Malaise dans le travail. Harcèlement moral : démêler le vrai du faux

Marie-France Hirigoyen, Syros, 2001, 290 p.

Les nombreuses lettres reçues par l’auteur, à la suite de la parution de son premier livre (1988 cf. LS 480) ainsi que la galvaudage du concept l’a incité à revenir sur ce thème. Cette suite apparaît plus affinée et plus précise encore. L’ouvrage s’emploie tout d’abord à distinguer ce qu’est le harcèlement de ce qu’il n’est pas. Il ne faut pas amalgamer des comportements, qui pour être proches, ne constituent pas à proprement parler du harcèlement moral : c’est le cas pour le stress (qui ne devient destructeur que par excès), le conflit (qui peut jouer, au contraire, un rôle régulateur), la maltraitance managériale (tyrannie de certains chefs), les agressions ponctuelles, les mauvaises conditions de travail, les malentendus ou mésententes, les troubles psychiatriques transitoires, les névroses paranoïaques (sentiment d’insécurité poussant à l’agression) ou obsessionnelles (sentiment d’incomplétude impliquant un immense besoin de contrôle). Non, le harcèlement moral est bien cette conduite agressive (geste, parole, comportement, attitude) qui, par sa répétition ou sa systématisation, porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychique d’une personne, mettant en péril son emploi, ou dégradant le climat de travail dans lequel elle vit. Marie-France Hirigoyen a adressé 350 questionnaires aux personnes qui lui ont écrit ; 193 lui sont revenus. L’enquête qu’elle a pu ainsi effectuer a permis de dresser un tableau (partiel sans doute, mais qui donne une première visibilité) de ce phénomène. On constate donc la prédominance chez les victimes, des femmes (70%). La durée de la confrontation s’élève à 40 mois en moyenne, avec des périodes plus longues dans le public, plus courtes dans le privé. L’origine du harcèlement se situe pour 58% au niveau hiérarchique, pour 29% à celui des collègues de travail et de la hiérarchie, pour 12% des collègues et pour 1% seulement des subordonnés. Les conséquences dans 69% des cas, c’est la dépression. Si certaines fragilités individuelles permettent d’expliquer pourquoi on est victime (personnalité atypique, solitude, mauvaise estime de soi, sensitifs hyper-réactifs), d’autres facteurs favorisent la résistance (confiance en soi, soutien fort de ses proches, appuis au sein même de l’entreprise). Pour autant, l’auteur insiste longuement sur le contexte environnemental : organisation du travail trop rigide, fonctionnement trop centralisé et cloisonné, valeurs individuelles non-reconnues, non reconnaissance aboutissant chez le salarié à une perte de sens : « une société violente et méprisante entraînera des individus violents et méprisants » (p.177). Il y aurait pertinence à former des personnes relais dans les entreprises (prévention) ou à utiliser des méthodes de médiation (gestion du problème) mais le recours à la sanction pénale est parfois nécessaire (condition à la guérison de la victime).

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°619 ■ 25/04/2002