Les droits de l'enfant

« J’ai le droit » Jusqu’où vont les droits de l’enfant ?

Les droits de l'enfant font depuis toujours polémique. Aux plaidoyers portant sur la maltraitance parfois, l'arbitraire souvent et la domination fréquemment imposés par le monde des adultes sur les jeunes générations ont répondu des discours sur la dictature de l'enfant roi et la nécessité de lui parler surtout de ses devoirs avant d'évoquer ses droits. La Convention internationale des droits de l'enfant, votée à l'unanimité le 20 novembre 1989 par l'assemblée générale des Nations Unies et ratifiée à la quasi unanimité des nations du monde, n'a pas clos la controverse. Il reste encore du chemin à parcourir et beaucoup de pédagogie à déployer pour défendre la citoyenneté du petit d'homme et faire respecter ses droits apparaissant comme légitimes pour les uns, mais tyranniques pour d’autres.
 
Droits : un donné ou une conquête progressive ?
Faut-il protéger l'enfant ou le responsabiliser ? La spécificité même de cette étape de l'évolution humaine nécessite qu'on ne privilégie aucun des termes de cette alternative, mais qu'on les tricote, qu'on les articule et qu'on les combine entre eux.
 
Il est toujours surprenant de constater que la minorité juridique est l'une des seules catégories pour qui le bénéfice des droits reste encore discutée. Pour ce qui est des esclaves (réduits à l'état de vulgaire marchandise), des pauvres (qui n'ont pas toujours pu voter), des femmes (longtemps considérées comme mineures toute leur vie) et certaines ethnies (discriminées, comme au temps de l'apartheid en Afrique du sud), l'idée d'un différentiel de droits est aujourd'hui vécue comme inadmissible. L'enfant de 0 à 18 ans est, quant à lui, placé sous l'autorité de ses parents. L'État délègue aux professionnels (dont les animateurs) le relais de cette tutelle, quand l'enfant est sous leur responsabilité. L'agrément et l'attribution d'un diplôme valent reconnaissance de leur compétence en la matière. Ce dispositif spécifique n’a d’équivalent que pour les personnes dont la volonté est altérée. Il est inhérent à la nature du petit d'homme qui, à la différence des catégories précédentes, peut être reconnu comme biologiquement, psychiquement et sexuellement inachevé. Il faut sécuriser le parcours d'un être en pleine croissance, dont la fragilité et la vulnérabilité requièrent la protection du monde des adultes. C'est là tout le paradoxe de l'éducation : faire grandir l'enfant dans son corps et dans sa tête, tout en respectant les inévitables étapes de sa progression ; encourager son élan et sa créativité en lui fixant des défis, sans le placer en situation d'échec par des objectifs inaccessibles ; stimuler son potentiel de maturation, sans lui attribuer des capacités qu'il ne possède pas encore. Cet entre-deux est fondateur de l'état transitoire de l'enfant … qui ne le restera pas toujours.
 

L'un et l'autre

Mais, un être en devenir ne peut être enfermé dans son état précédent, ni dans celui vers lequel il tend, puisqu'il n'a pas tout à fait quitté le premier sans avoir encore atteint le suivant. D'où la difficulté de se comporter d'une manière toujours identique à son égard et au contraire la nécessité d'adopter une adaptabilité permanente permettant de répondre au mieux au processus d'évolution en cours. Cette approche trouve une parfaite illustration dans l'accès aux droits. Si l'enfant est titulaire des mêmes droits que n'importe quel autre humain, il ne peut encore les exercer pleinement. Ce qui ne signifie pas qu'il ne faille pas tout mettre en oeuvre pour que, progressivement, il le fasse. Un enfant doit-il disposer de la liberté de se coucher quand il le veut ? Sa forte envie de satisfaire son désir immédiat le pousse à tarder en soirée, pour rester avec les grands. Son immaturité ne lui permet pas de mesurer que son fort besoin de sommeil va le placer en situation de manque de repos quand il faudra se lever le lendemain pour aller à l'école. Si l'adulte est légitime, quand il le contraint à aller se coucher, cela n'empêche nullement d'agir afin de le rendre autonome le plus tôt possible dans la gestion de son sommeil. En s'opposant à sa liberté immédiate, il préserve son développement et sa santé. Deux postulats s’avèrent inefficients : celui considérant que l'enfant sait naturellement ce qui est bon pour lui et celui affirmant à l'inverse que l'adulte le sait à sa place. Un  troisième principe s'impose alors : si l'enfant ne sait pas toujours faire les bons choix le concernant, il faut faire en sorte qu'il y arrive le plus souvent possible. On ne se trouve donc pas face à un choix, mais à une synthèse d'autant plus complexe à opérer que la proportion de protection et de responsabilisation n'est jamais définie à l'avance et que deux risques se percutent l’infantilisation consistant à enfermer l'enfant dans un statut infra-humain et l’adultisation l’identifiant à un petit adulte. C'est à tâtons que l'on navigue entre le trop et le pas assez.
 

La fessée enfin interdite
S’il y a bien un droit élémentaire pour tout enfant, c’est celui de ne pas subir de châtiments corporels. Après la tentative initiée en 2010 par Edwige Antier pédiatre et députée UMP et une seconde proposition avancée par François-Michel Lambert député écologiste en 2014, le troisième essai aura été le bon. Le 1er juillet 2016, la France est entrée dans le club des 42 pays ayant voté une loi s’opposant à la violence ordinaire. Les devoirs liés à l’autorité parentale excluent « tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences corporelles ». Principe clair énoncé par la loi qu’il faudra faire appliquer, sans menace de sanction pénale.
 
 
Simple comme un droit
Comment concrétiser au quotidien l'apprentissage des droits en ACM ? Les grand principes ne valent vraiment que lorsqu'on leur trouve des modalités d'application. Les faire vivre n’est pas si compliqué ou énigmatique qu’on l’imagine parfois. La preuve.
 
Avant d'être appliquée au quotidien, l'éducation aux droits de l'enfant relève d'abord d'une intention ouvertement affichée. Le projet éducatif de l'organisateur doit la retenir comme axe majeur, le projet pédagogique du directeur la désigner comme l'un de ses objectifs centraux et le projet d'animation la faire vivre de manière à pouvoir l'identifier dans le programme d'activité. Mais, le choix de la mise en oeuvre ne dépend pas des seules ambitions revendiquées. Elle requière aussi une formation, une motivation et une mobilisation des équipes. Ainsi, les concepts ne resteront-ils pas au stade de la simple abstraction. Dispositif essentiel s'il en est, les règles de vie commune qui structurent l'organisation du centre posent d'emblée la question de leur mode d'élaboration. Sont-elles édictées par les adultes ou co-construites ? Certes, tout ne peut être négocié. Un premier cadre s'impose : celui de la loi et de la réglementation jeunesse et sport qui n'est pas discutable. Vient ensuite le mandat donné par l'organisateur : si un séjour a été conçu en Dordogne, il est difficilement envisageable une fois sur place de le transformer en voyage en Corse, au prétexte que le groupe de jeunes en a décidé ainsi ! Mais, une fois ces impératifs posés, les enfants et adolescents peuvent tout à fait être associés à l'organisation du quotidien, éprouvant ainsi ce que représente l'échange au sein d'un groupe, avec ce que cela implique de débat ouvert, d'écoute de l'autre, de décision prise à la majorité et de frustration quand sa proposition n'est pas retenue. Cette application concrète de la vie démocratique vaut toutes les leçons d'instruction civique. Il en va de même pour les activités qui doivent souvent être programmées à l'avance, mais qui peuvent aussi faire l'objet d'une élaboration en amont avec le public concerné ou dans le cours du séjour, quand cela est possible.
 

Investir ses droits

Bien d'autres illustrations peuvent être proposées. La Convention internationale des droits de l'enfant se répartit en un certain nombre de droits liberté dont la fonction est bien de développer la citoyenneté, mais aussi de droits protection destinés à garantir la croissance et la bonne évolution de l'enfant. Dans la première catégorie, retenons par exemple : le droit à la non discrimination (art. 12), à la vie privée (art. 16) et aux loisirs (art.31). Quelles implications cela peut-il donner au quotidien ? L'attention portée à ce que les activités ne soient pas systématiquement réparties entre celles réservées aux filles et aux garçons peut répondre au premier. L'intervention auprès du groupe d'enfants pour les inciter à ne pas commenter un aspect de la vie familiale de l'un des leurs correspondrait plus au second. Quant au troisième, il pourrait inciter à modifier une sanction venant priver un enfant d'une animation suite à une transgression, au profit d'une tâche collective lui permettant de réparer son acte. Prenons, comme autres exemples, des droits protection comme celui relatif au bien-être (art. 3), à la prévention des mauvais traitements (art.19) ou encore à l'accès aux soins médicaux (art. 24). Leur concrétisation pourrait se formaliser sous bien des formes : le contrôle des conditions d'accueil (espace suffisant de rangements des affaires personnelles, qualité minimum des literies dans nos colonies de vacances etc...) répondrait au premier. La vigilance contre le harcèlement, le racket, la violence entre enfants renverrait au second. La fonction d'adjoint sanitaire veillant à prendre en compte le moindre souci de santé respecterait le troisième. On est bien loin de la polémique sur la priorité qu'il faudrait donner aux devoirs sur les droits ! La mobilisation des adultes décrite ici apparaît comme élémentaire et au coeur de l'acte éducatif.
 
 
Comment appliquer les droits de l'enfant ?
Il n'y a ni recette magique à trouver, ni solution miracle à rechercher, encore moins de mode d'emploi à consulter : juste le souci de maintenir sa vigilance afin de se mettre en adéquation avec un certain nombre de principes. Ce n'est guère plus compliqué que d'élaborer un jeu, de préparer une activité ou de mener une animation. Convaincu de leur pertinence, formé à leur contenu et motivé à les faire respecter, tout animateur peut utiliser son sens de la créativité pour imaginer une illustration des droits de l'enfant dans son quotidien, sans être pour autant confronté à une difficulté majeure. Il suffit de se lancer : les essayer, c'est les adopter !
 
 
Ai-je le droit de tout dire ?
Appliquer les droits, c'est aussi être en capacité d'en mesurer les limites. Il arrive qu'un propos tenu ne relève plus de la liberté d'expression, mais qu'il constitue un délit. Comment réussir à distinguer ce qui est permis de ce qui est interdit ?
 
Julien, animateur en club de jeune, est témoin d'une conversation au sein d'un groupe d'adolescents tenant des propos discriminatoires contre les « pédés ». Soraya, animatrice en activités périscolaires surprend un enfant en insultant un autre de « sale juif ». Karim, animateur en camp d'ados est victime d'insultes racistes sur le camping où son groupe séjourne. Est-on confronté là au droit inaliénable que chacun a de dire ce qu'il pense ou existe-t-il des limites ? Le degré atteint par la liberté d’expression peut être mesuré sur une échelle graduée comportant à ses extrémités deux postures diamétralement opposées : la pénalisation de toute opinion non conforme au point de vue officiel et la liberté de tout dire.

 

Entre autorisation et restriction

Le premier cas, celui de la censure, concerne de nombreux pays où règne une forme totalitaire de régime politique, à l’image de l’Arabie Saoudite qui punit de mort l’auteur de blasphème ou de la Chine qui emploie deux millions de fonctionnaires chargés de faire la chasse à toute idée dissidente sur le net. Dans le second cas, celui de la liberté d’expression étendue à l’extrême, on trouve les États-unis qui autorisent la manifestation publique de toute opinion quelle qu’elle soit, sous réserve qu’elle ne soit ni obscène, ni diffamatoire et qu’elle n’appelle pas à l’émeute. C’est ainsi que l’on voit se manifester des positions ouvertement racistes, antisémites ou xénophobes, leur expression étant garantie par le premier amendement à la Constitution américaine adopté le 15 décembre 1791 : « Le Congrès ne fera aucune loi relative à l'établissement d'une religion, ou à l'interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d'expression, de la presse ». La loi Française proclame, quant à elle, haut et fort le principe de la liberté d'expression et ce, depuis la déclaration des droits de l'homme votée en 1789 qui garantit dans son article 11 « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme: tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement (…) ». Mais, ce beau panégyrique est aussitôt relativisé par une quinzaine de mots qui affirment : « (…) sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
 

Face aux discours discriminatoires

Et la loi définit dix neuf de ces abus, dont la discrimination en raison de l'orientation ou de l'identité sexuelle, ainsi que de l'appartenance ou la non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (article 225-1 du code pénal). Les réponses face aux propos décrits en introduction peuvent d’abord être éducatives, prônant l’ouverture d’esprit et la tolérance à la différence. Elles peuvent aussi être philosophiques, argumentant sur la diversité et la relativité des différents choix de vie et croyances. Elles peuvent encore être morales, rappelant le principe de réciprocité : ne pas faire à autrui ce qu’on ne veut pas qu’on nous fasse. Mais, il y a aussi la réponse juridique : se référer à la loi qui régule le vivre ensemble. Et celle-ci est claire : elle punit de 3 ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende toute personne s'étant rendu coupable de discrimination. Il ne s'agit pas tant de faire peur, que de faire oeuvre pédagogique. L'ado qui lance une réflexion malheureuse ne va pas se retrouver derrière les barreaux. Mais, on peut lui expliquer que non, on ne peut pas tout dire, parce que notre pays a fait le choix de protéger les minorités et de pénaliser toute stigmatisation subie par certains de nos concitoyens en raison de leurs caractéristiques spécifiques. Le respect de l'autre quel qu'il soit est au fondement des valeurs démocratiques. Et dans ce cas, le droit à la différence l'emporte sur la liberté d'expression.
 

A-t-on le droit de brûler son drapeau ?
C’est en 2003, à la suite des sifflets ayant retenti lors d'un match de foot au moment où raisonnait la Marseillaise, que le législateur français crée le délit d’outrage au drapeau ou à l'hymne national punissable de 7.500 € d'amende, auxquels se rajoutent six mois d'emprisonnement si le délit a été commis en réunion. Quand le gouvernement américain a tenté d’introduire la même législation, des citoyens ont volontairement brûlé la bannière étoilée. Jugés et condamnés, ils ont saisi la Cour suprême gardienne de la constitution. Celle-ci a cassé leur condamnation et déclaré illégales les lois qui pénalisaient ces actes, car contraires à la liberté d’expression.
 
 
Lire l'interview : Sfeir Andrée - Droit de l'enfant

Ressources
« En avant pour les droits de l'enfant ! Respectons-les, dès aujourd’hui »
Collectif Agir ensemble pour les droits de l’enfant, érès, (2015)
Après une décennie de désintérêt de la part des pouvoirs publics, les droits de l’enfant doivent retrouver une place primordiale dans le débat en France. C’est l’objectif de cet ouvrage élaboré collectivement et avec la participation d’enfants et de jeunes, dans le cadre du contrôle par l’ONU de l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant, signée et ratifiée par la France en 1990. Il est plus que jamais nécessaire de porter prioritairement les choix budgétaires sur le bien-être des enfants et sur le développement, avec eux, d’une société inclusive, plus solidaire et plus égalitaire, où il ferait bon vivre ensemble. Même s’il fait état parfois de stagnations voire de régressions dans l’application de la Convention, cet ouvrage témoigne des forces vives qui existent dans notre pays et des pratiques qui, ici ou là, permettent de progresser dans le respect des droits de tous les enfants.
 
« Code junior - Les droits et obligations des moins de 18 ans »
Dominique Chagnollaud, Dalloz, (2014)
Nul n'est censé ignorer la loi. Or, les parents comme leurs enfants mineurs ou majeurs, manquent cruellement d'informations claires et précises sur l'école et son fonctionnement, les règles juridiques concernant la vie en société, et tout simplement celles concernant la famille. Désormais, il y a le Code junior, qui, à l'image d'un code Dalloz, rappelle, mais sous une forme très simplifiée et adaptée, la règle de droit (référence aux articles de lois, décrets ou circulaires) assortie de commentaires accessibles à partir de l'âge de 11 ans. Cette 8e édition intègre, en particulier, la réforme des rythmes scolaires à l'école primaire, la refondation de l'Ecole de la République, la lutte contre le décrochage scolaire, l'école numérique, la lutte contre le harcèlement à l'école, la charte de la laïcité, etc.
 
« L'enfant et le droit »
Marcelle Bongrain, érès, (2000)
L'évolution des mœurs, une société plus permissive, l'éclatement des couples, l'apparition de nouveaux schémas familiaux (monoparentalité, famille recomposée, nouvelle parentalité) ont des répercussions sur le statut de l'enfant. La reconnaissance de l'enfant comme sujet de droit a amené les adultes à se soucier de sa protection, le recours à l'autorité judiciaire s'en est trouvé renforcé et l'immixtion du juge dans les familles accrue. De ce fait, les interrogations de la part des parents, grands-parents, travailleurs sociaux, enseignants et adolescents eux-mêmes, sont nombreuses.
Cet ouvrage s'inspire des demandes reçues dans le cadre de la Maison de droits de l'enfant, association au service des enfants et des familles en quête d'informations, d'écoute et de conseils. Sous forme de questions-réponses, il tente d'apporter avec précision mais simplicité des éléments sur les droits et les devoirs de l'enfant mineur.
 
« Les droits de l'enfant »
Françoise Dekeuwer-Défossez, PUF, (2010)
Du « droit applicable à l’enfant », vision traditionnelle mais qui demeure ambiguë, on est passé, notamment depuis la Convention de l’ONU de 1989, aux « droits de l’enfant ». Cette mutation récente est la traduction de la promotion de la philosophie des droits de l’homme : l’enfant est désormais pensé comme un sujet, une personne dotée de liberté. Certes, pareil changement de perspective se réfère volontiers à « l’intérêt supérieur » de l’enfant. Reste que celui-ci est toujours qualifié de tel par les adultes. Après avoir défini avec précision ce que sont l’enfant, son statut juridique et sa protection par l’État, l’auteur considère que le premier de ses droits est sans doute celui de devenir un homme ou une femme, responsable et heureux.

Jacques Trémintin - Journal de L’Animation  ■ n°172 ■ octobre  2016