Filliozat Isabelle - Les 7-12 ans

dans Interviews

Un âge à part qui s’inscrit dans la continuité

Les 7-12 ans constituent une période de l’évolution humaine dans « l’entre deux ». Placés entre la petite enfance et l’adolescence aux caractéristiques bien marquées, le petit d’Homme est en pleine mutation, l’acquisition des différentes compétences se faisant progressivement. Isabelle Filliozat, psychothérapeute, formatrice et auteure, nous aide à comprendre non seulement ce qui est spécifique à cette tranche d’âge, mais quelles sont les postures éducatives adultes les plus appropriées et celles qui le sont moins.
 
JDA : Qu’est-ce qui change à la fin de la petite enfance?
Isabelle Filliozat : Pas grand-chose. Il ne faut pas imaginer des modifications spectaculaires, le jour des 7 ans. L’évolution à cet âge, comme par la suite, se fait dans la continuité plutôt que dans des ruptures brutales. En outre, elle se fait à un rythme qui est propre à chacun : les uns seront plus avancés, les autres mettront un peu plus de temps, sans que cela ait la moindre conséquence sur le développement adulte. Ce que l’on peut constater c’est une maturation progressive du cerveau de l’enfant qui s’ouvre à la pensée logique. Sa aptitude à la réflexion s’affine. Il perçoit de mieux en mieux la différence entre le passé, le présent et le futur. Il accède à ce qu’on appelle l’âge de raison. Il quitte petit à petit un fonctionnement très concret pour accéder graduellement à une capacité déductive à l’abstraction et aux hypothèses qu’il n’atteindra pleinement qu’au moment de l’adolescence. Ce qui change aussi, avec l’entrée en école primaire, c’est l’accession aux apprentissages cognitifs et la socialisation qui l’accompagne.
 
JDA : Quelles sont les principales caractéristiques de la période 6-11 ans ?
Isabelle Filliozat : Il faut être prudent, quant aux découpages auquel nous procédons, âge après âge.  Après 7 ans, comme avant 7 ans, l’enfant présente les mêmes besoins : jouer librement, être en connexion étroite avec ses parents, recevoir une nourriture saine favorisant une croissance équilibrée de son corps et de son cerveau. Ce sont là des constantes qui traversent toute l’enfance. Pour autant, il est toujours possible de pointer quelques caractéristiques. A sept ans, l’enfant est sensible à l’image qu’il renvoie et au jugement que l’on peut porter sur lui. Cela peut le rendre très susceptible. Il faut faire attention à l’utilisation de l’humour à son égard. Il peut le prendre mal, s’il pense qu’on se moque de lui. D’où la nécessité de le faire avec prudence, en vérifiant comment il l’interprète. A 8 ans, il se confronte plus aux règles, pour connaître ce qu’il peut ou non faire. Il est en pleine identification de l’étendue et des limites de son pouvoir personnel. A 9 ans, il cherche surtout à se faire reconnaître. Il est prêt à tout pour se faire accepter tant par son groupe de pairs, que par les adultes qu’il côtoie. On va facilement l’accuser de mentir ou de voler. Mais, ce n’est pas tant une dérive morale, qu’une tentative désespérée pour se faire accepter. S’il décore la réalité et cherche à l’embellir, c’est pour se sentir valorisé.
 
JDA : A 10-11 ans, on parle souvent de préadolescence …
Isabelle Filliozat : Les études démontrent que les mécanismes de la puberté interviennent d’une manière de plus en plus précoce. La consommation d’aliments riches en oestrogènes précipite la croissance et le développement des caractères sexuels féminins. Mais, il y a aussi l’effet des séparations parentales : une petite fille devient pubère plus rapidement quand elle vit séparément de son père. Aux mécanismes biologiques s’ajoutent les pratiques éducatives. A commencer par l’idéalisation de l’adolescence que promeut l’usage excessif d’internet. Les réseaux sociaux mettent en avant le culte de l’image. L’effet pervers, c’est quand une petite fille de 8 ans veut porter un soutien gorge, encouragée en cela par certains parents. Il y a un décalage entre d’un côté la production hormonale anticipée et l’influence sociale qui accélère la maturation et, de l’autre, l’élagage du cerveau qui reste toujours aussi tardif. Les comportements sociaux et la production prématurée d’oestrogène et de testostérone en venant percuter la maturation lente des neurones, déstabilise une évolution qui devrait se faire bien progressive.
 
JDA : Quelles sont les comportements qui, à cet âge, irritent le plus les adultes ?
Isabelle Filliozat : Ce sont les comportements de passivité et d’opposition. Il est quand même assez courant qu’à cet âge les enfants ne fassent pas ce qu’on leur demande : ranger leur chambre, vider le lave-vaisselle, faire leurs devoirs. Il est fréquent d’évoquer la fainéantise, la mauvaise foi, le manque de responsabilité, l’immaturité etc … Il y a d’autres raisons qui sont bien plus rarement évoquées. Avec, tout d’abord le niveau de stress auquel les enfants sont confrontés. Cela peut provenir, par exemple, du manque ou à de la moindre attention qu’on leur procure. Un parent s’est arrêté de travailler jusqu’aux cinq ans de son enfant. Avec son entrée en CP, il reprend son activité professionnelle. Un autre parent rentre de plus en plus tard le soir. L’enfant se trouve alors en manque d’affection. Autre explication possible : l’enfant reste enfermé entre quatre murs et n’est pas suffisamment de temps à l’extérieur. Pour bien faire, il faudrait qu’il passe quatre heures par jour à jouer dehors, se dépenser, courir, monter aux arbres. Le mode de vie actuel ne s’y prête pas. Toute l’attention des enfants est le plus souvent captée par les écrans de télévision, d’ordinateur, de tablette ou de smart phone. Il n’est pas toujours nécessaire d’aller chercher très loin la source de leur mal-être. Il suffit parfois d’analyser leur emploi du temps. Il ne faut pas oublier non plus leur régime alimentaire qui est potentiellement très perturbant : la proportion de produits transformés par l’industrie s’accroît d’année en années. On y trouve une quantité de colorants, de conservateurs, d’additifs et autres perturbateurs endocriniens qui sont en partie responsables de cette hyper activité que l’on s’étonne de retrouver ensuite chez les jeunes consommateurs ! Sans compter les litres de sodas surdosés en sucre qu’ils absorbent chaque jour. Seule l’eau irrigue d’une manière saine le cerveau. Les autres boissons gazeuses l’abîme, contribuant à transformer l’enfant en pile électrique. Enfin, mais il y aurait sans doute d’autres causes à évoquer, la pression exercée par les adultes pour obtenir l’investissement scolaire tant attendu constitue aussi un facteur de stress. Il est normal que l’on s’inquiète de l’avenir de nos enfants. Mais, on pense à tort que la réussite à l’école conditionne l’épanouissement à l’âge adulte. Ce qui n’est pas vrai. C’est avant tout notre propre réussite qui peut les encourager à nous imiter. Et ce dont ils ont le plus besoin, c’est que nous leur fournissions les procédures pour y arriver. Au moment des devoirs scolaires, par exemple, plutôt que des les enfermer pendant une heure pour faire leurs exercices ou apprendre leurs leçons, mieux vaux alterner trente minutes de jeux à l’extérieur leur permettant de s’aérer l’esprit, puis vingt minutes de travail scolaire, et ainsi de suite.
 
JDA : Justement, quelles doivent être, pour les adultes, les attitudes les plus appropriées ?
Isabelle Filliozat : Ce qui compte le plus pour l’enfant, c’est de remplir son réservoir d’amour. Il doit bénéficier de notre part du maximum de tendresse, de bienveillance et d’affection. Nous sentir inconditionnellement à ses côtés constitue pour lui la base de confiance qui va lui permettre de se construire harmonieusement. Il faut lui permettre de progresser dans l’élaboration de son pouvoir personnel. Cela passe par la valorisation de ses compétences et de ses réussites. Même quand ce qu’il a produit ne nous convient pas, il ne faut pas rester sur le négatif, mais toujours privilégier le positif.  S’il n’a pas rangé toute la vaisselle du petit déjeuner, mais a seulement mis son bol dans l’évier, mieux vaut souligner ce qu’il a fait de bien que de lui reprocher ce qu’il n’a pas fait. Plus on décrit, on approuve et on encourage ses actes allant dans le bon sens, plus il sera tenté de les amplifier. Ce n’est pas facile, car notre esprit a trop l’habitude de se focaliser sur ce qui ne va pas, en le stigmatisant. L’expérience nous montre que les critiques stériles produisent un cercle vicieux qui ne mène à rien. Il est peut-être temps d’essayer autre chose, en créant un cercle vertueux qui privilégierait ses forces plutôt que ses faiblesses. On peut bien sûr se fâcher contre lui, parce qu’un conflit a éclaté ou qu’il a eu un comportement que l’on désapprouve. Mais, il ne faut jamais resté sur cet échec et tout faire pour réparer et se réconcilier au plus vite.
 
JDA : … et celles qui le sont moins ?
Isabelle Filliozat : Il faut bannir tout ce qui va dévaloriser l’enfant, douter de ses compétences et couper la relation avec lui. Rien de pire que le chantage (« je ne te parlerai plus tant que… »), les formules de rejet (« tu n’es plus mon fil, ma fille… ») ou de dénigrement (« tu es un bon à rien »). Se pose souvent la question de la punition. Si punir avait un effet constructif sur l’enfant, cela se saurait. Beaucoup de parents sont désemparés, persuadés que s’ils ne doivent plus punir leurs enfants, cela veut dire qu’ils doivent les laisser faire. Il leur manque des idées. Il n’existe pas de catalogue des bonnes réponses à avoir. Chaque situation unique entraîne une réaction singulière. Ce qu’il faut privilégier, c’est à chaque fois tenter de comprendre d’où peut venir le comportement de l’enfant. Une directrice d’école primaire avait convoqué une maman pour l’informer de son intention d’exclure son fils, s’il ne changeait son comportement qui était ingérable tant par rapport à son enseignante qu’à l’égard des autres élèves. Cette mère est allée consulter une psychanalyste qui lui a conseillé de poser plus de limites. Ce qu’elle a fait.  La situation a empiré à l’école. C’est l’une de mes anciennes élèves, devenue thérapeute, qui a ensuite été contactée. Elle a longuement échangé avec cette dame et a appris qu’elle avait repris le travail, son activité professionnelle la rendant très peu disponible à son enfant. Le diagnostic une fois posé, il a été préconisé que chaque matin, elle consacre dix minutes à son fils à des câlins et à des jeux, l’important étant de rétablir le contact qui s’était distendu. Le résultat a été spectaculaire : l’enfant s’est apaisé à l’école. A tous ceux qui conseillent de « poser des limites », je réponds que lorsque le lait se met à bouillir et va déborder de la casserole, rien ne sert de mettre le couvercle. Il faut fermer le gaz qui porte le liquide à ébullition. Ce dont il s’agit donc, c’est bien de s’attaquer aux causes plutôt qu’aux effets.
 

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Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1226 ■ 03/04/2018