Où en sont les séjours de rupture?

O.S.E.R. (Organisateurs de Séjours Éducatifs dits de Rupture) tenait le 26 avril sa première journée d’étude à Paris. Compte-rendu.

Depuis cette année 1954 où le père Jaouen commença à s’embarquer avec des naufragés de la vie, à bord de deux voiliers, combien d’équipes éducatives se sont lancées dans des projets sortant des sentiers battus : nomadisme, marche dans le désert, voyage en mer, démarche humanitaire ? On connaît l’ambition de ces opérations : prendre le relais des accompagnements éducatifs classiques au potentiel créatif souvent limité et répondre tant à l’épuisement des professionnels qu’à la désespérance de certains jeunes. Le vocable de « rupture » accolé à ce déclic attendu provoque toujours le même débat. Il y a ceux qui s’y retrouvent : « le rupteur est ce dispositif qui sert à interrompre un courant primaire pour provoquer une étincelle » explique Thierry Tichit, Président d’O.S.E.R. et Directeur du Dispositif d’Accueil Diversifié. Mais, « il y a aussi les carrément contre », poursuit-il, qui ne veulent pas « rompre sous l’effet d’un choc ou interrompre brutalement une évolution ». Ils préfèrent parler de distanciation, de reconstruction, de séparation-individuation, de suture … Et puis, « il y a les raisonnablement pour », conclue-t-il, « parce qu’étant identifiés par cette appellation, en changer reviendrait à troubler le message ». Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Car, c’est bien une forme d’exaltation qui est recherchée, à travers le dépassement de soi, le défi lancé et l’exploit projeté.

Se surpasser

Ce jeune, qu’on croyait victime d’un mauvais destin va démontrer qu’il est capable de rompre avec ses anciennes habitudes et s’affirmer acteur potentiel de son avenir. L’un des ressorts de cette transformation, c’est l’itinérance : « c’est quand tout bouge tout le temps, autour de lui, que l’adolescent peut le mieux trouver ses marques » explique Mickaël Cudennec, chef de service à Ribinad (voir interview) qui rajoute : « l’impernanence des lieux est compensée par la permanence des liens ». Car, l’autre levier est bien cette « présence en continue, réactive et bienveillante de l’adulte » déclinée par Martine Le Moal, Directrice d’Extraballe (voir interview) : permanence dans la posture des encadrants gardant la même constance, permanence de la parole qui tente inlassablement de substituer le dialogue aux passages à l’acte, permanence du temps qui remplace le « tout, tout de suite sinon jamais » par la temporisation et la gestion des frustrations. Pourtant, si la pertinence et l’utilité de ces séjours ne sont plus guère à justifier, leur pérennisation est bien loin d’être garantie. Olivier Archambault, Directeur de Media Jeunesse, s’étonne du décalage entre les trente six Conseils généraux ayant sollicité son association et la poignée de départements qui acceptent d’accorder leur habilitation aux séjours de rupture (Yvelines, Essonne, Finistère, Côtes d’Armor, Charente Maritime et Morbihan).

Peu d’empressement

Toutes les associations sont unanimes à estimer recevoir entre deux ou trois plus de demandes qu’elles n’ont de places à offrir. Les services de l’aide sociale à l’enfance qui sont les plus empressés à utiliser ces dispositifs, sont les mêmes qui refusent de leur donner l’autorisation d’exercer. Ce paradoxe peut s’expliquer par bien des freins, continue Olivier Archambault : « la responsabilité qu’implique l’envoi de mineurs sur un continent africain marqué par l’instabilité politique, les contrôles plus difficiles à mettre en oeuvre à l’étranger, l’abandon par la PJJ de l’utilisation des séjours de rupture, un contexte budgétaire qui incite au maintien de l’existant au détriment de l’innovation ». Et puis, il y a cette loi Hôpital, patients, santé, territoires, votée en 2009, qui confine l’expérimentation aux appels d’offre lancés par les financeurs. La créativité n’étant pas vraiment ce qui caractérise le plus nos institutions, pas plus d’ailleurs qu’une imagination qui est bien loin d’être leur point fort, le risque est grand d’un épuisement de l’originalité et de l’inventivité qui a pourtant fait feu de tout bois depuis vingt ans. Certains départements ont, pourtant, eu le courage de persévérer. Patricia Adam, députée du Finistère et conseillère générale rappellera le constant soutien de sa collectivité aux séjours de rupture, même après le terrible drame subi par Cyril, cet adolescent quinze ans confié par ses services à l’association Vagabondage, qui décéda en 2003, suite aux mauvais traitements subis en Zambie.

L’espoir

Deux moments de fraîcheur marqueront la journée. Le témoignage d’Ophélie, tout d’abord, se présentant comme une fugueuse particulièrement fermée à toute envie d’avenir, jusqu’au séjour de trois mois au Sénégal proposé par Média jeunesse. Le regard positif et plein de confiance que posèrent sur elle les adultes qu’elle y rencontra fut déclencheur d’une renaissance improbable : s’engager dans des études d’assistante sociale qui la mèneront au diplôme, en juin 2012. La famille d’accueil Briend-Fumoux, ensuite, proposant d’emmener avec elle un jeune de l’ASE, sur des séjours de trois à six mois, en camping-4X4 Land Rover défendeur, sur les routes des Carpates ou les pistes du Maroc, au Sénégal ou en Guinée. Comme quoi la créativité des séjours de rupture ne saurait avoir de bornes, pourvu qu’on laisse l’imagination au pouvoir.


Contact : Les 17 associations membres d’OSER peuvent être retrouvées sur le site de l’association : www.oser.me .
La famille d’accueil-séjour de rupture peut être contactée au 06 23 25 75 91
 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1079 ■ 18/10/2012