Comprendre Carl Rogers

Brian Thorne,  Privat, 1994, 163 p.

Carl Rogers est un des penseurs majeurs de ce siècle. La psychologie moderne lui doit toute une série d’apports et d’innovations qui transforment la plupart des psychologues en autant de Monsieur  Jourdain, faisant du  « Rogers » sans le savoir.

Ce petit livre rédigé par un collaborateur de ce maître-à-penser disparu en 1987 à l’âge de 85 ans fait partie de ceux qu’on lit d’un trait. Fort bien écrit et d’une grande limpidité, il permet d’avouer une vision synthétique sur la vie et l’oeuvre d’un grand Monsieur.

Rogers propose un certain nombre de concepts relativement simples qui trouvent une application rapide ne demandant pas des années d’étude et de spécialisation. C’est peut-être pour cela qu’il a été en partie rejeté par l’establishment universitaire et savant. Il faut dire que Rogers le leur  rendait bien, lui qui se méfiait de la théorie et dénonçait le risque d’enfermement dans le moule d’une structure intellectuelle préconçue. Ainsi, au lieu de partir d’un système théorique, il préconise de s’enquérir de la manière dont l’individu se perçoit lui-même. Faire confiance dans sa capacité à tendre vers l’accomplissement le plus élevé de sa nature humaine constitue la base du système rogérien. Dès lors ce qui compte ce n’est pas l’appel à un expert extérieur, mais bien la création des conditions permettant  à la personne elle-même de découvrir de quoi elle souffre et pourquoi. Pour cela, trois conditions de base sont nécessaires: la congruence (attitude d’authenticité du thérapeute qui doit se montrer tel qu’il est à chaque instant de la relation), l’acceptation inconditionnelle de l’autre (absence de toute attitude jugeante) et l’empathie (pénétration dans le monde des perceptions et conceptions du client).

Ces modalités ont souvent été reprises (toutes ou en partie) par de nombreux thérapeutes de différentes traditions dans le monde. Il est vrai que ces découvertes ne datent pas d’hier. Elles furent présentées pour la première fois le 11 décembre 1940 lors d’une conférence à l’université du Minnesota. Ce fut alors le départ de toute une série d’innovations telle la désignation du sujet aidé comme « client » et non plus comme « patient », l’ouverture des pratiques thérapeutiques aux professions non-médicales,  l’enregistrement sur disque puis sur film des entretiens en vue d’élaborer des recherches sur le processus et les résultats de la thérapie, ... Depuis, l’oeuvre de Rogers (16 livres et 200 articles) traduite en 12 langues a essaimé à travers le monde touchant plus de 25 pays. De nombreux forums et conférences ont permis de réunir chercheurs et praticiens de tous les horizons. Pourtant, Rogers s’est toujours refusé à créer une association internationale de peut de voir se constituer une doctrine rigide à l’image de l’action des disciples de Freud qui transformèrent les « fragiles fils de la vierge » de ses concepts (que le père de le psychanalyse considérait lui-même comme une création provisoire ouverte à de nouvelles façons de voir et de faire) en « lourdes chaînes dogmatiques ». Sitôt, Rogers disparu, les clans se sont constitués, orthodoxes et hérétiques trouvant chez leur inspirateur la justification de leurs positions respectives.

Brian Thormes consacre toute une partie de son ouvrage à exposer les critiques qui ont jalonné la carrière de Carl Rogers, critiques qu’il essaie de réfuter une à une.

La pratique de l’aide centrée-sur-la-personne dépasse de loin le seul domaine de la thérapie. Elle a amplement inspiré le travail social, la relation éducative et la pédagogie.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°315 ■ 13/07/1995