L’araignée sur l’épaule

Carmen RICHARD, Robert Laffont, 1998, 263 p.

La pratique du placement familial a connu depuis une vingtaine d’années de profondes transformations. Finis les vestiaires centraux où la gardienne venait quérir chaque année la vêture réglementaire, véritables uniformes habillant tous les enfants de la DASS de manière identique. Finies ces visites d’assistantes sociale seulement une à deux fois par an. Finies ces familles nourricières abusives perpétuant le malheur et la misère d’enfants qui attendaient pourtant qu’on leur donne une nouvelle chance dans la vie.

Mais ce passé dont on veut résolument tourner la page n’est pas si éloigné que cela. A preuve, ce récit tout à fait terrifiant que nous fait Carmen Richard et qui se déroule dans le milieu des années 80.  Accueillie dans une famille nourricière manifestement psychopathe, elle va connaître les pires mauvais traitements physiques et psychologiques. De la nourrice elle explique : “ on dirait qu’elle n’est jamais heureuse et nous le fait payer ”. Du père de la famille d’accueil, elle subira un abus sexuel continuel. Pour s’en protéger l’enfant en vient à refuser de se laver : “  à force, ça sent le moisi, le renfermé, le poisson pourri. Je voudrais bien que ça le dégoûte, qu’il ne vienne plus dans ma chambre pour faire ses sales choses ”. Et pourtant, elle s’y accroche à ces personnes qui sont les seules à s’occuper d’elle depuis qu’elle a deux ans. Lorsqu’intervient un changement de famille d’accueil, c’est l’échec. L’enfant s’en attribue la responsabilité : “ j’ai mal fait mon travail. J’aurais du m’occuper de mon nouveau père ”. Un troisième placement ? L’adolescente est là aussi victime de la perversion sexuelle du mari. Seul moment de répit : quand elle séjourne dans la famille de sa meilleure amie. Là, elle s’étonne : “ son père ne cherche pas à me coincer. Je reste profondément persuadée que tous les pères font des saloperies avec leur fille et que seuls les garçons y réchappent ” L’assistante sociale qui s’occupe de Carmen reste aveugle à ce qui se passe. Elle ne sait que plaindre les courageuses familles qui ont tant de mal avec cette enfant caractérielle !

La lecture de ce récit fait vraiment froid dans le dos. Toutes celles et tous ceux qui sont concernés par le placement familial devraient le lire afin de savoir que ça aussi, ça existe. Ils pourraient alors continuer avec encore plus d’énergie leur combat pour faire en sorte que le cri du coeur de Carmen se réalise : “ je rêve à une vraie mère, douce, gentille, pleine d’attention et à un père qui ne viendrait pas me rejoindre dans mon lit quand je dors, un papa tendre qui ne me prendrait pas pour sa femme ”.   

                                                                

 Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL  ■ n°459  ■ 22/10/1998