Peyroux Olivier - Les mineurs non accompagnés

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Sociologue, spécialisé dans l’étude des migrations et de la traite des être humains, Olivier PEYROUX a été chargé en 2016, par L’UNICEF d’une enquête sur les enfants non accompagnés vivant sur le littoral du Nord et de la Manche (« Ni sains, ni saufs »), démontrant les nombreux dangers auxquels ils sont exposés. Les témoignages des mineurs qu’il nous livre ici sont issus des entretiens qu’il a pu avoir avec eux.
 
JDA : Quels étaient les motivations de la migration de ces mineurs ?
Olivier Peyroux : certains étaient mandatés par leur famille qui attendait d’eux qu’ils trouvent du travail et leur envoient de l’argent. Pour d’autres, il s’agissait de rejoindre un oncle déjà installé en Grande Bretagne. Il y en avait d'autres qui avaient un projet d’insertion par les études : rejoindre l’Europe, se former pour avoir une vie plus digne que dans leur pays. Enfin, certains fuyaient une situation familiale conflictuelle. Dans beaucoup de cas la pression sur leurs épaules étaient très lourde, leur famille, voire même tout le village, s’étant endettés pour permettre ce voyage. Les plus pauvres savaient qu’ils mettraient des années à rembourser l’argent qui leur avait été avancé : 8 à 15.000 euros pour arriver jusqu’à Calais et encore de 5 à 8.000 euros pour passer en Grande Bretagne.
 
JDA : Dans les bidonvilles, comment vivaient-ils ?
Olivier Peyroux : Les conditions sanitaires dans lesquelles ils vivaient étaient très précaires : la boue, le froid, l’impossibilité de se laver ou de trouver à manger (même si des distributions ont été organisées à la fin). Les adolescents étaient mélangés avec les adultes, voire sous leur coupe. Pour survivre, il leur fallait trouver un protecteur qui se faisait payer en retour, soit en demandant aux familles restées au pays de lui envoyer de l’argent, soit en obligeant les mineurs à travailler pour eux : aider les passeurs pour guider les migrants ou surveiller les aires d’embarquement, porter des sacs, aller faire des courses ou acheter tu tabac, ramener de la nourriture. 
 
JDA : À quelles violences ont-ils été exposés ?
Olivier Peyroux : Les mineurs non accompagnés nous ont parlé de trois types de violences auxquelles ils étaient confrontés. C’est d’abord des agressions sexuelles allant jusqu’aux viols collectifs imposés par leur « protecteurs » et leurs copains. Mais, ils nous ont aussi parlé de leur crainte de la police qui cherchait à détruire leurs abris et pouvait les frapper, quand ils se faisaient arrêter. Leur troisième appréhension, qui s’est amplifiée aujourd’hui, concernait les conflits intercommunautaires, quand ils étaient pris au milieu des bagarres entre migrants des différentes nationalités.
 
JDA : Quelles réponses ont apporté les pouvoirs publics ?
Olivier Peyroux : Ce qui m’a le plus étonné au cours de mon enquête, c’est de constater qu’il pouvait y avoir sur le territoire français des mineurs non répertoriés, non enregistrés, non connus qui erraient, dans des bidonvilles sans que les professionnels chargés de la protection de l’enfance ne les aient jamais rencontrés. Lorsque la jungle de Calais a été détruite, en octobre 2016, on a comptabilisé plus de 2.000 mineurs non accompagnés dont la grande majorité était inconnue des services de protection de l’enfance. Le plus jeune était âgé de 9 ans, même si les plus nombreux étaient les 16 ans et plus.  
 
JDA : Comment a réagi la société civile face à cette situation ?
Olivier Peyroux : les associations humanitaires qui sont intervenues ont déployé une immense bonne volonté, mais ont agi d’une manière très éparpillée, sans aucune coordination, ni prise en compte des besoins spécifiques des mineurs. Ce qui a beaucoup manqué, c’est l’intervention de professionnels aguerris spécialistes de la protection de l’enfance qui seraient allés à la rencontre de ces mineurs, en se faisant aider par des interprètes pour évaluer au cas par cas la situation de chacun d’entre eux.
 
JDA : Êtes-vous optimiste pour l’avenir des mineurs non accompagnés ?
Olivier Peyroux : Aujourd’hui, la situation n’a guère évolué, les mineurs s’étant juste déplacés du Nord de la France vers la région parisienne. Notre pays est très en retard par rapport à ses voisins européens dans la prise en charge de ces mineurs. Dans des pays comme l’Allemagne, le Royaume uni ou l’Espagne, il est inconcevable de les laisser ainsi livrés à eux-mêmes et déscolarisés. Il faudrait sans doute que l’État décide de prendre le relais financièrement des départements qui ne sont plus en capacité financière de gérer ce problème. Mais pour cela, il faudrait qu’il y ait la volonté politique de s’y attaquer.

http://opeyroux.blogspot.fr/


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Jacques Trémintin – Journal de L’Animation ■ n°188 ■ avril 2018