Entre déchirure et soulagement. Des parents face au placement de leur enfant dans une collectivité de l’aide sociale à l’enfance

MAHÉ Jean-Louis, Ed. Champs Social, 2013, 298 p.

Après avoir donné la parole aux enfants placés (voir critique de livre : Désenchantements. Paroles d’enfants placés) et aux professionnels d’internat éducatif (voir critique de livre : Polyphonies en internat ), Jean Louis Mahé nous présente ici le troisième opus de sa trilogie, en s’intéressant au point de vue des parents. Il est intéressant d’entendre ces familles exprimer leurs ressentis, leurs émotions et leurs (des)espoirs. On est loin des représentations idéologiques stigmatisant ou idéalisant des parents sur lesquels on dit tout et n’importe quoi. Après qu’une brève vignette ait présenté leur situation, ils causent pour de vrai, l’entretien faisant l’objet d’une fidèle retranscription. Certes, l’échantillon qui s’exprime ici n’a rien de représentatif. Mais, ils donnent néanmoins leur avis. Ils se positionnent soit dans le déni permettant de mesurer le décalage entre ce qui est vécu par leur enfant et la conscience qu’ils peuvent avoir, soit dans un soulagement produit par un placement venu apaiser leur détresse. Qu’ils le reconnaissent ou non, ces parents ne s’en sortent pas. Ils n’y arrivent pas, qu’ils ne sachent pas vraiment assumer leur fonction ou qu’ils soient submergés par des enfants au caractère particulièrement difficile. Les propos qu’ils tiennent les humanisent, alternant la culpabilité, la colère ou le ressentiment. Ils peuvent tout autant exposer lucidement les raisons de la séparation que montrer l’incompréhension de ce qui leur arrive, avoir l’impression d’avoir pu utilement se faire aider ou, au contraire, se plaindre d’être victimes des services sociaux. Certains ont le sentiment d’avoir mis le doigt dans un engrenage, sans savoir comment s’en sortir, quand d’autres ne se voient pas reprendre leur enfant, comptant sur un placement de long terme. Et puis, il y a ceux qui affirment n’avoir pas été informés des raisons du retrait, sans que l’on sache s’ils n’ont pas vraiment entendu ou voulu entendre. Le placement de leur enfant les renvoie parfois à leur propre vécu, ayant été eux-mêmes placés ou ayant voulu l’être. Les relations aux professionnels de l’établissement sont d’autant plus satisfaisantes qu’ils ne se sentent ni jugés, ni méprisés ou exclus des questions essentielles concernant l’éducation de leur enfant. Ils expriment souvent le souhait d’être plus informés et associés à l’évolution de ce dernier, ressentant la suppléance tantôt comme une opportunité, tantôt comme une stigmatisation. Ils se sentent en confiance quand ils sont écoutés et compris, pouvant tisser un lien privilégié avec tel ou tel éducateur. Au final, on ne peut que s’étonner de la forte proportion d’adhésion de ces parents, tant est coutumière l’idée que le retrait d’enfant se fait sous forme d’arrachement, quand ce n’est pas de kidnapping.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1124 ■ 31/10/2013