Pascal, Frida Khalo et les autres… ou quand la vulnérabilité devient force

GARDOU Charles, érès, 2009, 222 p.

Notre société valorise l’intelligence, la beauté et la réussite, en laissant croire qu’elles seraient à la portée de tous, pourvu qu’on prenne la peine de les rechercher. Cette dictature de la performance tend à ignorer la véritable nature de la condition humaine : « l’humanité, qui se voudrait forte et éternelle, fait un bruit de porcelaine brisée » explique Charles Gardou, en rappelant que l’Homme est toujours menacé d’endommagement, de dégradation et de ruine. Rien n’est définitivement acquis, tout se révèle provisoire et contingent, chaotique et imparfait. Le moteur de notre destinée commune est alimenté par cette tension permanente entre notre chétivité constitutive et l’obsession illusoire de la puissance et de la maîtrise. La déficience n’est pas un accident aléatoire qui concernerait les plus malchanceux d’entre nous : elle se situe au cœur de notre identité qui s’inscrit dans la fragilité. A cette aune, le handicap n’est plus une infériorité, mais une possibilité de l’existence. Il est même un ressort qui incite l’être humain à se dépasser, en transcendant ses difficultés et en se réalisant malgré les pires obstacles. Notre histoire littéraire, scientifique, artistique, philosophique, politique … est bien plus peuplée qu’on ne l’imagine de ces personnalités atteintes de multiples déficiences qui ont contribué à enrichir notre patrimoine collectif. On oublie trop souvent l’épilepsie de Jules César qui ne l’empêcha pas de faire la carrière que l’on sait ou la poliomyélite de Franklin Roosevelt qui ne fut pas un obstacle à ses trois réélections, comme Président des Etats-Unis. On ignore, tout autant, l’épisode psychotique d’Isaac Newton ou la surdité depuis l’âge de 12 ans de Thomas Edison (l’homme aux mille brevets). On connaît mieux, dans notre univers de l’image, la sclérose en plaque amyotrophique de Stephen Hawking, l’un des plus brillants physiciens, depuis Einstein, ou la maladie osseuse très invalidante du célèbre pianiste de jazz Michel Petrucciani. Charles Gardou a choisi de nous présenter plus longuement des figures attachantes qui ont montré leur exceptionnelle capacité à surpasser leurs déficiences et à les sublimer dans une extraordinaire fécondité créative. C’est Robert Schumann qui tire de ses terribles crises d’angoisse les plus belles compositions musicales ou Frida Khalo qui traduira la déchéance physique de son corps en splendides tableaux de sang et de couleurs. C’est Demosthène, le bègue, qui devient l’un des maîtres de l’art oratoire ou Hellen Keller, sourde et muette, qui se transforme en conférencière émérite. Sans oublier Blaise Pascal, poursuivi par d’étranges troubles neurosensoriels, devenant inventeur et prodige de la pensée. La démonstration est faite : l’homme est d’autant plus grand qu’il s’assume vulnérable.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°922 ■ 26/03/2009