Tison Brigitte - Lignes téléphoniques sociales

Radiographie des lignes d’écoute téléphonique

Brigitte Tison est psychologue dans un service de pédopsychiatrie et enseignant chercheur à l'Université Paris V, Institut René Descartes. Forte de son expérience d’ancienne écoutante à la ligne SOS enfant maltraité, elle nous parle de cette fonction très particulière.

Quelles sont les spécificités de l’entretien par téléphone ?
J’en vois au moins trois. La première d’entre elles a trait à une écoute centrée sur la voix. Ce qui est en jeu, c’est à la fois sa forme, son intonation et son rythme, mais tout autant son contenu : le discours dont elle est le support. L’écoutant doit rester très attentif et concentré, pour essayer de décrypter ce qui va être à chaque fois particulier et significatif pour chaque personne qui appelle. Son écoute doit recevoir et s’adapter à la parole entendue, mais aussi savoir la contenir. La seconde caractéristique relève de la garantie d’anonymat. On ne demande jamais l’identité de l’appelant. Quand on devine que l’on a à faire à un enfant, on peut juste se permettre de glisser progressivement du vouvoiement au tutoiement. Enfin, troisième caractéristique, mais il y en aurait sans doute bien d’autres, le respect absolu de la relation qui s’établit. Aucun appel n’est jetable. Même lorsque certains adolescents le font pour s’amuser. Derrière le canular, voire l’insulte, se cache souvent une détresse ou un besoin de dialogue qui ne veut pas se dire d’emblée. On ne compose pas un tel numéro, complètement par hasard.

Quelles sont les conditions optimales et les erreurs à éviter pour réussir un tel entretien ?
Il me semble essentiel, tout d’abord, que l’écoutant soit placé dans un environnement confortable. Il doit se sentir bien, installé dans de bonnes conditions et protégé des parasites que constituent le bruit ou les conversations alentour. Mais il est tout autant nécessaire qu’il soit suffisamment serein. Cela se sent tout de suite, quand il est soucieux. Et s’il n’apparaît pas disponible, l’appelant ne s’autorisera peut-être pas à se livrer ou ne se sentira pas en confiance. D’où la nécessité de se distancier de ses propres problèmes, pour réussir à entendre ceux des autres. Autre condition encore, la rigueur du comportement qui passe par la maîtrise de ses émotions. Cette neutralité n’exclut pas l’empathie, mais sert à canaliser des réactions qui pourraient être soit moralisatrices, soit compassionnelles. C’est d’autant plus important, quand les difficultés de l’appelant viennent percuter ou raviver ce que l’écoutant a connu ou est en train de vivre. Pour ce qui est des erreurs à ne pas commettre, il y a surtout celle qui consiste à répondre au coup par coup, dans l’immédiateté, sans laisser l’appelant avancer par lui-même. On est là pour éclairer sa problématique et lui permettre de trouver ses propres solutions, non pour lui dire comme faire. Mais, ce n’est pas non plus une thérapie. On ne fait d’ailleurs pas de suivi. Si la personne rappelle, elle n’aura pas le même écoutant. Avec une exception parfois pour des adolescents particulièrement fragiles (victimes d’une agression sexuelle ou suicidaires) qui peuvent obtenir de parler avec le même écoutant.

Justement, à quel moment l’aide peut-elle (doit-elle) venir compléter la simple écoute ?
On peut très bien donner des conseils, par téléphone. Ce sont souvent les appelants qui orientent l’entretien dans ce sens. Il ne s’agit pas de délivrer un mode d’emploi ou des recettes, mais de reformuler ce qu’on a compris de la question et de faire état des pistes qui semblent les plus appropriées. L’essentiel est surtout de rester attentif à la souffrance, à la détresse ou à la problématique qui peut se cacher derrière une demande, en apparence anodine ou simple ... et d’encourager à aller consulter un professionnel pour se faire aider.

Quels sont respectivement les avantages et les inconvénients de l’entretien par téléphone en comparaison avec un face à face ?
L’entretien par téléphone ne permet pas, par définition, de voir la personne. On ne peut donc pas repérer ses mimiques, ses signes de nervosité ou de trouble, ses postures corporelles. Dans l’impossibilité de percevoir l’autre dans sa globalité, il nous reste sa voix qui nous incite à tenter de le comprendre de l’intérieur. Ces inconvénients se posent, tout autant, pour l’écoutant que pour l’appelant. Pour ce dernier, il y a par contre un immense avantage, c’est de pouvoir rester incognito. Le parent violent avec ses enfants, le malade atteint du Sida qui ne veut pas que cela se sache, l’adolescente victime d’inceste n’iront pas forcément rencontrer spontanément un professionnel. En appelant par téléphone, ils ont la garantie que ce qu’ils vont révéler n’aura pas de conséquences pour eux, puisqu’on ne peut savoir qui ils sont. Ce support constitue à la fois une possibilité de trouver un interlocuteur et à la fois un premier pas qui pourra peut-être se prolonger par un contact avec un travailleur social ou un thérapeute.

Ce mode d’intervention sociale est-il destiné à se développer à l’avenir ?
Depuis leur création, les lignes d’écoute téléphonique n’ont cessé de se multiplier, en France, comme dans le monde entier. Je pense qu’elles ont un bel avenir devant elles. Avec la généralisation du téléphone mobile qui est devenu un outil dont beaucoup, et les jeunes en particulier, ne semblent plus pouvoir se séparer, on peut imaginer qu’elles deviennent un support important de prévention, d’information et d’aide. Avec la réaction que l’on a aujourd’hui de téléphoner pour un oui ou pour un non, je pense que le réflexe d’appel un numéro spécialisé, quand on rencontre des difficultés, pourrait bien devenir des plus banal. Des services très bien conçus comme ceux de l’Ecole des parents ou encore d’Allo parlons d’enfants préfigurent ce qui pourrait bien se développer dans les prochaines années.


Lire le reportage : Allo, Parlons d’enfants - Rennes (35)
Lire l'article : Les lignes téléphoniques à caractère social

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1033 ■ 06/10/2011