Les malheurs des psys. Psychotropes et médicalisation du social

Philippe PIGNARRE, La Découverte, 2006, 180 p.

La psychiatrie française s’est longtemps ancrée sur les références psychanalytiques, se tenant, jusqu’à peu, à l’écart des pratiques devenues dominantes dans le reste du monde. Et puis, l’époque où les propositions de cette école étaient par trop rebelles et indésirables pour les conservateurs s’est progressivement éloignée : « les révolutionnaires ont vieilli ; ils sont fatigués ; ils n’apportent plus la peste nulle part et, au contraire, ils se trouvent bien souvent dans les camps les plus conservateurs, comme l’ont montré la bataille du Pacs, du mariage homosexuel et de l’homoparentalité » (p.17) Mais, ce recul des héritiers de Freud n’est pas seulement lié à l’usure et à l’institutionnalisation. Les 122 millions de boîtes de psychotropes consommées en France, en 1995, marquent la montée d’une psychiatrie qui s’appuie sur les médicaments. L’auteur se refuse à privilégier plus l’une ou l’autre des démarches, préférant montrer leurs limites respectives. D’un côté, la psychanalyse menace d’un symptôme qui deviendra plus grave et plus menaçant celui ou celle qui ne suit pas ses conseils : votre cas n’est semblable à aucun autre, vous devez vous engager dans un long travail sur vous-mêmes qui va durer plusieurs années, à raison de plusieurs rendez-vous par semaine, sans aucune garantie ni de guérison, ni d’amélioration, car ce qui vous arrive est de votre responsabilité, tout comme votre rétablissement. L’erreur ici, c’est d’identifier les comportements difficiles comme un masque venant camoufler la vraie réalité que seuls les psychanalystes seraient à même d’identifier. De l’autre, la psychiatrie privilégiant la prise de médicaments propose d’agir pour maintenir à distance ce trouble qui envahit votre vie et rend votre existence douloureuse. Vous n’êtes pas directement responsable, explique-t-elle. Votre cas est d’autant moins isolé que vous pouvez rencontrer et échanger avec des personnes vivant une expérience semblable à la vôtre. L’aide proposée pourra donner des résultats dont les bénéfices seront vérifiés dans les six mois. Là, l’erreur est de ne pas voir que les outils utilisés ont un effet retour sur nos définitions et nos modes même d’observation. « Le Prozac n’a pas été un gigantesque succès parce qu’il était une innovation : c’est parce qu’il a été un gigantesque succès qu’on dut le considérer comme une innovation » (p.51) Les psychotropes employés ne permettent pas de guérir les différents troubles mentaux. Ils ne répondent en fait qu’à deux champs : les énergisants et les calmants. Pour autant, il ne faut pas se tromper de combat. Si le nombre de déprimés a considérablement augmenté depuis cinquante ans, ce n’est pas comme d’aucun voudrait le faire croire, parce que cet état aurait été monté en épingle par l’industrie pharmaceutique, mais parce que la dépression est mieux diagnostiquée et dépistée.

 

Jacques Trémintin -  LIEN SOCIAL ■ n°820 ■ 07/12/2006