La folle histoire des idées folles en psychiatrie

CYRULNIK Boris et LEMOINE Patrick (sous la direction), Ed. Odile Jacob, 2016, 275 p.

De tous temps, la psychiatrie n’a parlé pas tant des patients souffrants de maladie mentale que de sa manière de voir le monde et de l’expliquer selon les modèles que lui fournissent son époque et sa culture. Aussi, n’est-il pas étonnant de lire sous la plume de près d’une douzaine de contributeurs, une énumération assez terrifiante des idées saugrenues, voire criminelles qui animèrent cette discipline. Jeter le patient dans une fosse grouillante de serpents pour tenter de le ramener à la raison, le confronter à des chocs électriques (électrochocs), chimiques (provoquer un coma par injection d’insuline ou d’une substance narcotique), parasitaires (inoculer la malaria), semblent aujourd’hui barbares. Pourtant, le prix Nobel de médecine fut attribué en 1949 Antonio Moniz pour sa découverte de la valeur thérapeutique de la lobotomie préfrontale ! Et que dire des tortures infligées pendant la boucherie de 14-18 par ces neurologues ayant mis au point la technique du « torpillage faradique utilisé pour traiter plus de 20.000 soldats hagards et hébétés, agités de tremblements incessants rescapés de l’enfer des tranchées. Rien de tel que la gégène pour démasquer des victimes soupçonnées de simuler, pour échapper à leur devoir. Il est vrai que la maladie mentale était alors conçue comme le produit de la dégénérescence, voire l’abâtardissement de la race. La thérapie par la parole ou par le faire constitueront un tournant majeur. Mais, déjà pointe une autre dérive, celle des versions successives du DSM américain (registre des affections mentales) passant en 35 ans de 150 à plus de 400 troubles répertoriés. De quoi pathologiser bien des moments les plus banals de l’existence (tristesse, deuil, déprime…) transformés en maladies psychiques.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1235 ■ 20/09/2018