On vous écrit d’à côté

Léonard ANTHONY et Rachid NEKKAZ, Fixot, 1997, 244 p.

Léonard Anthony et Rachid Nekkaz font partie  de ces jeunes issus de la banlieue qui ont réussi. Collège, lycée, Baccalauréat, études supérieures … si ça n ‘a pas été facile tous les jours, ils s’en sont néanmoins sortis. Ce n’est pas pour cela qu’ils renient leur milieu d’origine. Tout au contraire, ils se sont donnés pour objectif d’aider leurs potes à dépasser l’horizon du “ R.M.C. ” (Réseau des Magouilles de la Cité) relayé à l’âge de 25 ans par celui du RMI. Pour amorcer la pompe, ils décident de regrouper dix de leurs copains autour d’eux et de produire un livre collectif. Incrédulité, scepticisme, résistances … le groupe est néanmoins constitué. Les premiers échanges tournent autour de l’argent facile : c’est le rêve de chacun d’entre eux, trouver le meilleur moyen de s’en sortir à moindre effort. Qu’à cela ne tienne, le sujet du bouquin est vite trouvé : ce sera la bourse . Le rapprochement est fulgurant : après tout “qu’est-ce qui différencie moralement un dealer d’un spéculateur ? ”(p.79). On peut effectivement se le demander ! Le groupe se met au travail avec enthousiasme. Lecture assidue du Financial Times, d’Investir ou de la Synthèse Financière. Enquêter dans le milieu financier implique des efforts tant vestimentaires que comportementaux mais aussi langagiers. Il s’agit en fait d’apprivoiser les manières du groupe de jeunes. C’est d’abord l’utilisation du langage châtié adéquat au téléphone. C’est ensuite le test du café de Flore : toute la petite troupe sapée sur son 31 va prendre une consommation dans le célèbre établissement parisien en essayant de se noyer dans la clientèle huppée. Il faudra toute la force de conviction de Léonard et de Rachid pour que le groupe n’applique le plan “ café basket ” (s’enfuir sans payer en comptant sur sa vélocité). Petit à petit, les arcanes de la bourse leur deviennent familiers. En se faisant passer pour des journalistes, ils réussiront à contacter les meilleurs experts financiers, jusqu’à prendre un abonnement à Chronoval (qui propose par satellite le programme de la bourse) et même ouvrir quelques temps un compte spéculatif. Six mois seront nécessaires pour écrire, réécrire et peaufiner le fameux livre “ Splendeurs et misères des actionnaires. La bourse, Eurotunnel et EuroDisney ”. Puis vient la longue quête pour trouver un éditeur. Contacts avec les présidentiables en 1995, les journalistes, passages à la télévision, intervention de l’Abbé Pierre, jusqu’à la rencontre avec Bernard Fixot qui leur demande d’écrire en plus le récit de leur aventure. Quarante mois auront été nécessaires pour atteindre enfin l’objectif fixé. Le résultat donne un livre détonant écrit dans un style alerte et fort agréable. On suit avec grand intérêt le cheminement de la bande de copains qui a voulu montrer que les jeunes de banlieue que l’on prend fréquemment pour des demeurés, des malfrats ou des voyous sont aussi capables de faire preuve d’un travail intellectuel brillant. Mais à force de vouloir “ prouver aux autres et à nous-même si oui ou non il est possible de réussir par soi-même et à partir de rien ” on risque de tomber dans l’idéologie libérale et le mythe du “ self-made man ”. Proposer comme vecteur d’insertion l’utilisation de l’actionnariat populaire est pour le moins étrange. Il a valu aux auteurs la réflexion bienvenue de Samy l’un de leur pote : “ avec toutes les magouilles que font les chefs d’entreprises, les banques, et merci de nous avoir ouvert les yeux là-dessus, je m’en fous de faire du recel ou même du deal ”(p.188).

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°447 ■ 25/06/1998