Histoire des jeunes en occident

« Tome 1 : de l’antiquité à l’époque moderne » « Tome 2 : l’époque contemporaine » 

 Sous la direction de Giovanni LEVI et Jean-Claude SCHMITT, Seuil, 1996, 376 p. & 407 p.

L’ambition de ces 780 pages n’est pas de présenter un cheminement linéaire et sans heurts d’une jeunesse qui aurait un caractère immuable et universel. Tout au contraire, cette construction sociale et culturelle que constitue cette classe d’âge, possède des dimensions trop multiples pour la réduire à un seul schéma. Dès lors, ce dont il s’agit, ce n’est pas d’édifier une histoire de la jeunesse, mais bien plutôt des histoires des jeunesses présentées à chaque fois dans un contexte qui leur a donné des fonctions et des statuts différents.

On ne peut parler de la jeunesse sans questionner au préalable le problème de sa définition : où commence-t-elle et où finit-elle ? On ne peut la comparer à une appartenance sexuelle ou de classe, dans la mesure où chacun y passe et la dépasse : ce n’est qu’un état transitoire. Les romains faisaient terminer l’adulescens à 28/30 ans et la juventus à 50 ! Un tel découpage ne peut être compris si on ne le relie pas à la “ puissance paternelle ”, ce droit de vie et de mort qu’exerçait le père sur ses enfants durant toute sa vie. Prolonger artificiellement la jeunesse permettait alors de placer l’enfant –y compris devenu adulte- dans une position subalterne. Au XVIème siècle, la société juive situe l’âge des responsabilités non selon une longue tradition, mais en fonction des besoins du moment. Ainsi, entre l’âge de10 ans –considéré comme étant la fin de l’enfance- et de 30 ans –perçu alors comme la pleine maturité- s’étend une longue période de transition qui n’est raccourci que par l’institution matrimoniale.

Mais qui dit jeunesse, pense inévitablement à scolarisation. Et il est vrai que cette pratique est ancienne. Elle remonte à l’antiquité grecque qui concevait alors l’éducation comme un art de vivre, une stylisation des attitudes et un savoir-faire social. L’inculcation de ces valeurs était l’œuvre d’un aîné (l’éraste) qui établissait une  relation pédérastique avec un adolescent (l’éronème) qui s’il n’avait pas trouvé d’amant aurait été soupçonné de posséder quelque tare. On retrouve cette transmission du savoir grandement transformée au XVI ème siècle entre les mains des jésuites qui vont accompagner la montée en puissance progressive du nombre de jeunes scolarisés qui, doublant entre 1789  et 1850, stagnera ensuite à 180.000 élèves pour 38 millions d’habitants jusqu’en 1914. C’est que l’école, suivant en cela l’avis des Voltaire et Rousseau, restera longtemps élitiste, de peur que trop d’instruction donnée aux classes populaires menace pour équilibres économiques et sociaux…

Mais, jeunesse est souvent aussi synonyme de violence. Et il est vrai qu’on la retrouve tout au long des 2.000 ans de notre ère … Et bien avant, à l’image de cette éducation à la dure qui a court en Grèce et qui veut faire de l’enfant un soldat résistant au froid et à la fatigue. Ou encore à l’époque de la fondation de Rome par Rémus et Romulus entourés d’une bande de jeunes gens composés de voleurs, d’assassins, d’esclaves en fuite ou d’anciens conspirateurs. Cela continue avec ces bandes juvéniles qui pourfendent l’équilibre de l’ordre social au travers de l’esprit carnavalesque ou des charivaris, ces soupapes de sûreté qui traversent tout le moyen-âge jusqu’au seuil du XX ème siècle comme autant de moyens d’évacuer les mécontentements et les frustrations. La brutalité, on la retrouve tout autant chez les collégiens (l’affrontement est réciproque entre maîtres et élèves) que chez les étudiants (qui seront très présents dans les révolutions du XIXème siècle) ou encore les jeunes ouvriers (qui n’hésitent pas à participer aux émeutes et aux mouvements de révolte, mais aussi aux bagarres entre corporations). Cette violence qui semble inhérente à la fougue et à l’impétuosité, on la retrouve pourtant comme un formidable signe d’espoir au cœur de l’une des pires tyrannies qu’ait connu  l’humanité. En 1933, les études raciales sont introduites dans le programme des écoles allemandes : il s’agit d’apprendre aux enfants comment reconnaître la race de quelqu’un. En 1936, une loi contraint chaque famille –sous peine d’amende ou de prison- à faire recenser son enfant à partir de 10 ans afin qu’il rentre dans les jeunesses hitlériennes. En 1944, Himmler sera contraint dans une circulaire de reconnaître les méfaits de cette jeunesse pourtant si fortement conditionnée. Le dirigeant nazi déplore les activités criminelles (goujateries, bagarres, vols collectifs …) l’opposition politique (indifférence à la guerre, écoute de radios étrangères, attaques de la jeunesse hitlérienne …) ou encore l’attitude individualiste libérale des bandes de jeunes. Après l’écrasement de tous les opposants, le ferment de la contestation subsistait donc dans cette jeunesse qui pourtant faisait tant l’espoir du régime … au point de l’affubler de plus en plus tôt d’un uniforme. Pendant longtemps, les armées ont hésité à recruter des jeunes considérés comme trop vulnérables et indisciplinés. On leur préférait des adultes mûrs que leur famille suivait au gré des champs de bataille. Quand la conscription a concerné chaque jeune, elle a provoqué son lot de réfractaires (jusqu’à 25 %), mais a très vite constitué aussi un rite de passage aux côtés de la communion religieuse ou du certificat d’étude : ce fut là pour des générations le passage entre la dépendance et l’indépendance à l’égard de la famille. Mais la sortie de la famille passe aussi par le mariage, ce mariage que le théâtre de Molière nous a souvent présenté en terme d’unions contraintes et forcées par un père tyrannique. Et d’apprendre avec surprise comment l’église ne se rangeait pas obligatoirement du côté de l’autorité parentale au nom du caractère non-obligatoire du consentement paternel au sacrement matrimonial.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°424  ■ 08/01/1998