Les enfants psy - Quand les rôles se renversent

Marie-Pierre Raimbault, Ramsay, 1995, 163 p.

A l’occasion d’un entretien professionnel, ma langue a fourché. M’adressant à un jeune de 20 ans, en lieu et place de lui dire « votre mère », je lui assenais « votre femme » !... « C’est curieux ce que vous me dites, me répondit-il, enfant j’étais consulté par ma mère  sur les décisions du ménage, alors que mon père en était toujours écarté ». Mon lapsus avait permis de faire état d’une inversion des rôles dans cette famille que dans notre jargon, nous appelons parfois « parentalisation ». C’est exactement ce sujet qui est développé dans l’ouvrage de Marie-Pierre Raimbault. Au travers d’une dizaine de témoignages, c’est la destinée d’enfants adultisés très jeunes qui est ainsi présentée. Adoptant une véritable position sacrificielle, ceux-ci portent alors le poids de leurs parents et parfois de toute leur famille. Ils vivent dès lors dans un univers qui n’est pas le leur, grandissant trop vite, chargés de tâches et de soucis qui ne pas de leur âge, sans pouvoir profiter pleinement de leur statut d’enfant. Ce déséquilibre précoce se retrouve souvent en période adulte sous forme de troubles de personnalité, affectifs et familiaux que seule une thérapie permettra d’évacuer.

Cela se manifeste sous des formes très diverses, mais en même temps classiques. C’est Sophie qui prend l’habitude très jeune de s’interposer entre son père alcoolique et violent et une mère éteinte et résignée qu’elle cherche à protéger des coups paternels. Estelle, de son côté a appris à gérer le budget familial, son père étant absent et sa mère ne parlant pas un mot de français. C’est après s’être astreinte à toutes les corvées de la maison qu’elle s’enferme dans les WC pour faire son travail scolaire, seul endroit où elle ne dérange pas avec ses livres de classe. Yves, lui, a du très vite s’autonomiser. Ses parents ne pouvaient de toute façon pas s’occuper de lui. Son père est cuistot et sa mère tient un débit de boissons. Il n’y a pas de place pour le jeu. Il lui a fallu travailler très tôt pour donner un coup-de-main. Il y a aussi ces mères qui se comportent plus en grandes soeurs, jalousant leur enfant ou lui piquant ... ses copains et copines ! Nous n’oublierons pas les parents alcooliques pris en charge totalement par leur progéniture qui les lave, les console et les couche quand ils sont trop ivres pour faire quoi que ce soit. Cela peut aussi se transformer en véritable tyrannie d’enfants faisant la loi à la maison, y compris en maltraitant leurs géniteurs.

L’ouvrage de Marie-Pierre Raimbault est avant tout un récit de journaliste. Y sont présentées des situations familiales représentatives et évocatrices. On n’y lira toutefois aucune élaboration d’ordre psychologique ou autre. Il s’agit vraiment d’un témoignage brut de pomme, à prendre surtout comme tel.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°348 ■ 11/04/1996