ANAS - 2008 - Synthèses des journées

Droit des parents et des enfants et secret professionnel

Le rôle des parents est essentiel à l’évolution de l’enfant. Ils le guident et lui servent de référence affective et éducative pour grandir et trouver sa place dans la société.
Lorsque des difficultés surviennent, c’est d’abord avec leur aide que les services socio-éducatifs peuvent le mieux travailler.
L’époque qui rêvait d’arracher l’enfant à une mauvaise terre pour le rempoter dans un terreau fertile est révolue.
Pour autant, l’importance de la fonction parentale a fait l’objet au cours des années d’une utopie toute aussi destructrice : croire que la place des parents devait être préservée dans tous les cas et quelles que soient les conséquences. On n’a pas hésité à colporter des idées reçues telles que « en dehors de la famille il n’y a pas de salut » ou « que le meilleur des placements ne vaut pas plus que la pire des familles » et autres « une mauvaise famille vaut mieux que pas de famille du tout ».
On n’a cessé d’assister, depuis deux milles ans, à un rythme tout d’abord lent puis bien plus fulgurant, mais en tout cas inexorable rééquilibrage du droit respectif des parents et de l’enfant.
 

1- Le recul de l’arbitraire parental

A l’époque romaine le droit familial avait pour seule source la volonté du paterfamilias. Le père avait alors un droit de vie et de mort sur ses enfants et petits-enfants de sa lignée, jusqu'à sa mort.
 
Ce n’est qu’à partir de la fin du IVème siècle, que l'Église catholique réussit à abolir ce pouvoir exorbitant et disproportionné, en le faisant remplacer par la possibilité de faire enfermer sa progéniture, selon son bon plaisir.
 
Sous la monarchie, le père possède le droit de correction et d'embastillement lorsque l'enfant s'oppose à son autorité. Pourtant, cette libéralité jusque là arbitraire et sans limite sera limité par le décret royal du 9 mars 1673 qui rendra toutefois obligatoire l’obtention préalable d’une lettre de cachet du roi.
 
La Révolution limite à son tour la puissance paternelle, n fixant l'accès à la majorité dès l'âge de 21 ans et en interdisant la possibilité de déshériter. Le  père garde néanmoins le droit de correction paternelle qui lui permet de faire incarcérer son enfant sur simple demande auprès du procureur, sans qu’il en ait besoin d’en présenter la moindre justification.
 
La troisième République ne tarde pas à limiter le pouvoir des pères. En 1874, une loi punit l'incitation à la mendicité exercée par les parents. En 1884, deux textes législatifs  stipulent qu'un père peut être rendu responsable de la mort de son enfant et que l'autorité publique peut se substituer au père en organisant un placement en nourrice s'il exerce un pouvoir abusif. La loi de 1889 instituera la déchéance paternelle en cas d'incitation à la débauche, au crime et au vagabondage. En 1898 une loi prévoira la déchéance paternelle en cas de mauvais traitements avec placement à l'Assistance publique.
 
En 1935, la correction paternelle sera, le tribunal pour enfants se voyant confier la responsabilité des mesures éducatives à prendre. Il pourra placer l’enfant en maison de correction.
 
En 1958, une Ordonnance modifie le Code Civil, précisant clairement les conditions du contrôle judiciaire de l'autorité des parents : « si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice » (article 375).
 
La loi du 8 janvier 1993 permet de suppléer l’autorité parentale, quand celle-ci entre en contradiction avec l’intérêt de l’enfant. Le mineur est alors représenté par un administrateur ad’hoc dans les procédures judiciaires l’opposant à ses représentants légaux (article 388-2 du Code civil). 
 
Dans la loi hospitalière du 4 mars 2002, il est précisé que le médecin peut se dispenser d'obtenir le consentement du ou des titulaires de l'autorité parentale sur les décisions médicales à prendre lorsque le traitement ou l'intervention s'impose pour sauvegarder la santé d'une personne mineure, dans le cas où cette dernière s'oppose expressément à la consultation du ou des titulaires de l'autorité parentale afin de garder le secret sur son état de santé (Article L. 1111-5 du Code de la santé publique).
 
La même année, les attributions légales des parents sont modifiées. Dans sa formulation initiale, le code civil précisait que « l’autorité parentale appartient aux pères et mères pour protéger l’enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité. Ils ont à son égard droit et devoir de garde, de surveillance et d’éducation » (article 371-2). Le législateur a notablement modifié la formulation de la mission confiée aux parents : « L'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.  Les parents associent l'enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. » (Art. 371-1) On notera les éléments fondamentaux et nouveaux : « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant », les parents étant invités concernant leur enfant à « permettre son développement, dans le respect dû à sa personne »  mais aussi à l’associer « aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. »
 
La loi de 2007 portant réforme de la protection de l’enfance, vient à nouveau de renforcer les droits de l’enfant, en limitant le droit des parents.
« L’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs, ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant. » proclame le nouvel article 112-4 du Code de l’action sociale et des familles, plaçant ainsi l’enfant au-dessus de ses parents.
L’article 375 du Code civil a, de son côté, été complété : à la menace pesant sur la santé, la sécurité, la moralité et les conditions d’éducation d'un mineur a été rajouté la nécessité de veiller à son « développement physique, affectif, intellectuel et social. »
Pour mener à bien leur mission, les services éducatifs doivent s’associer aux familles dans le respect de la protection de l’enfant. La décision judiciaire d’assistance éducative préserve l’autorité parentale sauf pour toute décision des parents qui mettrait l’enfant en danger. La nouvelle loi va plus loin permettant que le juge des enfants puisse « exceptionnellement, dans tous les cas où l’intérêt de l’enfant le justifie, autoriser la personne, le service ou l’établissement à qui est confié l’enfant à exercer un acte relevant de l’autorité parentale en cas de refus abusif ou injustifié ou en cas de négligence des détenteurs de l’autorité parentale, à charge pour le demandeur de rapporter la preuve de la nécessité de cette mesure » (article 375-7 du code civil).
 
Le travail de (re)tissage des liens entre l’enfant et ses parents est dans l’immense majorité des cas une condition d’équilibre et d’épanouissement. Pourtant, il arrive, comme l’a bien démontré Maurice Berger, que cette relation soit nocive pour l’enfant. La correspondance, les visites ou l’hébergement peuvent être l’occasion d’attitudes destructrices des parents qui ruinent les effets bénéfiques de la séparation. Dans cette hypothèse, le magistrat « peut, si l'intérêt de l'enfant l'exige, décider que l'exercice de ces droits, ou de l'un d'eux, est provisoirement suspendu. Il peut également décider que le droit de visite du ou des parents ne peut être exercé qu'en présence d'un tiers désigné par l'établissement ou le service à qui l'enfant est confié. » (article 375-7 code civil).
 
Une loi de 1986 fixe à deux ans la durée maximale d’une mesure judiciaire. Cette révision régulière permet de redonner du sens à la séparation. Pourtant, il arrive que dans certaines situations extrêmes marquées par une déficience récurrente des parents, l’enfant vive avec inquiétude et angoisse cette échéance qu’il perçoit comme la menace de remise en cause du quotidien stable et sécurisé que lui garantit son placement. Le législateur a entendu cette situation, donnant la possibilité au juge des enfants de pérenniser dans le temps le lieu d’accueil de l’enfant : « lorsque les parents présentent des difficultés relationnelles et éducatives graves, sévères et chroniques, évaluées comme telles dans l'état actuel des connaissances, affectant durablement leurs compétences dans l'exercice de leur responsabilité parentale, une mesure d'accueil exercée par un service ou une institution peut être ordonnée pour une durée supérieure, afin de permettre à l'enfant de bénéficier d'une continuité relationnelle, affective et géographique dans son lieu de vie dès lors qu'il est adapté à ses besoins immédiats et à venir. » (nouvel alinéa à l’article 375 du code civil).
 
« Last but not least » et cerise du le gâteau, un droit nouveau est accordé au mineur : celui de se faire entendre par le juge. Jusque là, le magistrat pouvait écarter la demande d’audition du mineur « par une décision spécialement motivée ». Dorénavant, « cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande. » (article 388-1 du code civil). Il était étonnant que l’enfant soit systématiquement entendu en matière pénale, mais qu’au civil cette possibilité dépende du bon vouloir du juge. Cette incohérence vient de disparaître. Au final, la nouvelle loi sur la protection de l’enfance s’inscrit comme une nouvelle étape dans le rééquilibrage de la place de l’enfant. Il reste mineur et placé sous la responsabilité de ses parents. Mais lorsque ses intérêts entrent en contradiction avec l’intérêt de ces derniers, ses droits sont désormais mieux reconnus et mieux défendus.
 
Si les parents sont effectivement les premiers éducateurs de l’enfant, il peut arriver qu’ils soient en difficulté, qu’ils présentent des comportements pathologiques, voir qu’ils apparaissent comme souffrant d’incompétence sévère chronique. La réponse à apporter à leur égard ne peut relever d’une dimension binaire : il seraient bons ou mauvais, mais doit s’adapter à leurs compétences, pour peu que l’on prenne à la fois les moyens d’aller les identifier que d’en repérer les carences.
Du côté de l’enfant, on parle aisément de son intérêt. Depuis son évocation pour la première fois dans une loi de 1924, jusqu’à l’utilisation par la CIDE du qualificatif de supérieur dans l’expression intérêt supérieur de l’enfant, cette notion est devenue un mot valise, concept polysémique où chacun peut mettre ce qu’il a envie d’y mettre !
 
Peut-être, la définition de ce que serait son intérêt, nécessite un croisement des différents professionnels qui cherchent à y répondre. Cela nécessite sans doute un minimum de partage de l’information qui se heurte au secret professionnel.
 
 

2- Du secret professionnel au partage de l’information

Quelles sont les tenants et aboutissants de ce secret professionnel ?
 
Le secret professionnel protège d’abord l’intérêt privé : toute personne a droit à l’intimité, à un espace de vie protégé du regard extérieur. D’où l’obligation de celles et de ceux qui pénètrent dans l’espace privée de ne pas révéler ce dont ils ont eu connaissance. Cette contrainte se retrouve tant dans le droit internationale que dans le droit national.
La déclaration universelle des droits de l’homme proclamée par l’ONU en 1948 précise dans son article 12 : « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »
Le droit français confirme cette tendance : si l'article 9 du Code civil affirme ainsi que « chacun a droit au respect de sa vie privée », les articles 226-1 et suivants du code pénal punissent de peines pouvant aller jusqu’à « un an d'emprisonnement et 45.000 € d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui ». 
 
 
La seconde source du secret professionnel est à relier à l’intérêt général.
La société reconnaît à certaines professions une utilité qui justifie qu’elles utilisent le secret professionnel afin de favoriser les confidences qui peuvent leur être faite.
C’est le cas de la médecine, de la profession d’avocat ou encore du service social qui agissent sur des faits personnels et privés des usagers.  Leur travail ne peut s’exercer que dans le cadre d’une relation de confiance, librement consentie, dénouée de tout contrôle et assurant la non divulgation des confidences apprises. 
Comme l'écrivait Émile Garçon à la fin du siècle dernier dans son commentaire de l'article 378 de l’ancien code pénal : "Le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le catholique un confesseur, mais ni le médecin, ni l'avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n'étaient assurées d'un secret inviolable. Il importe donc à l'ordre social que ces confidents nécessaires soient astreints à la discrétion et que le silence leur soit imposé sans condition ni réserve, car personne n'oserait plus s'adresser à eux si l'on pouvait craindre la divulgation du secret confié. Ce secret est donc absolu et d'ordre public".
 
Le secret professionnel naît avec la rédaction du Code pénal en 1810. Il concerne alors les médecins qu’on ne veut plus voir à l’origine d’indiscrétions sur les familles où ils interviennent. Il va progressivement s’étendre aux praticiens et auxiliaires médicaux : les Chirurgiens-dentistes (décret du 27 juillet 1967, art. 5), les infirmiers (Code de la santé publique, art. 481), les Masseurs kinésithérapeutes et pédicures (Code de la santé publi­que, art. 500), les Orthophonistes (Code de la santé publique, art. L. 504-5), les Audioprothésistes (Code de la santé publique, art. L. 510-6) etc ….
La logique qui concerne les professions de santé va bientôt gagner toute une série d’autres professions : les assistants sociaux, les avocats, les officiers ministériels (huissiers, notaires), les magistrats, les banquiers, les officiers de police judiciaire … jusqu’aux ministres du culte (prêtres, pasteurs, rabbins) qui y sont tenus par « état ».
 
De nombreuses de missions vont se trouver concernées elles aussi par le respect du secret professionnel :
-       les personnels attachés au service d'une maison mater­nelle,
-       les délégués à la probation,
-       les agents de la sécurité sociale,
-       les personnes travaillant au sein d’établissement accueillant des mineurs, des handicapés, des personnes âgées,
-       les personnes engagées dans le service de l'aide sociale à l'en­fance,
-       L'article 5 de l'arrêté du 2 mai 1985 relatif à la forme et au mode d'utilisation du carnet de santé énonce que « toute personne appelée en raison de sa profession, à con­naître les renseignements inscrits dans le carnet de santé est astreinte au secret professionnel »
-       Le décret n° 85-937 du 23 août 1985, relatif au conseil de famille des pupilles de l'Etat prévoit, à l'alinéa 3 de l'article 9, que « les personnes entendues par le conseil de famille sont tenues au secret professionnel selon les prescriptions de l'article 378 du Code pénal »
-       Les membres de la CNIL, de la CADA (commission d’accès aux documents administratifs), des CLI, des aides médicales, les secrétaires des C.C.A.S., les membres des commissions d’admission à l’aide sociale. 
-       Les fonctionnaires des trois fonctions publiques soumis au secret professionnel dans les cadres des règles instituées par le code pénal et à une obligation de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions».
 
On distingue toutefois quatre circonstances que l’on peut considérer comme autant d’exceptions à l’obligation du secret professionnel : la situation particulière des professionnels mandatés, la protection d’usagers particulièrement fragiles, la détention d’arme par une personne dangereuse et la nécessité du partage de l’information.
 
Un professionnel peut recevoir délégation par le tribunal de grande instance, le juge des enfants le juge des affaires matri­moniales, pour effectuer une enquête, tant au civil (pour décider de l'at­tribution du lieu de résidence des enfants et du droit de visite à l'is­sue d'un divorce ou dans le cadre d'une mesure d'assistance éduca­tive) qu’au pénal (lors d'une procédure relative à l'enfance délin­quante, mission de délégué à la probation) ou encore dans le cadre d'une mission à long terme (assistance édu­cative, délégation à la liberté surveillée ou probation...) les points de vue diffèrent sur le contenu des rapports pério­diques destinés au juge mandataire.
 
L’article 226-14 précise les conditions dans lesquelles la révélation du secret est autorisée. C’est le cas d’abord des situations de privations ou de sévices, d'atteintes ou mutilations sexuelles, infligées à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique. Le code de la famille et de l’action sociale précise par exemple, dans son article L411-3 que « les assistants de service social et les étudiants des écoles se préparant à l'exercice de cette profession sont tenus au secret professionnel dans les conditions et sous les réserves énoncées aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal. La communication par ces personnes à l'autorité judiciaire ou aux services administratifs chargés de la protection de l'enfance, en vue de ladite protection, d'indications concernant des mineurs dont la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation sont compromises n'expose pas, de ce fait, les intéressés aux peines fixées par l'article 226-13 du code pénal. »
 
Une seconde exception a  été introduite à la suite de la tuerie intervenue le 26 mars 2002 au sein du conseil municipal de Nanterre, un déséquilibré ayant tiré sur les conseillers réunis dans la mairie. Elle s’adresse aux professionnels de la santé ou de l'action sociale qui peuvent informer le préfet du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu'elles détiennent une arme ou qu'elles ont manifesté leur intention d'en acquérir une.
 
La troisième exception s’est imposée à propos du partage de l’information. te de la loi sur la prévention de la délinquance en mars 2007 qui affirme dans on article 8 : « Art. L. 121-6-2. - Lorsqu'un professionnel de l'action sociale, définie à l'article L. 116-1, constate que l'aggravation des difficultés sociales, éducatives ou matérielles d'une personne ou d'une famille appelle l'intervention de plusieurs professionnels, il en informe le maire de la commune de résidence et le président du conseil général. L'article 226-13 du code pénal n'est pas applicable aux personnes qui transmettent des informations confidentielles dans les conditions et aux fins prévues au présent alinéa. Lorsque l'efficacité et la continuité de l'action sociale le rendent nécessaire, le maire, saisi dans les conditions prévues au premier alinéa ou par le président du conseil général, ou de sa propre initiative, désigne parmi les professionnels qui interviennent auprès d'une même personne ou d'une même famille un coordonnateur, après accord de l'autorité dont il relève et consultation du président du conseil général. Lorsque les professionnels concernés relèvent tous de l'autorité du président du conseil général, le maire désigne le coordonnateur parmi eux, sur la proposition du président du conseil général. Le coordonnateur est soumis au secret professionnel dans les conditions prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal. Par exception à l'article 226-13 du même code, les professionnels qui interviennent auprès d'une même personne ou d'une même famille sont autorisés à partager entre eux des informations à caractère secret, afin d'évaluer leur situation, de déterminer les mesures d'action sociale nécessaires et de les mettre en oeuvre. Le coordonnateur a connaissance des informations ainsi transmises. Le partage de ces informations est limité à ce qui est strictement nécessaire à l'accomplissement de la mission d'action sociale. Le professionnel intervenant seul dans les conditions prévues au premier alinéa ou le coordonnateur sont autorisés à révéler au maire et au président du conseil général, ou à leur représentant au sens des articles L. 2122-18 et L. 3221-3 du code général des collectivités territoriales, les informations confidentielles qui sont strictement nécessaires à l'exercice de leurs compétences. Les informations ainsi transmises ne peuvent être communiquées à des tiers sous peine des sanctions prévues à l'article 226-13 du code pénal. »
 
Comme on le voit, ce texte autorise le partage de l’information entre intervenants sociaux. La question du secret professionnel partagé avait déjà fait l’objet d’un débat parlementaire au moment de la refonte du Code Pénal, en 1992. La crainte d’une fragilisation de ce principe essentiel avait finalement convaincu le législateur de renoncer à ce partage.
 
La loi Sarkozy organise à un véritable tour de passe passe.
-       Première étape : rendre impératif le partage de l’information, en arguant de la « continuité » et de « l’efficacité » de l’action sociale auxquelles personne ne peut s’opposer.
-       Seconde étape : donner le change, en continuant à interdire formellement la communication des informations ainsi révélées à un tiers et à pénaliser toute transgression.
-       Troisième étape : faire désigner par le maire un coordonnateur de l’ensemble de l’action engagée. Là aussi tout le monde ne peut qu’être d’accord avec cette intention qui vise une meilleure articulation. Mais là où se trouve l’entourloupe, c’est quand la loi donne le pouvoir au maire de recevoir « du coordonnateur celles des informations qui sont nécessaires à l’exercice de sa compétence. » Le premier magistrat peut dorénavant avoir accès à toutes les informations confidentielles que possèdent les partenaires sociaux et qu’ils estiment comme utiles pour assurer ses responsabilités.
 
Mais, le pire n’étant jamais sûr, le Conseil constitutionnel, consulté sur cette loi, a fourni toute une série d’arguments qui peuvent être utilement utilisés par les professionnels (point n°6 de la Décision n° 2007-553 DC du 3 mars 2007) :
-       L'objectif de l'article est défini comme étant « mieux prendre en compte l'ensemble des difficultés sociales éducatives et matérielles, et de renforcer l'efficacité de l'action sociale ».
-       Toute autre utilisation de ce texte est donc à écarter.
-       En cas de partage d'informations entre les intervenants leur objectif ne peut être que « évaluer leur situation, déterminer les mesures d'action sociale nécessaires et de les mettre en œuvre ».
-       Ce partage se fait seulement dans la mesure « strictement nécessaire à l'accomplissement de la mission d'action sociale ».
-       Le professionnel qui intervient seul n'a à transmettre des informations au maire et au président du Conseil général que « lorsque l'aggravation des difficultés sociales … appelle l'intervention de plusieurs professionnels. »
-       Encore, le Maire et le Président du Conseil Général ne doivent recevoir que des informations « strictement nécessaires à l'exercice de leurs compétences. »
-       En cas de transmissions d'informations, celle-ci ne doit se faire que par écrit afin que les personnes puissent faire valoir leur droit d'accès aux documents administratifs tels que prévus par les lois n° 78.753 du 17 juillet 1978 et n° 79-587 du 11 juillet 1979.
-       Les professionnels devront avoir connaissance du mode de traitement qui sera effectué avec les informations transmises afin que soit respectée la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, notamment par l'information systématique des personnes, au moment de la collecte des informations les concernant, afin qu'elles puissent faire valoir leurs droits :
·         d'accès à ces données ;
·         de les corriger ;
·         de s'opposer à leur traitement.

L’ANAS en a appelé à une application méticuleuse et pointilleuse de ces restrictions, afin que le partage de l’information ne soit pas une contrainte mais un choix. Car cette pratique, même si elle n’a jamais eu de valeur légale a toujour eu lieu.
Elle pose à l’évidence un problème éthique : comment articuler l’obligation du secret avec la transmission d’informations nécessaire pour mener à bien l’action au bénéfice des personnes aidées ?
Comment concilier les deux ? Telle est la question essentielle.
 
L’ANAS a élaboré un «guide de bonnes pratiques » au sujet du partage de l’information : pour partager et échanger « il convient de respecter certaines règles élémentaires qui sont à la fois déontologiques et de bon sens…
1.      Ne jamais, comme c’est souvent le cas, parler des usagers à des collègues dans les couloirs ou dans la salle de café, mais toujours le faire dans un endroit et en un temps approprié.
2.      toujours prévenir l’usager de la nécessité de transmettre une information le concernant, et, sauf en matière judiciaire, lui demander son autorisation pour le faire. Lors de la rédaction d’un rapport, même à caractère judiciaire, lire ce rapport à l’usager et l’informer des voies de recours dont il dispose.
3.      Lors des réunions de synthèse ou de concertation, se faire toujours préciser quel est l’objectif de la rencontre, et ne livrer lors de cette rencontre que les éléments nécessaires qui concernent strictement le sujet abordé.  Les réunions de synthèse ne sont en aucun cas des lieux de déballage de l’ensemble de la vie des usagers, n’oublions pas que le respect de la vie privée est une règle déontologique absolue outre le fait qu’elle est un règle de droit (article 9 du Code Civil).
4.      Lors de la rédaction de rapports, de demandes d’aide financière, d’écrits de toute nature, il convient de se limiter au strict nécessaire et de ne transmettre, en accord avec l’usager,  que ce qui concerne le point de sa situation abordée.  Il est bon de connaître le circuit des écrits et la composition des commissions qui peuvent les examiner, de façon à adapter l’écrit en conséquence… »
 
La question du secret professionnel ne saurait se résumer à un simple détail sans importance. Il implique à la fois une vision méthodologique, déontologique et éthique non seulement d’un métier mais aussi de la société.
 
« N’oublions jamais l’époque, pas si lointaine, où les listes nominatives ont servi à l’extermination de populations entières, époque où ceux qui savaient n’ont rien dit, époque où les listes nominatives ont été remplies sans état d’âme par les « obscurs » qui obéissaient sans réfléchir. L’ANAS invite avec toute la force nécessaire chaque travailleur social à son devoir de lutte contre les arbitraires rencontrés au quotidien.  Il n’y a pas de fatalité en la matière, la résistance à ce genre de pratiques est un devoir.  Il appartient aux travailleurs sociaux de  se rapprocher des associations d’usagers, de les informer des pratiques arbitraires qu’ils constatent et de lutter à leurs côtés. » (Erwan TANGUY «  Du bon usage du partage de l’information », dans La Revue Française de Service Social N° 205).

 

Jacques Trémintin - 12 décembre 2007