Laissez-les faire des bêtises. Plaidoyer pour l’enfant par un pédiatre d’aujourd’hui

Hélène DE LEERSNYDER, Réponses/Robert Laffont, 1994, 256 p.

On pourrait résumer cet ouvrage par un cri du coeur qui s’identifierait à un vibrant « mais enfin, lâchez leur donc les baskets ! »

L’auteur est pédiatre. C’est dire si elle en voit défiler des gamins dans son cabinet: en moyenne 2.000 par an. Alors, à force, ça vous donne l’oeil vif et le regard perçant. Bien sûr, chaque enfant est unique, mais il y a  des signes qui ne trompent pas: sa façon de s’asseoir ou de s’installer tranquillement pour jouer, sa manière de répondre aux questions, son comportement à l’égard de sa mère (épiant ses réactions et quémandant son consentement ou au contraire occupant tout l’espace sans se préoccuper de sa présence) ... toutes ces manifestations sont facilement décryptées comme autant d’indice d’équilibre ou de déséquilibre, de timidité ou d’intrépidité, de bonheur de vie ou d’angoisse.

Que peut donc nous dire un « pédiatre d’aujourd’hui » sur les nouvelles générations?

Beaucoup de parents cherchent à travers les guides, revues et traités spécialisés à atteindre l’idéal. Mais il n’y a pas de recettes miracles. Vingt ans séparent les questions que l’on se pose des réponses apportées par l’enfant devenu adulte. Les progrès des connaissances n’aboutiront jamais à une accélération des processus de maturation neurologique et physiologique. Aussi faut-il faire attention à tous ces mouvements de mode qui promettent monts et merveilles: cours de massage pour femme enceinte (haptonomie), stimulations sensorielles pour fœtus en mal de génie, naissances en piscine ou dans la pénombre, jeux éducatifs qui tuent dans l’oeuf la créativité de l’enfant (en faisant tout à sa place), scolarisation précoce (on entre à la maternelle dès 2 ans !), exigence de performances scolaires etc ...

« Que c’est compliqué d’être parent ! En croyant bien faire, ils en font trop, en laissant leur enfant se débrouiller, ils n’en font pas assez. » Ce qui est le plus important, c’est de prendre conscience que chaque gamin a une vie personnelle, un caractère propre qu’il faut respecter sans essayer de lui imposer le modèle de l’enfant sage et instruit. Son épanouissement et son équilibre ne tiennent pas dans son hyper-activité  mais dans une évolution progressive qui nécessite tâtonnements et erreurs. Il y a un temps pour chaque chose. L’apprentissage scolaire viendra à son heure. Les performances immédiates ne sont pas synonymes de résultats ultérieurs brillants. Ce qui fera alors la différence, c’est bien la note de maturité et d’originalité  qui n’est pas le fait d’enfants poussés au maximum de leurs capacités et pressés par le seul désir de réussite de leurs parents. L’enfant est trop valorisé en fonction de ses aptitudes à ressembler aux adultes. On ne doit pas exiger de lui une autonomie décalée par rapport à son âge. S’il est indispensable de lui offrir un cadre structurant avec des limites précises, il mérite aussi qu’on lui fasse confiance qu’on développe son goût de l’initiative et surtout qu’on lui permette de trouver son chemin au travers de ses expériences et même de ses bêtises.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°308 ■ 25/05/1995