Les jeunes dits “cas lourds”

CREAI Rhône-Alpes, 1994, 135 p

Cette étude commandée par la Commission d’Evaluation à l’origine du rapport concernant « L’insertion des adolescents en difficulté » aborde d’une façon tout à fait intéressante la question de ces ’’incasables’’. Ayant interrogé 49 services et établissements et intrewievé 15 de ces jeunes en situation critique, un certain nombre d’hypothèses sont avancées.

Le premier questionnement mis en avant dès les premières lignes concerne le souci de définition. Qu’est-ce qu’un ’’cas lourd’’ ? Un jeune est-il incasable de par ses caractéristiques propres ou bien du fait même de l’inadéquation des solutions qui lui sont proposées ? Certes, on a affaire ici à une population instable, violente parfois délinquante ou à la marge du traitement psychiatrique. Pour autant, elle ne présente pas de caractéristiques propres qui permettraient de la distinguer d’autres jeunes en difficulté moins prononcée.  Il ne s’agit pas ici d’une pathologie liée à une quelconque dynamique individuelle. L’influence d’une famille d’origine profondément dégradée est prépondérante et les traumatismes de la petite enfance déterminants. La carence affective et sociale de l’environnement est la source essentielle de cette absence d’identité, de racines et de repères dont souffrent ces jeunes qui adoptent des comportements a-sociaux qu’ils ne maîtrisent plus.

L’étude essaie de préciser un certain nombre de constantes comme autant de préalables à toute intervention auprès de ce public. Tout d’abord, si les dégâts causés sont comparables, les réactions qu’ils induisent sont le plus souvent différents. Ainsi, n’y a-t-il pas de réponse unique. Ce qui a marché pour l’un ne réussira pas forcément pour l’autre. Ensuite, la prise en charge de ces jeunes représente un coût particulièrement onéreux du fait-même d’un suivi à long terme qui ne peut être linéaire mais comporte beaucoup de ruptures et de rechutes. Enfin, l’itinéraire qu’ils suivent, marqué par les fugues ou l’errance, comporte de nombreux points aveugles qu’il faut accepter.

Sur cette base incontournable, des propositions sont formulées pour répondre au défi de ces incasables. L’idéologie familialiste pour qui « la meilleure éducation et socialisation possible est dispensée par les parents biologiques », a provoqué beaucoup de dégâts. Les placements doivent intervenir d’une manière bien plus précoces et autrement qu’en tant que dernière solution quand tout le reste a échoué. Que signifient ces AEMO qui continuent officiellement à s’exercer alors que les familles concernées refusent de recevoir le travailleur social mandaté ? Les accueils doivent s’adapter à ces cas lourds, avec des lieux pour les temps de crise et un véritable suivi médico-social. La désignation d’un référent unique garant de l’histoire et de la continuité du jeune est importante aussi. Enfin, une standardisation de la présentation des dossiers en permettrait par ailleurs une lecture plus efficace, tout comme l’élaboration d’indicateurs des facteurs à risque (tels la maltraitance, la prostitution ou les troubles psychiatriques de la mère, l’alcoolisme ou la toxicomanie des parents, ...).

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°334 ■ 04/01/1996