La fabrique des exclus

Jean MAISONDIEU, Bayard Editions, 1997, 264 p.

C’est bien un coup de gueule que pousse ici Jean Maisondieu : “ le groupe des exclus est une sorte de fourre-tout de plus en plus vaste dans lequel se retrouvent pêle-mêle tous les individus en délicatesse avec la vie ‘’’normale’’’ ” (p.19) attaque-t-il dès les premières pages. C’est bien en premier lieu ce qu’il appelle les “ inclus ” qu’il accuse d’égoïsme, eux qui, d’accoutumance en banalisation, ont élevé leur seuil de tolérance jusqu’à ce qu’ils se sentent eux-mêmes menacés. Et alors, là, c’est le sauve-qui-peut généralisé. La crainte de l’exclusion devient peur des exclus, la lutte contre l’exclusion, la lutte contre les exclus. Ils n’ont pas hésité à utiliser la sociologie pour accuser la société ou du moins ses dysfonctionnements tout en évitant ainsi toute remise en cause personnelle. Quand la question s’est trouve posée en terme de responsabilité individuelle, c’est tout naturellement vers les exclus qu’on s’est tourné en les assimilant à leur pathologie et en partant de leurs défauts pour les rendre coupables de leur sort. Il est si facile de présenter le mal-être vécu non pas comme une conséquence mais comme la cause de la désinsertion. Or, ce n’est ni le manque de travail, ni la maladie mentale, ni encore l’alcoolisme qui provoquent l’exclusion (ces facteurs étant à la fois entretenus par elle et ceux qui en même temps l’entretiennent). Non, ce qui est à l’origine du malaise qui marginalise c’est bien le fait de ne plus compter pour personne. Ce qui est en cause, ce n’est pas le manque à avoir, mais le manque à être. Le syndrome  d’exclusion est toujours contigu à une grave  blessure narcissique. Si la culpabilité peut être avouée, la honte est indicible : quand on ne compte plus, on pense ne rien valoir. C’est alors la désespérance qui entraîne le sentiment d’impuissance et d’injustice, la rage de subir et l’angoisse. “ Quand le manque d’estime de soi rejoint la peur de l’environnement pour inhiber le désir de se mettre en avant ou simplement de défendre sa place, l’insertion est problématique ” (p.100). C’est globalement que nous avons abandonné cette fraternité que nous vivions comme une loi naturelle au profit d’une solidarité qui relève du bon vouloir de chacun. Ce n’est pas la pitié que nous devons développer mais la compassion en reconnaissant l’exclu comme homme avant de l’identifier comme exclu.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°427  ■ 29/01/1998