Fous d’Afrique. L’omerta

SANS Pierre, Ed. C.I.P.P., 2018, 237 p.

Au premier abord, le très charismatique béninois Grégoire Ahongbonon emporte l’adhésion. Illustrant les conférences qu’il donne en occident, en sortant d’un sac de bure les fers utilisés pour la contention des fous d’Afrique, il apparaît comme le nouveau Pinel libérant en 1795 les aliénés de leurs chaînes. Pierre Sans a voulu mettre ses quarante ans de carrière dans la psychiatrie au service de cette œuvre réputée sortir rapidement les malades mentaux de leur enfermement et les réinsérer dans leur famille. Il séjourne à plusieurs reprises dans les établissements de la Sainte Camille. Il mesure les pratiques, jauge l’organisation, évalue l’action médicale. Son diagnostic est sans appel. Derrière la légende dorée, se cache une institution sectaire dirigée par un gourou autoritaire, paternaliste, manipulateur, quasiment inculte sur les plans médicaux, psychologiques et scientifiques. La charge est violente. Mais, peut-on demander à un psychiatre qui s’est battu toute sa vie contre tout traitement indigne réservé aux malades mentaux, de tolérer d’inacceptables dérives, au prétexte qu’elles se déroulent en Afrique ? Qu’on en juge plutôt ! La promiscuité des salles communes où sont enterrés vivants plus de 200 patients errant du matin jusqu’au soir, bavant, tremblants, hébétés. Des espaces extérieurs transformés en cour des miracles où des corps douchés sèchent nus, exposés au soleil, sans soucis de la moindre pudeur. Des aides-soignants sans aucune qualification autre que le statut d’anciens patients stabilisés décidant de prescriptions totalement fantaisistes. Des consultations se terminant par l’exhortation à prier Dieu ou par la de patients attachés dans la position du Christ en croix. L’emploi sans aucune précaution de neuroleptiques retard, comme thérapie passe partout, alors que leur mésusage présente des effets secondaires redoutables pouvant aller jusqu’à des risques potentiellement létaux. Certes, on revient de loin, le continent africain traitant avec brutalité ses fous : au mieux en les  jetant à la rue, en les enchaînant ou en enchâssant leurs pieds dans des arbres, au pire en les livrant aux sectes évangélistes, méthodistes, presbytériennes qui pullulent et qui pratiquent la bastonnade permanente « pour faire sortir le malin ». Pierre Sans ne fait pas que dénoncer. Il préconise un audit indépendant, un contrôle des autorités publiques et le respect du cadre légal permettant de mettre fin à la confiscation du pouvoir financier, administratif et médical par un fou de Dieu qui, persuadé de sa mission divine, sait tout, voit tout, contrôle tout et a un avis définitif sur tout.

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1235 ■ 20/09/2018