Survivre dans la rue

WEBB Ann, Albin Michel, 2011, 231 p.

A 42 ans, Ann Webb travaille à Portland, aux USA, comme aide-soignante intérimaire, auprès d’enfants autistes ou de personnes âgés souffrant de la maladie d’Alzheimer. Quand l’opportunité se présente de voyager en Europe, son envie d’aller à la rencontre de cultures différentes est la plus forte. Elle décide de faire des économies, pour réussir à se payer son billet d’avion. Elle va multiplier les vacations jusqu’à la veille de son départ. Sur le point de rentrer, son billet d’avion est annulé, du fait d’une grève à Air France. Ce qui n’empêche pas le prix du voyage, tout comme les taxes d’aéroport, de lui être prélevés. Il ne lui reste plus que 35 € en poche et plus guère de crédit sur sa carte bancaire, pour financer in nouveau billet d’avion. Ce qui devait être un agréable voyage se transforme alors en cauchemar : la touriste américaine devient très vite SDF, dans les rues de Paris. Le récit, qu’elle nous en fait ici, est à la fois passionnant et terrifiant. Il se lit comme un véritable guide de survie. Il est dangereux d’être une femme seule, à Paris, la nuit. Aussi, ne faut-il jamais s’arrêter de marcher. Se poser, même quelques instants pour se reposer, n’est pas recommandé. Ann Webb passera ainsi plusieurs fois, jusqu’à trois jours, sans dormir, ni manger grand-chose, à arpenter sans cesse les rues, avec comme seuls compagnons les douleurs aux pieds et aux jambes, le froid et la peur. Car il lui faut faire attention aux loups, ces hommes qui n’attendent qu’une chose : profiter sexuellement d’elle en échange d’un peu d’argent, d’un repas chaud ou d’un hébergement. Mais elle s’y refusera toujours, comme elle n’acceptera jamais de faire la manche ou de fouiller les poubelles, même quand la faim lui tordra le ventre. Juste, ramassera-t-elle les mégots, pour en récupérer le tabac et le revendre quelques Euros. Obtenir un lit pour la nuit nécessite de passer par le 115 et de se voir refusée, parce qu’on est une touriste américaine. Réussir néanmoins, c’est aussi parfois partager un dortoir mixte, et subir toute la nuit les mains baladeuses. Parvenir néanmoins à prendre quelques heures de repos, dans un semi sommeil cauchemardesque, c’est se retrouver ensuite sur le trottoir, à 7h00, pour de nouveau se mettre à marcher. Le récit d’Ann Webb est chaleureux quand il relate l’accueil des bénévoles des associations caritatives. Il l’est beaucoup moins, quand il évoque les travailleurs sociaux présentés comme distants et jugeants, accusés de confondre trop souvent les personnes avec le malheur qui les frappe. Elle leur conseille de vivre, ne serait-ce qu’une semaine, à la rue, pour prendre conscience de la réalité du public qu’ils sont sensés aider. L’auteur réussira malgré tout à trouver un travail et un logement, refusant de retourner dans son pays qu’elle trouve finalement bien plus cruel que le sort fait aux SDF à Paris.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1008 ■ 03/03/2011