Classer les exclus - Enjeux d’une doctrine de politique sociale

Jean Yves BARREYRE, Dunod, 2000, 184 p.

Les politiques sociales ont toujours eu recours à des grilles d’observation et à des modes d’interprétation pour orienter leurs manières de faire. Ces classifications fonctionnent sur la base de trois conditions : un inventaire préalable, une catégorisation par critères et l’assignation de l’individu à une place et une seule. Cette modélisation constitue une approche artificielle de la réalité : « il ne faut pas devenir dupes de nos propres œuvres, on ne saurait donner aucune valeur absolue aux classifications scientifiques, ni dans les livres, ni dans les académies » affirmait Claude Bernard (cité p.5). En outre, cette procédure n’est pas la même selon les lieux ou selon les époques. Ainsi, la classification française en matière de handicap favorise le repérage des psychopathologies ou des troubles psychiques. Illustration, le guide-barème qui est venu remplacer en 1993, pour les CDES/COTOREP, le code des pensions militaires d’invalidité et de victimes de guerre qui servait de référence jusque là. Cette nouvelle référence s’appuie sur l’appréciation des difficultés que la déficience engendre (exception faite des handicaps visuels et auditifs qui sont les seuls à être mesurés à partir des degrés de perte et d’atteinte physique). Aux USA, la classification se fixe plus sur les comportements et conduites sociales fortement marquées culturellement. Ainsi, elle n’hésite pas, par exemple, à valoriser l’extraversion (être actif, assuré, énergique et enthousiaste) et l’amabilité (être affectueux, indulgent, sympathique et confiant) ce qui correspond peut-être au profil du citoyen modèle américain, mais qui n’est pas sans poser problème quant à l’universalité des critères retenus.

L’approche des classifications a aussi évolué dans le temps. Au cours des cinquante dernières années, elle est passée d'un classement des personnes malades ou handicapées à une approche centrée avant tout sur le contexte social et culturel dans lequel elles vivent. Ainsi, le Classement International des Handicaps (dit CIH-1) adopté par l’OMS en 1980 privilégiait un modèle biomédical, décrivant un phénomène d’invalidation individuel. Il était conçu autour de trois étages : la déficience qui débouche sur l’altération de la l’incapacité et le désavantage social qui en résulte. La réforme proposée pour cette classification (dite CIH-2) renouvelle le triptyque en s’appuyant sur un modèle biopsychosial et aborde l’invalidation sur un registre d’interrelation plutôt multidimensionnel. Ainsi, la déficience du départ débouche-t-elle sur une activité au quotidien puis une participation à la vie sociale (dont il s’agit de mesurer les perturbations inhérentes au handicap).

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°552 ■ 16/11/2000