Lieux de vie et d’accueil. Réhabiliter l’utopie

MINART Jean-Luc, Ed. érès, 2013, 224 p.

Passé, présent et futur des lieux de vie et d’accueil font l’objet sous la plume de Jean-Luc Minart d’une synthèse particulièrement bien conçue, à même d’apporter les éclairages que le lecteur chercherait sur cette approche éducative. C’est dans les années 1970 qu’émergent ces espaces atypiques, dont l’égérie (Ferdinand Deligny) est longuement présentée par l’auteur. Fruit du refus du traitement coercitif de la folie et des déviances, de la méfiance des scléroses professionnelles et de l’anticonformisme, ils sont les héritiers tant de la psychothérapie institutionnelle, que de l’anti-psychiatrie et de la critique soixante-huitarde du contrôle social. Il faudra attendre trente ans pour que la Loi de 2005 les intègre officiellement dans le dispositif institutionnel de l’action sociale. Gageure que de vouloir définir des lieux marqués avant tout par leur hétérogénéité, leur singularité et leur originalité. L’auteur s’y essaie avec bonheur. Ce qu’ils partagent ? L’éclectisme théorique, le partage du « vivre avec » entre permanents et accueillis dans un lieu qui lui est dédié, la prise de risque autour d’un quotidien marqué par la proximité et la taille réduite de l’espace. Ce qui les distingue ? Les uns se centrent sur le lien qui se crée, la rencontre qui émerge, l’interrelation qui s’établit. Les autres s’appuient sur une activité forte (équitation, chantiers, élevage…) utilisée soit comme une médiation thérapeutique, soit comme support à un apprentissage professionnel. D’autres encore privilégient la réinsertion de l’accueilli (parentalité de la mère reçue avec son enfant, rescolarisation du décrocheur, insertion professionnelle). Permanent de lieu de vie et d’accueil, c’est être à la fois éducateur, infirmier, cuisinier, chauffeur, aubergiste, comptable, secrétaire, organisateur de loisirs… C’est un peu un métier, un peu un mode de vie en marge, une activité un peu sous contrôle, ce flou étant justement ce qui permet la créativité et l’innovation. Cette activité polymorphe a du mal à entrer dans les cases règlementaires. L’assimilation au secteur social et médico-social, s’il permet de sécuriser les parcours, présente aussi le risque d’une dilution des spécificités et d’un alignement sur une pensée conforme, simplifiée, clonée et asservie … Le travail prescrit, quand il s’agit d’accompagner des souffrances ou des déviances, doit rester indéterminé, imprécis et incertain. Ce que ne supporte guère la dérive contemporaine de standardisation, de normalisation et de rationalisation aux antipodes des valeurs ayant présidé à la naissance de ces lieux.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1195 ■ 18/10/2016