La chasse aux enfants. L’effet miroir de l’expulsion des sans-papiers

BENASAYAG Miguel, REY Angélique, La découverte, 126 p.

Des citoyens qui bravent la loi pour cacher des enfants menacés d’expulsion, la solidarité qui est criminalisée, la police qui agresse des parents, des enseignants et intervient dans des classes pour arrêter des mineurs, des adultes désespérés qui préfèrent se donner la mort que d’être reconduits à la frontière : l’actualité de ces dernières années a été marquée par nombre d’épisodes traumatisants. Il est inutile de convoquer l’épisode nazi de la rafle des enfants juifs, pour s’en offusquer : ces évènements sont suffisamment scandaleux en eux-mêmes. Il serait illusoire de penser que seules les personnes directement menacées seraient marquées : « le corps social ne reste pas indemne lorsqu’on l’ampute d’une de ses parties » (p.11). Des non immigrés sans papiers se sentent concernés en tant que Français, citoyen et parent ou tout simplement en tant qu’être humain. Ils se mobilisent avec le Réseau Education Sans Frontière, réussissant parfois à convaincre un préfet d’user de son pouvoir pour délivrer à titre humanitaire une autorisation de séjour. Chaque régularisation arrachée est une victoire sur la vie. Mais les conséquences de la chasse aux sans papier a d’autres effet plus inattendus. C’est là l’hypothèse posée par les auteurs : supposer un effet miroir. Les enfants non directement concernés ressentiraient des dommages psychiques du fait de la chasse subie par leurs petits camarades. Reste à le démontrer. Une étude épidémiologique de santé publique n’est guère concevable, tant il est complexe d’isoler l’un des multiples facteurs d’une pathologie. Il est difficile de mesurer la préoccupation, l’inquiétude ou l’angoisse. On peut néanmoins s’appuyer sur ce que l’on connait aujourd’hui du fonctionnement mental de l’être humain. On sait que les mêmes zones du cortex sont activées lorsqu’on réalise un acte ou lorsqu’on regarde un autre le réaliser. Un enfant peut comprendre et incorporer des actes de violence dont il est témoin, sans pour autant être traumatisé. Ce qui peut le marquer, c’est la rupture brutale de cohérence. Il peut métaboliser une arrestation mouvementée concernant une personne ayant posé un acte grave. Pas quand il s’agit de l’un de ses camarades de jeu ou de classe qui n’a commis, à ses yeux, aucun crime qui puisse justifier un tel traitement. Lorsque le monde devient incompréhensible, les projections archaïques et les fantasmes violents qui peuplent son monde interne trouvent leur confirmation dans des évènements extérieurs et une réalité qui paraît les réaliser. Tous les enfants ne réagiront pas pareil : certains assimileront l’évènement qui restera pour eux un simple bruit sans signification. Ceux qui le vivront comme un traumatisme pourront s’imaginer être un jour victime à leur tour.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°885 ■ 22/05/2008