La Classerie - 2008 - réforme protection de l’enfance

Comment la réforme de la protection de l’enfance accroît le recul de l’arbitraire parental

La commande qui m’a été faite concernait un état des lieux de l’application sur le terrain de la réforme de la protection de l’enfance.

Il est difficile de faire le point de cet investissement du côté des professionnels, parce que cette appropriation est très empirique.
Trois raisons peuvent être évoqués pour expliquer cette situation :
La première, c’est que 14 mois après le vote de cette loi, aucun décret d’application n’a été publié, à la différence de la loi sur la prévention de la délinquance qui a vu sortir les siens en priorité.
La seconde, c’est qu’un an est un délai bien court pour constater sur le terrain l’appropriation de cette loi dans les pratiques. Il suffit de constater le temps qui a été nécessaire pour appliquer les lois de 2002 et 2005, pour en être convaincu.
La troisième tient dans l’attente des dotations promises par l’Etat pour appliquer la loi, financement qui en cette période de rigueur budgétaire risquent de se faire attendre … un certain temps. Avec comme conséquences, l’obligation pour les professionnels d’agir à moyens constants, ce qui ne peut que provoquer réticences sinon résistances.
Aussi, plutôt que de proposer une intervention sur une mise en œuvre encore largement embryonnaire, je me propose de vous livrer un regard possible d’un professionnel de terrain sur l’implication de cette loi dans le quotidien de la protection de l’enfant.
J’aurais pu aborder cette loi sous l’angle du renforcement de la prévention (visites médicales gratuites tous les 3 ans pour les enfants entre 6 et 15 ans) ; sous celui de la validation des pratiques innovantes déjà existantes (tel le séquentiel ou le Service d’adaptation progressive en milieu naturel) ; ou encore sous l’aspect du développement de la collaboration entre professionnels (cellule sur les informations préoccupantes). J’aurais pu aussi évoquer la place centrale du président du Conseil général renforcé dans son rôle de chef de file et coordinateur de la protection de l’enfance.
J’ai choisi d’être provocateur et polémique, en essayant de démontrer en quoi cette réforme  favorise le recul de l’arbitraire parental.
Toute lecture d’un texte de loi peut être polysémique. Celle que je propose privilégie un angle et ne saurait réduire la compréhension bien plus large qu’on peut en avoir par ailleurs.
 
Je vais commencer par écarter tout malentendu : le rôle des parents est essentiel à l’évolution de l’enfant. Ils le guident et lui servent de référence affective et éducative pour grandir et trouver sa place dans la société.
Lorsque des difficultés surviennent, c’est d’abord avec leur aide que les services socio-éducatifs peuvent le mieux travailler.
L’époque qui rêvait d’arracher l’enfant à une mauvaise terre pour le rempoter dans un terreau fertile est révolue.
Pour autant, l’importance de la fonction parentale a fait l’objet au cours des années d’une utopie toute aussi destructrice : croire que la place des parents devait être préservée dans tous les cas et quelles que soient les conséquences. On n’a pas hésité à colporter des idées reçues telles que « en dehors de la famille il n’y a pas de salut » ou « que le meilleur des placements ne vaut pas plus que la pire des familles » et autres « une mauvaise famille vaut mieux que pas de famille du tout ».
On n’a cessé d’assister, depuis deux milles ans, à un rythme tout d’abord lent puis bien plus fulgurant, mais en tout cas inexorable rééquilibrage du droit respectif des parents et de l’enfant.
 
A l’époque romaine le droit familial avait pour seule source la volonté du paterfamilias. Le père avait alors un droit de vie et de mort sur ses enfants et petits-enfants de sa lignée, jusqu'à sa mort.
 
Ce n’est qu’à partir de la fin du IVème siècle, que l'Église catholique réussit à abolir ce pouvoir exorbitant et disproportionné, en le faisant remplacer par la possibilité de faire enfermer sa progéniture, selon son bon plaisir.
 
Sous la monarchie, le père possède le droit de correction et d'embastillement lorsque l'enfant s'oppose à son autorité. Pourtant, cette libéralité jusque là arbitraire et sans limite sera limité par le décret royal du 9 mars 1673 qui rendra toutefois obligatoire l’obtention préalable d’une lettre de cachet du roi.
 
La Révolution limite à son tour la puissance paternelle, n fixant l'accès à la majorité dès l'âge de 21 ans et en interdisant la possibilité de déshériter. Le  père garde néanmoins le droit de correction paternelle qui lui permet de faire incarcérer son enfant sur simple demande auprès du procureur, sans qu’il en ait besoin d’en présenter la moindre justification.
 
La troisième République ne tarde pas à limiter le pouvoir des pères. En 1874, une loi punit l'incitation à la mendicité exercée par les parents. En 1884, deux textes législatifs  stipulent qu'un père peut être rendu responsable de la mort de son enfant et que l'autorité publique peut se substituer au père en organisant un placement en nourrice s'il exerce un pouvoir abusif. La loi de 1889 instituera la déchéance paternelle en cas d'incitation à la débauche, au crime et au vagabondage. En 1898 une loi prévoira la déchéance paternelle en cas de mauvais traitements avec placement à l'Assistance publique.
 
En 1935, la correction paternelle sera, le tribunal pour enfants se voyant confier la responsabilité des mesures éducatives à prendre. Il pourra placer l’enfant en maison de correction.
 
En 1958, une Ordonnance modifie le Code Civil, précisant clairement les conditions du contrôle judiciaire de l'autorité des parents : « si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice » (article 375).
 
La loi du 8 janvier 1993 permet de suppléer l’autorité parentale, quand celle-ci entre en contradiction avec l’intérêt de l’enfant. Le mineur est alors représenté par un administrateur ad’hoc dans les procédures judiciaires l’opposant à ses représentants légaux (article 388-2 du Code civil). 
 
Dans la loi hospitalière du 4 mars 2002, il est précisé que le médecin peut se dispenser d'obtenir le consentement du ou des titulaires de l'autorité parentale sur les décisions médicales à prendre lorsque le traitement ou l'intervention s'impose pour sauvegarder la santé d'une personne mineure, dans le cas où cette dernière s'oppose expressément à la consultation du ou des titulaires de l'autorité parentale afin de garder le secret sur son état de santé (Article L. 1111-5 du Code de la santé publique).
 
La même année, les attributions légales des parents sont modifiées. Dans sa formulation initiale, le code civil précisait que « l’autorité parentale appartient aux pères et mères pour protéger l’enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité. Ils ont à son égard droit et devoir de garde, de surveillance et d’éducation » (article 371-2). Le législateur a notablement modifié la formulation de la mission confiée aux parents : « L'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.  Les parents associent l'enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. » (Art. 371-1) On notera les éléments fondamentaux et nouveaux : « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant », les parents étant invités concernant leur enfant à « permettre son développement, dans le respect dû à sa personne »  mais aussi à l’associer « aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. »
 
La loi de 2007 portant réforme de la protection de l’enfance, vient à nouveau de renforcer les droits de l’enfant, en limitant le droit des parents.
« L’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs, ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant. » proclame le nouvel article 112-4 du Code de l’action sociale et des familles, plaçant ainsi l’enfant au-dessus de ses parents.
L’article 375 du Code civil a, de son côté, été complété : à la menace pesant sur la santé, la sécurité, la moralité et les conditions d’éducation d'un mineur a été rajouté la nécessité de veiller à son « développement physique, affectif, intellectuel et social. »
Pour mener à bien leur mission, les services éducatifs doivent s’associer aux familles dans le respect de la protection de l’enfant. La décision judiciaire d’assistance éducative préserve l’autorité parentale sauf pour toute décision des parents qui mettrait l’enfant en danger. La nouvelle loi va plus loin permettant que le juge des enfants puisse « exceptionnellement, dans tous les cas où l’intérêt de l’enfant le justifie, autoriser la personne, le service ou l’établissement à qui est confié l’enfant à exercer un acte relevant de l’autorité parentale en cas de refus abusif ou injustifié ou en cas de négligence des détenteurs de l’autorité parentale, à charge pour le demandeur de rapporter la preuve de la nécessité de cette mesure » (article 375-7 du code civil).
 
Le travail de (re)tissage des liens entre l’enfant et ses parents est dans l’immense majorité des cas une condition d’équilibre et d’épanouissement. Pourtant, il arrive, comme l’a bien démontré Maurice Berger, que cette relation soit nocive pour l’enfant. La correspondance, les visites ou l’hébergement peuvent être l’occasion d’attitudes destructrices des parents qui ruinent les effets bénéfiques de la séparation. Dans cette hypothèse, le magistrat « peut, si l'intérêt de l'enfant l'exige, décider que l'exercice de ces droits, ou de l'un d'eux, est provisoirement suspendu. Il peut également décider que le droit de visite du ou des parents ne peut être exercé qu'en présence d'un tiers désigné par l'établissement ou le service à qui l'enfant est confié. » (article 375-7 code civil).
 
Une loi de 1986 fixe à deux ans la durée maximale d’une mesure judiciaire. Cette révision régulière permet de redonner du sens à la séparation. Pourtant, il arrive que dans certaines situations extrêmes marquées par une déficience récurrente des parents, l’enfant vive avec inquiétude et angoisse cette échéance qu’il perçoit comme la menace de remise en cause du quotidien stable et sécurisé que lui garantit son placement. Le législateur a entendu cette situation, donnant la possibilité au juge des enfants de pérenniser dans le temps le lieu d’accueil de l’enfant : « lorsque les parents présentent des difficultés relationnelles et éducatives graves, sévères et chroniques, évaluées comme telles dans l'état actuel des connaissances, affectant durablement leurs compétences dans l'exercice de leur responsabilité parentale, une mesure d'accueil exercée par un service ou une institution peut être ordonnée pour une durée supérieure, afin de permettre à l'enfant de bénéficier d'une continuité relationnelle, affective et géographique dans son lieu de vie dès lors qu'il est adapté à ses besoins immédiats et à venir. » (nouvel alinéa à l’article 375 du code civil).
 
« Last but not least » et cerise du le gâteau, un droit nouveau est accordé au mineur : celui de se faire entendre par le juge. Jusque là, le magistrat pouvait écarter la demande d’audition du mineur « par une décision spécialement motivée ». Dorénavant, « cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande. » (article 388-1 du code civil). Il était étonnant que l’enfant soit systématiquement entendu en matière pénale, mais qu’au civil cette possibilité dépende du bon vouloir du juge. Cette incohérence vient de disparaître. Au final, la nouvelle loi sur la protection de l’enfance s’inscrit comme une nouvelle étape dans le rééquilibrage de la place de l’enfant. Il reste mineur et placé sous la responsabilité de ses parents. Mais lorsque ses intérêts entrent en contradiction avec l’intérêt de ces derniers, ses droits sont désormais mieux reconnus et mieux défendus.
 

Si les parents sont effectivement les premiers éducateurs de l’enfant, il peut arriver qu’ils soient en difficulté, qu’ils présentent des comportements pathologiques, voir qu’ils apparaissent comme souffrant d’incompétence sévère chronique. La réponse à apporter à leur égard ne peut relever d’une dimension binaire : il seraient bons ou mauvais, mais doit s’adapter à leurs compétences, pour peu que l’on prenne à la fois les moyens d’aller les identifier que d’en repérer les carences.

 

Jacques Trémintin - Mai 2008