Un merveilleux malheur

Boris CYRULNIK, Odile Jacob, 1999, 238p.

On s’est toujours émerveillé devant ces enfants qui ont su triompher d’épreuves immenses et se faire une vie d’homme malgré tout. Le dernier ouvrage de Boris Cyrulnik est consacré au concept de résilience. Désignant au départ les qualités d’un métal dans la résistance qu’il oppose aux déformations, cette notion a été étendue à l’espèce humaine : « capacité à réussir à vivre et à se développer positivement, de manière socialement acceptable, en dépit du stress ou d’une adversité qui comporte normalement le risque grave d’une issue négative. » Telle est la définition que l’on peut en donner. Cette qualité a été très peu étudiée, comme négligée à l’image de cette population de 123 nourrissons  hospitalisés qui  permit à René Spitz de définir l’hospitalisme. La séparation précoce d’avec leurs parents provoquera chez 19 d’entre eux une souffrance anaclitique et pour 23 autres des troubles psychoaffectifs. Mais, personne ne s’est intéressé aux 81 autres qui subissant la même agression n’y ont pas succombé. Cela ne remet pas en cause la pertinence de l’analyse de Spitz, mais interroge sur le déni et l’aveuglement quant au destin de ceux qui s’en sortent. C’est un peu comme s’il était honteux de survivre. La fixation sur les seules victimes en souffrance aboutit au risque de s’enfermer dans ce qui deviendrait alors  une fatalité d’une auto-reproduction de la maltraitante. Une étude fort intéressante commencée en 1938 sur 204 étudiants qui venaient d’entrer à Harvard s’est penchée sur le devenir de cette population de jeunes privilégiés. Sur 50 ans, il est apparu que 30% d’entre eux ont connu une existence difficile et douloureuse (dépression grave, maladie mentale,  psychoses hallucinatoires…)… contre 25% dans une population ayant connu dans son enfance une situation de maltraitance. Ceux des étudiants qui s’en sont le mieux tiré sont ceux qui avaient connu une enfance plus difficile, comme si celle-ci les avait préparés à faire face aux épreuves sans s’effondrer. Face à une même agression, on remarque une étonnante variation de réponses possibles. En fait, la résilience se tricote de mille déterminants et qui « noue une laine développementale avec une laine affective et sociale » (p.43). Certains sont plus repérables que d’autres. C’est dans l’entour de l’enfant que l’on peut trouver la plus grande partie des facteurs de résistance. Les déterminismes humains sont de courte durée : « à chaque étape de l’histoire de l’enfant, existe une possibilité de réparation ou d’aggravation » (p.91) Pour métamorphoser l’horreur, il faut créer des lieux où peut s’exprimer l’émotion affirme Boris Cyrulnik. Pour autant, il ne faut pas obliger l’enfant à sortir de sa crypte défensive. L’abus de mémoire peut pétrifier l’avenir et contraindre à la répétition. Lors d’un trauma aigu, la dissolution de la conscience ou même le déni protègent la victime comme l’amputation sauve de la septicémie.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°514  ■ 13/01/2000