La galère: jeunes en survie

François DUBET, Fayard, 1987, réédité en 1992, 503 p.

On peut considérer ce livre réédité récemment, comme l'un des témoins d'une époque, comme balise d'une mutation.

C'est là le résultat d'une étude sociologique réalisée selon une méthodologie pleine de rigueur et de sérieux.

Pour cerner son sujet, François Dubet a réuni 5 groupes de jeunes et 5 groupes d'adultes (constitués de policiers, de juges, d'hommes politiques, de syndicalistes). Il les a confrontés au cours de 6 séances.

Il s'agissait en fait de définir le jeune des années 80 à 3 niveaux : son intégration normative, son conflit, avec la société et son rapport aux institutions. Le résultat est saisissant.

A une génération des années 60/70, caractérisée par les "bandes", la politisation, les loubards violents, les drogués, les primitifs de la révolte, s'oppose une génération 80 toute faite d'incertitude, de flottements, d'oisiveté, de petite délinquance et de réseaux fragiles.

Aux conduites par excès des premiers répond l'apathie des seconds : c'est la galère.

Trois principes dominent cette galère la désorganisation, l'exclusion et la rage contre toute autorité ou responsable. Pour autant, il n’y a pas d’identification à une sous-culture délinquante, la galère ne se cristallise pas en système.

Cette dynamique, on y entre par le sentiment d'exclusion et de rage. On en sort par la délinquance professionnelle, le trou noir (drogue, folie) ou la violence politique (les autonomes). Cette réalité qui prend les jeunes à la gorge répond à la crise de mutation sociale plus générale au niveau de l'ensemble de la société. C'est bien un épuisement de tous les mouvements sociaux auquel on a assisté : syndicalisme, écologie, régionalisme...

Le mouvement ouvrier n’y a pas échappé. La conscience de classe qui organisait la communauté et qui régulait la révolte (en évitant la rage et les conflits) a fait place à une destruction du lien social. A l'exemple de cette crise qui a frappé de plein fouet la sidérurgie, minant cette classe ouvrière fière de son statut, fermée sur elle-même.

Une certaine résistance a pu se faire jour néanmoins, sous la forme d'îlots tels que les regroupements autour du rock, de la danse ou de la moto, mais aussi l'ouverture culturelle, toute chose s'orientant vers une solidarité revendiquée.

Pour illustrer cette tendance. François Dubet s'intéresse à la lutte des Min­guettes dans la banlieue lyonnaise.

L'immigration est à la fois un facteur de désorganisation et de résistance. Plutôt double non-appartenance que double culture, les rodéos et la logique de l'exaspération ont pu éviter le piégé des ghettos ethniques pour aboutir a la marche de l'égalité de mars 1983.

On observe donc une certaine capacité de la galère à basculer vers l'action organisée, faisant de la jeunesse à la fois la victime et l'entrepreneur cynique de ses plaisirs.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°271  ■ 01/09/1994