Un faux boulot

LE CIL VERT, Ed. Delcourt, 2015, 128 p.

Le « faux boulot », c’est ce travail d’animateur et de responsable séjours de vacances pour adultes  porteurs de handicap mental et moteur qu’a occupé l’auteur à sept occasions, durant cinq étés et deux hivers. C’est sa mère qui ne cesse de lui demander quand il trouvera un « vrai travail », son activité d’alors n’ayant guère de légitimité dans une famille de prolos. Pourtant, tout au long de cette bande dessinée où se mêlent un réalisme sans fard et un humour ravageur, on ne peut douter de l’effectivité du travail accompli. Les vacanciers arrivent avec comme seule indication des codes pour le degré d’autonomie dans les déplacements (de A pour « se déplace seul » à D pour « se déplace avec une aide ») et de communication (de 1 pour « communique bien » à 4 pour « pas du tout »). Ils ont en outre, dans leurs bagages, ces piluliers indispensables pour la gestion de traitements très utiles pour éviter les grosses crises. En cas de problèmes (et il y en a souvent), trois solutions : les urgences, la gendarmerie et l’éducateur spécialisé d’astreinte de l’association employeuse. Et roulez jeunesse ! Les situations parfois pathétiques, souvent touchantes, fréquemment déstabilisantes s’égrènent au fil des pages, provoquant le sourire (face au désarroi des valides) et l’empathie (face à la détresse de nombreux adultes atteints de déficience), mais aussi posant toute une série de questions (face, par exemple, à l’absence de qualification des encadrants). Paranoïa, psychose, obsession, crises de violence, comportements irrationnels des vacanciers traversent ces pages. Mais, émerge tout autant la question de la place du handicap dans notre société du loisir, le droit à la sexualité des adultes différents, la difficulté d’adopter la bonne attitude face à la différence. Toujours respectueuse, jamais caricaturale, voilà une bande dessinée ingénieuse, réaliste et efficace qui décrit un monde trop souvent ignoré, le mettant à la portée d’un large public qui peut ainsi découvrir une réalité telle qu’elle se vit au quotidien, sans que l’on sache vraiment comment la décrire. Voilà qui est fait et ce n’est que du bonheur !

 

Jacques Trémintinnon paru Janvier 2016