Guide de la protection judiciaire de l’enfant- Cadre juridique - Pratiques éducatives - Enjeux pour les familles

Michel Huyette, Dunod, 1997, 5912 p.

L’ouvrage de Michel Huyette mérite de devenir le livre de chevet de tout intervenant confronté à la justice des mineurs. Ses 591 pages ne doivent pas effrayer: l’ouvrage ne se lit pas, il se dévore. D’une écriture simple et limpide, il place la matière juridique à la portée de tout lecteur même non-familiarisé au droit. Les précisions apportées évitent les polémiques de spécialistes pour répondre aux problèmes quotidiens rencontrés par les acteurs de terrain. L’auteur, ancien juge des enfants, n’épargne personne dans sa démonstration: à nul autre endroit de l’institution judiciaire affirme-t-il, les procédures légales sont autant malmenées que dans la justice des mineurs. Les nombreux dysfonctionnements sont liés pour l’essentiel au non-respect par les professionnels des règles légales. Michel Huyette illustre sa thèse en reprenant toute la procédure judiciaire depuis l’ouverture du dossier (chapitre 1) jusqu’à la protection jeune majeur (chapitre 16) en passant par toutes les étapes intermédiaires: mesures d’investigation, audience, critères d’intervention du juge des enfants, décision, AEMO, placement, contenu des écrits, mineurs délinquants, recours en appel, etc ...

Premier rappel salutaire et essentiel: la justice est basée sur un principe fondamental, celui du contradictoire. Les conséquences sont nombreuses. L’origine du signalement ne peut rester anonyme. Qui plus est, il n’y a pas de place juridique pour une quelconque confidentialité ou un secret entre un service socio-éducatif, un expert, un mineur ou un parent et le juge. Toute information utilisée dans la procédure devra être disponible à toutes les parties en toute transparence. Entorse de taille à ce principe: l’impossibilité pour la famille d’avoir accès à son dossier en dehors de l’intermédiaire d’un conseil. Le débat contradictoire s’en trouve limité grandement d’autant que dans la procédure civile, l’avocat est rarement présent. Pour respecter ce droit au contradictoire, il conviendrait soit de rendre ce dernier obligatoire ou d’autoriser le libre accès des familles aux pièces du dossier.

La loi fait obligation au magistrat d’entendre les parents avant d’ordonner toute mesure d’investigation. Il est de même contraint d’auditionner le mineur à un moment ou à un autre de la procédure (toute abstention devant être exceptionnelle et dûment justifiée). L’une et l’autre de ces conditions sont incontournables sous peine de nullité de l’action juridique engagée. Sur le terrain pourtant, il n’est pas rare de rencontrer des parents non convoqués pendant des mois et des enfants qui n’ont pas rencontré le juge qui les a placés et ce depuis des années.

L’intervention du juge des enfants est subsidiaire à celle d’autres magistrats (tel le juge des affaires familiales), aux capacités de la famille à régler ses problèmes en comptant sur ses propres ressources et à l’intervention des services sociaux. Elle est toujours provisoire et liée à un danger encouru par le mineur. L’autorité parentale est préservée même si elle comme mise entre parenthèse. En cas de placement, la famille garde un droit de regard essentiel sur son enfant. Les grandes décisions le concernant devront avoir impérativement son aval. C’est son avis qui l’emporte, le juge étant le seul habilité à trancher en cas de désaccord avec les éducateurs. Mais combien de familles connaissent ce droit ? Les moyens d’action du magistrat se limitent à des ordonnances et des jugements rendus après convocation des parties, leur audition contradictoire et une décision notifiée à chacun. La lourdeur de la procédurerend impossible pour le juge l’intervention dans le quotidien des centaines de dossiers qu’il a à gérer. C’est cette réalité qui l’amène souvent d’ailleurs à confier le mineur à l’Aide Sociale à l’Enfance, charge à cette dernière de gérer l’évolution du placement ( famille d’accueil, foyer, lieux de vie, ...) le passage de l’un à l’autre n’exigeant pas à chaque fois l’organisation d’une audience (ce qui serait le cas si l’enfant était confié directement à chaque lieu de placement). A noter que chaque jugement doit être signifié par écrit à tout mineur de plus de 16 ans. Ce qui est rarement fait !

Michel Huyette déplore la faiblesse, la banalité et le caractère stéréotypé et passe-partout des écrits utilisés au sein de l’institution judiciaire. Cela concerne tout autant les motivations des décisions du juge que des rapports socio-éducatifs qui regorgent d’allégations floues ou non-étayées autant que de termes vagues. Mais l’inadaptation des écrits des travailleurs sociaux destinés aux procédures judiciaires semblent à la hauteur de la cacophonie des magistrats sur les exigences qu’ils peuvent avoir.

Autre pierre dans le jardin du secteur éducatif, le droit discrétionnaire que s’octroient nombre de directeurs de foyers dans les admissions. Les notions de contrat et les exigences d’adhésion au projet constituent autant de pratiques sans aucun fondement légal. L’hébergement et l’aide apportés à l’enfant représentent une mission de service public. Aucun texte de loi pas plus que les conventions d’agrément ne stipulent d’accord préalable à donner avant l’entrée du mineur. Que dire de ces méthodes de mise-à-pied, voire de renvoi définitif en cas d’incident, alors que seule une décision judiciaire peut autoriser un tel départ.

L’auteur consacre un de ses chapitres à la délinquance des mineurs. Il déplore l’absence de sanction qui renforce le sentiment d’impunité et l’impression de toute-puissance du jeune. Et de citer l’exemple de cette adolescente de 16 ans responsable de 43 délits, condamnée à 608 jours de prison au cours de 9 procès et qui attendra néanmoins 4 ans avant d’être arrêtée dans sa dérive par un premier emprisonnement.

Les pratiques judiciaires sont depuis longtemps incertaines, chaque magistrat ou chaque tribunal imposant ses propres variations. L’intervention d’avocats spécialisés dans le droit de l’enfance a présenté un espoir. Mais peu de familles leur font appel.  La législation française des mineurs propose un juste équilibre entre protection et atteinte minimale aux droits fondamentaux de l’individu. Encore faut-il revenir au respect scrupuleux des règles légales. C’est là le sens du travail brillant et essentiel que nous propose Michel Huyette.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°409  ■ 11/09/1997