Les mots qu’on ne me dit pas

POULAIN Véronique, Stock, 2014, 141 p.

La situation de parents avec des enfants porteurs de handicap n’est pas rare. Le contraire l’est bien plus. C’est le cas de Véronique Poulain qui nous décrit ici une enfance marquée par la surdité complète de son père et de sa mère. Récit cocasse et émouvant à la fois, rempli d’humour et de tendresse. Toute petite, l’auteure ne se formalise pas d’avoir des parents malentendants. Elle les présente comme tel à tous ceux qu’elle croise. Le regard stigmatisant qui pèse sur eux la fait vite changer d’avis. C’est vrai que ses parents ne passent pas inaperçus. Privés de toute audition, ils ne peuvent ni moduler, ni placer leur voix. Se calquant sur une langue des signes privilégiant le visuel et allant à l’essentiel, leur syntaxe orale n’intègre ni métaphore, ni articles, ni conjugaison, peu d’adverbes ou de proverbes, pas de jeux de mot ou d’implicite : déjà qu’ils n’entendent pas comment pourraient-ils sous-entendre ? Ne percevant pas les bruitages de leur organisme, ils ne peuvent contrôler le son de leur intimité urinaire, gastrique ou sexuelle. Et de décrire la scène désopilante de la consommation paternelle de la soupe : souffler sur la cuillère, aspirer le succulent liquide, rouler la langue dans sa bouche, déglutir et pousser un profond soupir de bonheur. « Les sourds font un sacré tapage », ironise Véronique Poulain. Mais, cette défaillance auditive n’a pas que des inconvénients : faire rentrer ses ami(e)s dans sa chambre, sans que ses parents ne s’en aperçoivent et faire du bruit jusqu’à une heure avancée de la nuit, puis les faire sortir sans allumer est un jeu d’enfant. L’auteur se souvient avoir regretté de n’avoir pas de parents entendant. Mais, en comparant avec ceux de ses ami(e)s, elle a vite compris qu’aucun n’était dépourvu de failles. Et si elle les a détestés et rejetés, elle les a aussi adorés et admirés. Aujourd’hui, elle en est fière et elle veut qu’ils le sachent.

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1172 ■ 29/10/2015