Le sexe des émotions

Alain BRACONNIER, Odile Jacob, 1996, 209 p.

L’une des plus grandes mutations qu’aura connue notre civilisation en cette fin de XXème siècle, c’est bien le rétablissement d’un autre type de rapports entre les sexes.  Pour autant, il est encore long le chemin à parcourir: à compétence égale, il y a toujours pour les femmes un accès plus difficile aux postes de responsabilité et un salaire en moyenne inférieur de 26%. Alors qu’elles accomplissent en nombre d’heures les deux-tiers du travail dans le monde, elles ne perçoivent qu’un dixième du revenu total.  Quant au partage des tâches ménagères, il est passé de 1970 à 1990 de 54 à 65 minutes par jour pour les hommes contre un léger abaissement pour les femmes de 3H15 à 3H09 !
La juste revendication d’égalité des sexes ne doit pas pour autant être confondue avec les différences qui les caractérisent. Alain Braconnier se propose dans ce nouvel essai d’élucider ce qui dans le vécu et l’expression des sentiments est particulier aux garçons et ce qui est spécifique aux filles.
En premier lieu intervient le facteur biologique. L’hormone mâle (la testostérone) émousse l’expression émotionnelle, inhibe les pleurs et favorise l’agressivité. L’hormone femelle quant à elle (la progestérone), produit plus facilement l’anxiété et l’humeur dépressive.
Vient ensuite l’universalité d’un certain nombre de sentiments: quelles que soient la culture, la nationalité ou la condition sociale, on retrouverait la même façon d’exprimer six émotions de base: la joie, la colère, la peur, la tristesse, le dégoût ou la surprise.
Sur cette base qui semble un donné incontournable se construit une culture qui amène le petit d’homme à réagir en fonction du sexe auquel il appartient. Les parents et tout leur entourage les y encouragent consciemment ou inconsciemment. A preuve, l’expérience de cette photo représentant un bébé en pleurs et soumise à plusieurs groupes-témoins. Lorsqu’on présente l’enfant comme une fille, l’image inspire l’impression « qu’elle a du chagrin ». Lorsque l’enfant est présenté comme un garçon, la même image amène des réflexions différentes: « il est en colère ». Culturellement, le sexe masculin est porteur d’agressivité et de turbulence là où le sexe féminin est réputé intérioriser bien plus ses pulsions. La société va faire en sorte que chacun respecte ce modèle.
Alain Braconnier dresse un tableau des idées fausses en la matière: les femmes seraient plus influençables, plus sociables et plus passives que les hommes. Puis viennent les questions ouvertes: envie de dominer et compétition au masculin et jalousie et bon sens au féminin ? Enfin ce sont les différences incontestables: intuition, expression créatrice et aptitude à la communication sont plus chez les femmes, activités visuo-spatiales et orgueil chez les hommes ...
Que chacun soit libre d’exprimer ses émotions propres et que loin de vouloir enseigner à l’autre il cherche au contraire à apprendre de celui(celle)-ci, tel est le nouveau contrat qui permettrait non d’ignorer les différences entre les sexes mais de les rendre complémentaires.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°372 ■ 07/11/1996