Laëtitia

JABLONKA Ivan, Ed. du Seuil, 2016, 390 p.

L’étude que consacre Ivan Jablonka au destin de Laëtitia Perrais est d’une retenue, d’une empathie et d’un respect qui, pour forcer l’admiration, n’en oublie pas une précision minutieuse, une analyse millimétrée et un souci saisissant du détail. L’auteur manipule avec une dextérité méticuleuse le scalpel autant que le scanner pour pénétrer au plus profond de l’affaire, le radar autant que le sonar pour explorer les couches apparentes et les plus enfouies de la psyché humaine, le microscope autant les jumelles pour étudier les implications micro et macro sociales en jeu. Plusieurs lectures sont possibles : l’enquête judiciaire, le procès, l’onde de choc médiatique, l’impact sur les services de probation, la révolte des magistrats, voire même la récupération politique sécuritaire d’un Sarkozy qui fit titrer par Charlie Hebdo « Démembrée par un barbare, récupérée par un charognard ». Privilégions ici l’investigation sur un échantillon de la protection de l’enfance. La victime, comme le meurtrier débutent leur enfance dans de lugubres conditions. Tony Meilhon, qui expliquera « on naît pour être prédateur ou victime. Je suis un prédateur » est le second enfant d’une mère violée par son propre père. Entre deux incarcérations, il survit comme ferrailleur, ingurgitant quotidiennement un litre de whisky, plusieurs packs de bière, quinze à vingt joints, deux à trois grammes de cocaïne et de l’héroïne pour faire baisser le speed de la coke. Laëtitia et Jessica ont pour père Franck Perrais un homme malmené par la vie, peu instruit, irritable et violent, déjà incarcéré pour avoir violé leur mère. Sylvie Perrais vit avec une peur viscérale de son père qui boit et cogne, de son mari qui la lacère de coups de cutter et la pénètre quand ça lui chante. Laëtitia et Jessica ont été retirées, la justice ayant invalidé les compétences éducatives d’un père menaçant et d’une mère terrorisée. Elles sont accueillies dans une maison d’enfants, avant d’être placées dans une famille d’accueil. L’assistant maternel Gilles Patron, homme à poigne et leader fortement investi dans le social pour ses laudateurs,  psychorigide, imbu de sa personne et à l’ego surdimensionné pour ses détracteurs va prendre la tête d’une croisade contre le crime sexuel, jusqu’à ce qu’il soit lui-même convaincu d’agression sexuelle sur Jessica et condamné à huit ans d’incarcération. Voilà certains des principaux protagonistes de l’assassinat et du démembrement d’une jeune fille de 18 ans qui n’aurait jamais du intéresser ni les journalistes, ni les politiques, ni les universitaires, si elle n’avait croisé la route de son tortionnaire le 18 janvier 2011.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1200 ■ 02/02/2017