal, « constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise, autre que le viol. ». Toutes les atteintes sexuelles (baiser, caresses, attouchements) « sont punies de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende » (article 222-27). Pour qu’une agression sexuelle soit considérée comme un viol, il faut une pénétration imposée sur la personne d’autrui ne maîtrisant pas son corps : « par violence, contrainte, menace ou surprise » (article 222-23). La loi fut longtemps la même, que la victime soit majeure ou mineure. En 1992, conscient de la nature fragile et vulnérable de l’enfant, le législateur décide de renforcer sa protection en fixant une limite d’âge à la liberté sexuelle. L’article 227-25 affirme : « le fait, par un majeur, d'exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de 15 ans est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ». C’est le fondement de ce qu’on désigne comme la « majorité sexuelle ». Il n’y a pas là, à proprement parler, une autorisation, mais un âge -quinze ans- en dessous duquel il y a interdiction de tous rapports sexuels entre un majeur et mineur (mais pas entre deux mineurs) et pénalisation de l’acte s’il se produit. La loi distingue donc entre d’un côté le crime de viol jugé par la Cour d’assise (qui peut condamner de 15 ans à 20 ans de réclusion)  et de l’autre les délits respectivement d’agression sexuelle et d’atteinte sexuelle sur mineur de moins de quinze ans, l’un et l’autre étant jugés par le tribunal correctionnel (qui peut condamner jusqu’à 5 ans d’emprisonnement). Si un agresseur ne peut être convaincu de viol sur un mineur de moins de quinze ans, parce qu’on ne peut prouver qu’il a agi par violence, contrainte, menace ou surprise, il ne peut qu’être renvoyé vers un tribunal correctionnel, puisqu’il tombe sous le coup de l’interdiction de toute relation sexuelle en dessous de cet âge. Cette correctionnalisation des crimes ne relève pas forcément d’une minimisation de la gravité des faits. Procédure plus simple, plus rapide, au résultat moins incertain explique Michel Huyette (1), elle est parfois conseillée par les avocats de la victime argumentant sur les risques d’un délai bien plus long du procès d’assises et d’une condamnation plus aléatoire, puisqu’il est tenu par la recherche d’éléments de preuve. Dans les situations de Meaux et de Pontoise, qui ont tant scandalisé l’opinion publique, c’est bien de cette répartition dont il a été question. Les débats qui s’en sont suivis se sont enflammés, plaçant les travaux préparatoires de la loi du 3 août sous les feux de la critique de nombre d’associations de défense de l’enfance. Que peut-on dire des apports et des manques de cette loi ?

 

Avancées et limites

On peut saluer l’extension du périmètre du viol : l’acte de pénétration jusque-là limité au corps de la victime est étendue à celui de l’agresseur s’il se fait pénétrer.

On peut saluer les précisions apportées quant à la notion de « contraintes morales » qui « peuvent résulter de la différence d'âge existant entre la victime et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime, cette autorité de fait pouvant être caractérisée par une différence d'âge significative entre la victime mineure et l'auteur majeur » (article 222-22-2). Quant au substantif « surprise » qui s’appliquait le plus souvent aux cas d’une victime souffrant de maladie mentale, ivre, endormie ou sous l’effet d’une drogue, elle est là aussi précisée : « lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l'abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes. »

On peut saluer l’allongement de la liste des circonstances aggravantes. A l’ascendance ou l’autorité de l’auteur et à la vulnérabilité de la victime se rajoutent : la précarité sociale ou économique de celle-ci, l’administration d’une drogue ou la présence d’un mineur témoin des faits.
On peut saluer l’aggravation des peines, en cas d’atteinte sexuelle par un majeur sur un mineur de moins de 15 ans, le quantum passant de 5 à 7 ans de prison et de 75.000 à 100.000 euros d’amende.

On peut saluer l’obligation pour les Assises d’invoquer systématiquement l’infraction d’atteinte sexuelle sur mineur, si l’accusé majeur conteste le viol. Garantie que ne se reproduise pas l’omission du tribunal de Meaux acquittant l’agresseur de l’accusation de viol sans le renvoyer en correctionnelle pour des relations sexuelles interdites par la loi.

On peut saluer l’extension de la notion d’inceste aux relations sexuelles entre majeurs, seules étant concernées jusque là les relations entre parents mineur et majeur.

Si le report du délai de prescription, à compter de la majorité de la victime de 20 à 30 ans, a été applaudi, on peut s’interroger sur le leurre potentiel que constitue cette mesure. Comment, en effet, réussir à confondre l’agresseur, commente Michel Huyette (1), les éléments de preuves recherchés par les enquêteurs venant à manquer si longtemps après (constats médicaux, indices permettant d’identifier les lieux du crime, confidences faites aux proches, état de la victime après les faits) ? Les associations de protection de l’enfance réclamaient la création d’une « présomption irréfragable » d’absence de consentement. Toute relation sexuelle avec un enfant en dessous d’un âge à définir aurait pu alors relever du viol. Toute preuve contraire étant irrecevable, il n’aurait alors pas été nécessaire de vérifier le consentement du mineur, comme on le fait pour les majeurs. Des juristes avaient dénoncé le risque d’atteinte aux droits fondamentaux de la présomption d’innocence, attentatoire aux principes démocratiques de toute justice, si le mis en cause était considéré comme coupable, avant même que le tribunal puisse en décider. Pour contourner cet obstacle, le projet de loi comportait dans son article 2 un nouveau délit d'« atteinte sexuelle d’un majeur sur mineur par pénétration » puni de 10 ans de prison. Le risque de voir les viols jugés à l’aune de ce seul article et plus du tout comme un crime passible de 15 à 20 ans de réclusion criminelle, provoqua une levée massive de boucliers. Cet article fut finalement supprimé du texte, sans que ne soit créé le crime spécifique de « viol sur mineur » pourtant réclamé. Sans doute faudra-t-il attendre, encore, pour qu’il le soit.


(1) http://www.huyette.net/


Le chiffre : 8.788 plaintes ou signalements enregistrés en 2017 pour fait de viol sur mineur(e)s.

 

 Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1238 ■ 01/11/2018