La part sensible de l’acte. Présence quotidienne en éducation sociale

LIBOIS Joëlle, IES Éditions, 2013, 302 p.

Le travail social se fonde autant sur les savoirs validés et les méthodes d’intervention, que sur les capacités à entrer en relation, la qualité de la présence étant alors bien plus importante que la simple présence. Pourtant, cette approche traditionnelle faite de soins, d’écoute et de considération s’est muée en quête d’efficacité, de projet et d’évaluation tournée vers un seul but : la responsabilisation de l’usager et le développement des ses compétences intrinsèques, sensés éviter l’assistanat. Joëlle Libois s’attache ici à réhabiliter les usages et les frottements de la vie quotidienne qui constituent autant d’interstices où se glisse le savoir-faire de l’acte éducatif. Nouage complexe dont l’enchevêtrement reste toujours inaccessible, ce travail est difficilement explicable rationnellement. Et pour cause : dans les métiers de l’humain, les prescriptions sont peu opérantes, l’engagement de soi prenant une place prépondérante. Quand le praticien pose des objectifs, il sait bien qu’il ne pourra être maître du résultat et qu’une part du déroulement lui échappera. L’intention ainsi affichée permet d’enclencher une action, sans préjuger de ce qu’elle va provoquer, ni d’éviter l’inattendu. La recherche de maîtrise de l’être humain témoigne de sa volonté de déchiffrer et de contenir l’accidentel et l’imprévisible. Mais, à l’intérieur de la chaîne de causalité qui se joue alors, des bifurcations surgissent, des créneaux s’entrouvrent et d’autres possibles se déploient. Les conséquences incertaines de l’agir sont peu prédictibles. Ce n’est qu’après coup qu’une mesure de ce qui s’est produit peut prend forme et sens, l’acte gardant néanmoins une part d’énigme et d’insaisissable. C’est pourquoi, comprendre l’activité des professionnels demande de s’intéresser aussi au non-visible, à l’indicible et à ce qui se joue dans la relation à l’autre. L’intelligence pratique, l’expérience informelle, la pensée concrète, le savoir-faire et la culture pragmatique qui constituent les soubassements du métier s’érigent à l’opposé de la connaissance objective et explicite qui tente d’obtenir des résultats attendus. Le surdimensionnement de la prévision et du devenir de l’acte tient pour beaucoup à la croyance dans le raisonnement, le calcul et la délibération qui l’emporteraient sur la perception directe, affective et sensible. Tout au contraire, c’est l’expérience émotionnelle qui constitue l’outil le plus performant dans les situations émergeantes du quotidien. Se laisser affecter, mais aussi se faire affecter en conscience, c’est réussir à articuler les compétences cognitives et le registre des émotions. Le cœur du métier, c’est faire face à l’impondérable, accepter d’être pris, voir surpris par l’imprévu et tenter de transformer cette confrontation en acte éducatif créatif. Le haut degré de complexité de cette pratique en constitue aussi tout l’intérêt et tout l’attrait.

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1183 ■ 14/04/2016