Deniau Lionel - ITEP

Où en sont les ITEP, en 2011 ?

L’ AIRE*, qui fédère plus 75% des Instituts Thérapeutiques, Éducatifs et Pédagogiques, s’est engagée depuis plusieurs mois dans une réflexion qui pourrait bien révolutionner les pratiques professionnelles. Lionel Deniau, son Président d’honneur, nous explique cette évolution majeure.

Comment la réflexion, que vous menez, est-elle née ?
Elle est issue d’une démarche engagée, depuis des années. Notre réflexion a pris un relief particulier, quand le 3 février 2010 le Conseil de l’Europe a publié une recommandation qui en appelait à la désinstitutionalisation de la prise en charge du handicap. Il nous a semblé qu’il y avait là une nette confusion entre institution et établissement d’une part, entre institution et enfermement, d’autre part. Ce qui fait institution, ce ne sont pas que des murs, c’est avant tout une organisation, des règles de fonctionnement, une éthique qui guide l’action. Une institution peut tout à fait fonctionner « hors les murs », comme elle peut agir, sans avoir besoin d’enfermer les usagers auprès de qui elle intervient. Plutôt que de demander, comme le fait le Conseil de l’Europe, de remplacer les établissements par des services de proximité, nous avons préféré réfléchir à la diversification des réponses à apporter. C’est dans la continuité de cette prise de position, que l’Aire a développé un nouveau concept qui fait largement place à l’innovation : celui de « dispositif ITEP ». Tout au long de l’année 2010, nous avons organisé un tour de France, pour réfléchir avec nos adhérents sur cette pratique, avant qu’elle ne soit validée par notre dernier congrès de Caen, tenu au mois de décembre dernier. Les dix journées inter régionales qui se sont déroulées ont été l’occasion de rencontrer des représentants des Agences régionales de santé, des Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH), de l’Éducation Nationale et bien d’autres partenaires associatifs. Nous avons aussi multiplié les rencontres avec les représentants des ministères, au premier rang desquels Madame Monchamp, secrétaire d’État chargée de la cohésion sociale et de la solidarité. Nous avons encore eu le soutien de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Nos propositions ont reçu un accueil très favorable.

Cela signifie-t-il que les ITEP ont atteint leurs limites, dans leur fonctionnement actuel ?
Notre préoccupation permanente reste bien de répondre aux difficultés psychologiques de ces jeunes qui provoquent des désordres tant dans leur famille, qu’à l'école, au sein de l'établissement ou du service les prenant en charge. Les impasses provoquées par leurs attitudes bousculent autant leurs proches que leur environnement, sans que ni les uns, ni les autres ne réussissent à y répondre. Pour relever ce défi, la simple juxtaposition de modalités d’accompagnement ne suffit pas. Nous mesurons, au quotidien, les limites de l’intervention des ITEP, dès lors où l’on s’en tient à une orientation figée vers soit un internat de semaine, soit un semi internat, soit un SESSAD, soit un accueil temporaire ou séquentiel. La question est bien de savoir comment rester au plus près de l’enfant et de sa famille, de là où ils en sont, dans le moment présent, en tenant compte de leur évolution et des besoins qu’ils manifestent. Si l’orientation vers un internat éducatif s’avère nécessaire, pour un jeune en très grande difficulté, rien ne doit interdire le passage à un suivi plus léger, de type ambulatoire, si cela apparaît pertinent, au bout de quelques mois. Si à l’inverse, ce même jeune agresse son professeur au collège ou s’il est en crise aiguë dans sa famille, on doit pouvoir le réintégrer très vite à une scolarisation interne ou à un internat. On ne peut se montrer réactifs et ajuster au mieux le projet individualisé d’accompagnement préconisé par la loi de 2005, qu’en imaginant des réponses qui soient adaptables, souples et modulables.

Et c’est là qu’intervient le concept de dispositif …
Effectivement. Plus que l’addition des moyens structurels existants, le dispositif ITEP prend sa vraie dimension dans la conjugaison des moyens fonctionnels et des ressources humaines, mises en œuvre en fonction des besoins du jeune. Il propose une coopération mêlant professionnels d'ITEP, partenaires, familles, usagers, et autres intervenants. Il organise des complémentarités d’accompagnement entre services permettant une fluidité des parcours. Il assure des mutualisations institutionnelles, favorisant des passages souples et en temps voulu d’un service à l’autre, des interventions dans et/ou hors les murs, des suspensions d’accompagnement pour une reprise de ceux-ci sous une autre forme … Pour répondre à cette logique, il est essentiel que la notification d’orientation fasse apparaître la notion de « dispositif ITEP », sans autre mention particulière. Certaines MDPH se sont, dès à présent, prononcées dans ce sens. D’autres sont apparues sinon plus rigides, du moins bien plus prudentes, continuant à indiquer dans leurs décisions, les modalités précises de prise en charge de chaque établissement. Toute modification de l’orientation nécessitant une nouvelle décision en commission, cela retarde d’autant les adaptations qui parfois nécessitent d’aller vite. Nous avons bien conscience que le concept de « dispositif ITEP » pose de nombreuses questions quant au cadre juridique, à la tarification, au financement, mais aussi à la transparence et à la lisibilité de notre accompagnement. Mais nous sommes prêts à y travailler avec les instances adéquates.

La méthodologie que vous préconisez n’est-elle pas aux antipodes de ce que mène l’Éducation nationale au travers des établissements de réinsertion scolaire (ERS) qui s’adressent aux jeunes en grande difficulté ?
Cela fait des années que nous intervenons auprès de cette population. Nous possédons donc une véritable expertise dans la gestion de ces jeunes en grande difficulté. Nous avons été les premiers étonnés, de ne pas être consultés. L’erreur principale commise par l’Éducation nationale a été, je crois, de vouloir concentrer dans le même endroit, qui plus est, éloigné de leur lieu de résidence habituelle, des élèves dont la problématique ne peut être gérée, par un seul établissement. Les jeunes que nous recevons dans nos propres établissements posent des problèmes réels et nous mettent souvent face à une incertitude sur la conduite à tenir. La nécessité d’une coopération est donc cruciale. Nous ne cherchons pas à régler tout seul, en interne, leurs comportements. Nous essayons de travailler en coordination tant avec l’Éducation Nationale qu’avec la pédopsychiatrie ou les services de protection sociale. Cette expérimentation des ERS fait écho à notre propre histoire. Nous avons mis des années à remettre en cause le triple agrément qui permettait d’admettre des enfants et des adolescents relevant soit de l’Aide sociale à l’enfance, soit de la Protection judiciaire de la jeunesse, soit de la sécurité sociale. Les anciens instituts de rééducation étaient à toutes les places. Les juges pouvaient leur confier des jeunes en placement direct et l’aide sociale à l’enfance les considérait comme variable d’ajustement des places de leurs propres maisons d’enfants. Ce cumul explosif ne pouvait que provoquer des situations ingérables. La circulaire de 2007 qui définit avec précision la fonction des ITEP est venue couronner toute une démarche cherchant à recentrer l’action sur l’accompagnement et le soin. Une seule habilitation a subsisté, celle relevant du médico-social. Nous avons pu mettre un terme à la tentation de remplacer l’école, les foyers de placement judiciaire, l’Aide sociale à l’enfance ou les hôpitaux de jour. En refusant de vouloir suppléer l’un ou l’autre, ou pire encore, de vouloir être les quatre à la fois, les ITEP n’ont pas cherché à se refermer sur eux-mêmes, mais au contraire à travailler en étroite collaboration avec l’Éducation nationale, la Protection judiciaire de la jeunesse, les Conseils généraux ou la pédopsychiatrie. C’est en articulation avec les uns et les autres que nous pourrons ensemble répondre le mieux aux difficultés, que la fragilité psychique, émotionnelle ou émotive de ces enfants produisent.


Lire le reportage : Voyage à Amizmiz - ITEP


*Association des Itep et de leur Réseaux : www.aire-asso.fr
Metis Europe www.metis-europe.eu

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1017 ■ 05/05/2011