Frères migrants

CHAMOISEAU Patrick, Ed. du Seuil, 2017, 137 p.

Métèques congénitaux, apatrides spontanés, intouchables ou parias immanents déchus de toute appartenance, des milliers de personnes périssent et dépérissent en bordure des villes et des États de droit. Est-ce du lyrisme, de la poésie ou une pure émotion ? Patrick Chamoiseau nous livre ici un texte magnifique, véritable hymne à l’humanité. Naïfs volontaires, nous pensions avoir atteint un inaltérable degré de sérénité, la barbarie étant d’un autre temps, explique-t-il. Les morts massives en Méditerranée nous ont désilé les yeux. Alors que bien des pays pauvres recueillent tant bien que mal des migrations massives, les États-nations d’Europe, qui ont pourtant tant brisé de frontières, tant conquis et dominé, arguent de leur identité menacée par des hordes dissolvantes, pour préférer dire à la vie qu’elle ne saurait passer. Mais, l’homme campé sur son seuil qui ne reconnaît pas et qui veut faire disparaître celui qui vient, est déjà mort à lui-même. Tout au contraire, s’émouvoir du reflet de soi dans les misères qu’autrui éprouve et y fonder sa compassion, cela revient un peu à se soutenir soi-même. Accueillir le migrant qui vient, qui reste, qui part, sans exigence, c’est honorer du devenir en eux. Face à l’aide reçue, il ne saurait décevoir les attentes de celui qui la lui accorde, car le seul désir de celui-ci est qu’il advienne au mieux et se réalise comme il peut. Accepter l’opacité de l’Autre, l’imprévisibilité de ses choix, de sa nature réelle, c’est renoncer à le dominer. Sa différence, son expérience ne sont pas quelque chose qui me menace. C’est le mouvement d’un autre devenir dans lequel il m’est possible de puiser (ou de refuser de puiser) une part de mon propre devenir. Mais, la victime est en nous, tout comme le bourreau, conclue l’auteur, invitant chacun à faire le choix de sa posture.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1243 ■ 24/01/2019