Paroles d’enfant 2016 - Savoirs

Savoir écouter, pouvoir se faire entendre

Les professionnels qui accompagnent les enfants victimes font tout leur possible pour être à leur écoute. Pourtant, ils n'arrivent pas toujours à le faire.

Et si nous passions plus souvent que nous ne l'imaginons à côté de la souffrance des enfants ? C'est à cette question que le rendez-vous annuel de Parole d'enfants a cherché à répondre (1). Si nous ne la voyons pas, est-ce parce qu'elle est invisible ou que nous ne savons pas la regarder ? Si nous ne l'entendons pas, est-ce parce qu'elle est indicible ou que nous ne savons pas l'écouter ? Si nous ne l'identifions pas, est-ce parce qu'elle est trop énigmatique ou que nous ne savons pas la déchiffrer ? La difficulté se situe autant chez l'enfant qui ne sait pas toujours comment exprimer ses difficultés, que chez des professionnels n'arrivant pas forcément à décrypter son mal-être.

 

Savoir exposer, savoir voir

L'enfant est le premier témoin de la maladie psychique de son parent, explique Cathy Caulier, Psychologue systémicienne et thérapeute familiale. Il grandit en silence à ses côtés, ressentant de la peur et de la honte, se montrant parfois sage et invisible pour ne pas en rajouter à la souffrance qu'il constate au quotidien. Ce dont cet enfant a besoin, ce n'est pas tant d'un éclairage et d'un diagnostic sur la pathologie dont est atteint son parent, que de partager sur ce qu'il vit avec lui. Et c'est justement ce qui manque le plus. Les adultes le côtoyant, professionnels ou membres de son entourage, sont parfois trop pris dans leur propre appréhension et leur propre fragilité face à l'indicible et à l'angoisse contaminante de la maladie psychique, pour se montrer suffisamment attentifs, disponibles et à l'écoute. La pratique du collage de papier que propose Cathy Caulier leur permet d'exprimer toute la détresse qui les envahit, trouvant enfin un support pour l'exprimer, l'extérioriser et la canaliser. Pour Claude Séron, éducateur spécialisé, psychopédagogue familial et fondateur de Parole d'enfants, il en va de même avec cette courante cécité des adultes face aux agressions subies par l'enfant. Du côté des parents, un fréquent passé de victime parfois provoque une connexion avec un traumatisme ancien réactivé par celui dont ils sont témoins dans le présent : 60% des enfants violentés ont une mère qui l'a été, dans sa propre enfance. Avec pour conséquence, la réactivation de tous les mécanismes de déni et d'oblitération face à une souffrance en train de se réveiller.  Du côté des professionnels, la peur, la rage et la colère sont autant de vibrations émotionnelles qui favorisent la relation autant qu'elles peuvent l’entraver. Se sentir touché et affecté permet certes de tisser une alliance thérapeutique. Mais, se rapprocher du noyau de souffrance de l'enfant et se confronter aux lésions et cicatrices encore douloureuses peut aussi constituer une source d'angoisse dont on va chercher à se protéger. Écouter ses propres états émotionnels et savoir les gérer afin de se rendre disponible apparaît dès lors incontournable, quand on sait que 66 % des enfants ne parlent pas s'ils ne sentent pas les adultes prêts à recevoir leurs révélations.

 

Savoir dire, savoir entendre

Ce que confirme Boris Cyrulnik, quand il explique que parler ne suffit pas. S'ils ont pour fonction première d'exprimer ce que l'on veut dire, il est de mots qui permettent aussi parfois de cacher des informations. Tout comme il est des récits qui ne peuvent être entendus, si l'on n'est pas prêt à les écouter. On ne peut vraiment se faire entendre qu'en face d'un autre en capacité de recevoir sa parole et de la comprendre. Et le célèbre psychiatre de l'affirmer : ce qui compte avant tout, ce n'est pas tant ce qui est exprimé, que la façon dont cela est exprimé. L'alentour du langage peut tout autant devenir un facilitateur, qu'un frein dans l'accueil du message adressé. L'énonciation joue un rôle central, pour rendre l'énoncé compréhensible. Dès lors que l’on réussit à aménager un cadre sécurisant et bienveillant, on permet à l’enfant en souffrance de révéler ce qu'il a vécu. Mis en confiance par un interlocuteur attentif, il va pouvoir se confier, remanier son passé et reprendre son développement. On est alors dans un processus de résilience. Mais, laissé seul face au blessures subies ou en présence d'un tiers non disponible pour écouter, la mémoire se referme, s’isole et reste prisonnière du trauma.

L’expérience de Xavier Pommereau, psychiatre au centre Abadie de Bordeaux, le confirme. Une adolescente sur trois et un adolescent sur cinq hospitalisés dans son établissement, après une tentative de suicide, a subi une agression sexuelle. Pourtant, rien ne se dit d'emblée. C'est fréquemment après trois ou quatre jours de séjour, quand la confiance a pu se tisser, et à la tombée de la nuit, quand les angoisses menacent de revenir, que la révélation survient. Dire ce que l'on a subi vient alors se substituer aux pires épreuves que l’on s’est infligées (scarification, auto agression mortifère, mise en danger lors de fugues) et qui avaient pour fonction pratique et symbolique de reproduire le traumatisme vécu. Parler des attouchements subis, plutôt que de faire saigner la peau qui en été le receptacle. Mettre des mots sur le sentiment de souillure, plutôt que de brûler les ventres et cuisses si proches du lieu de l'intrusion. Expliquer l'image dégradée de soi infligée par l'agresseur, plutôt que de s'enfermer dans la peur de grandir et d'accéder à la maturité sexuelle. Tels sont les enjeux d'une écoute bienveillante qui nécessite de laisser le temps à l'adolescente(e) de s'exprimer,  après avoir vérifié et testé le cadre de sécurité qui lui est garanti.

 

Savoir symboliser, savoir interpréter

Pat Ogden, initiatrice de la psychothérapie sensorimotrice, le sait comme tous les professionnels soucieux d'accompagner les victimes de mauvais traitements : le travail avec les enfants se heurte souvent aux limites de la parole. Surtout quand il s'agit pour eux d'évoquer un traumatisme subi. Parce que l'aire verbale de leur cerveau n'est pas suffisamment développée ou se trouve inhibée par ce qu'ils ont vécu. Parce que la culpabilité, la peur et le doute bloquent leur expression. Parce qu'ils ne trouvent pas les mots face aux souvenirs dissociés et aux émotions qui les submergent. C'est alors leur corps qui peut prendre le relais. Les postures, la gestuelle, les attitudes corporelles sont autant d'éléments de langage qui permettent à l'enfant de transmettre son vécu et d'être guidé dans l'élaboration et la libération du trauma. Ce que la technique mise au point par Pat Ogden se propose de faire. Si la souffrance muette liée à la maltraitance subie est au coeur de la cécité qui empêche de la comprendre, il est un autre silence qui frappe de plein fouet toute une partie de la population. C'est Pascale Jamoulle, assistante sociale et docteur en anthropologie, qui en fait la démonstration. L'injonction à l'assimilation qui est faite aux familles d'immigrés précarise les transmissions intergénérationnelles. Ce qui fait traditionnellement sens dans l'histoire familiale à travers les récits des bonheurs et des malheurs des générations précédentes est oblitéré, nié ou tout simplement tu. Comment s'intégrer en ignorant tout de ses origines, de son histoire et de sa filiation ? Même si bien des facteurs peuvent expliquer la radicalisation intégriste, c'est aussi ce grand vide face au capital biographique qui peut expliquer la tentation de certains jeunes issus de l'immigration de se tourner vers ceux qui leur promettent un retour mythique aux sources. Si l'intégration passe par la mobilisation contre les dynamiques discriminatoires qui amplifient la distorsion entre les discours républicain d'égalité et le vécu discriminatoire. Historiciser les descendants de migrants en soutenant la narrativité familiale, en favorisant la transmission par les récits de vie est une piste fertile pour permettre de combler ce silence assourdissant. Au terme de ces deux journées, une constante émerge : pour précieuse qu’elle soit, la parole n’est jamais aussi bien écoutée que lorsqu’on veut bien l’entendre.

 

(1) « Les rendez-vous manqués avec les souffrances muettes des enfants » Parole d'enfants, Paris, 14 & 15 novembre 2016

 

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1203 ■ 16/03/2017