Délinquance et prévention - Allemagne

La construction européenne devient année après année une réalité intangible. Espérée par les uns, crainte par les autres, l’enjeu est de taille. Va-t-elle symboliser le triomphe d’un libéralisme réduisant le social au plus petit dénominateur commun des pays de la communauté? Ou, au contraire, va-t-elle ouvrir la voie à une amélioration globale des conditions de vie? Le débat est ouvert ... et acharné.

Pour ce qui concerne les travailleurs sociaux, s’il est un sujet qui peut les intéresser tout particulièrement, c’est bien celui des dispositifs mis en place dans les pays de la CEE en matière d’action sociale et éducative.

Ce souci a été notamment celui manifesté par une cellule quartiers d’un Dispositif Social Urbain d’une ville moyenne de l’ouest de la France (Saint Nazaire) qui a monté fin 1996, un voyage d’étude en Allemagne afin de connaître les modalités de prévention de la délinquance qui y sont proposées.

La moisson d’informations que les participants ont rapporté de ce séjour d’une semaine montre la profonde imprégnation culturelle et historique à partir de laquelle se mettent en place les mesure d’ordre social.

 

Le poids de la société civile

L’Allemagne est comme toute nation marquée par son histoire. Mais, ce pays l’est d’autant plus par les traumatismes du régime nazi. La reconstruction s’est faite après guerre sur une logique. L’expérience totalitaire a profondément marqué la conscience au point de laisser une intense méfiance à l’égard de l’Etat centralisé. Non seulement, les Landërs (équivalents de nos régions) possèdent une grande autonomie (chacun ayant même son propre gouvernement), mais ce qui prime est bien le principe dit de « subsidiarité ». La société civile contrebalance fortement le pouvoir d’Etat et prend en charge prioritairement toute une série d’actions, ce dernier n’intervenant qu’en cas d’absence de partenaires associatifs.

Autre particularité outre-Rhin, l’action socio-éducative ne se rattache pas pas au même idéal laïc que dans notre pays, mais directement aux églises catholique, protestante, à la communauté juive ou encore à des organismes proches du parti social-démocrate ou des syndicats. Il en ressort une large imprégnation militante qui côtoie et s’entremêle avec le professionnalisme des intervenants sociaux. Ces partenaires d’obédience distincte cohabitent pourtant dans ce qu’il est convenu d’appeler le « consensus à l’allemande ». Point de compétition, ni d’esprit de chapelle mais une vraie collaboration, chacun se voyant attribuer un secteur en fonction des capacités et aptitudes qui lui ont été reconnues. Nous avons un peu de mal à nous imaginer ce que peut représenter cette absence de concurrence sauvage tant il est vrai qu’elle correspond bien à une culture du compromis qui nous est pour l’essentiel bien  étranger.

 

La prise en charge des adolescents délinquants

On retrouve les catégories classiques de passages à l’acte délinquants: vol, racket, agression... Mais une tendance semble tout particulièrement inquiéter les intervenants sociaux: ce sont les groupes néo-nazis qui agressent les étrangers et les handicapés. Des campagnes de sensibilisation et de prévention ont lieu pour combattre ces réminiscences d’un terrible passé.

On n’a pas comme en France les phénomènes liés aux grands ensembles, même si certains quartiers  se sont transformés en véritable ghettos où se concentrent tantôt les kurdes, tantôt les libanais ou encore les turcs en situation de grande précarité et en bute à l’hostilité de l’extrême-droite. L’Allemagne ne prévoit aucune modalité d’intégration des immigrés sur son territoire. L’Etat fixe leur répartition par Landërs qui à leur tour déterminent les quotas par commune.

Autre foyer de délinquance, celui qui tourne autour du trafic de drogue. Le débat sur cette question est plus avancé qu’en France. Certains Landërs S.P.D. (sociaux-démocrates) sont favorables à la dépénalisation du haschisch, contrairement aux Landërs C.S.U. (chrétiens-démocrates) qui y sont tout à fait opposés.              

Les magistrats s’appuient sur les différents partenaires associatifs. Ceux-ci convoquent les jeunes responsables d’acte de délinquance, fournissent les enquêtes sociales ainsi que les propositions éducatives les concernant. La responsabilité pénale est fixée à 14 ans. Mais jusqu’à 21 ans, c’est bien le discernement du jeune et sa personnalité qui se situent au centre du traitement de l’acte délinquant. Pour un même délit, des sanctions différentes peuvent être prises. Ce qui compte avant tout, c’est bien l’aspect éducatif. La première mesure que le juge peut adopter est comme en France l’avertissement ou l’admonestation. Puis, vient le travail d’utilité collective (10 à 100 heures à effectuer dans un hôpital, une cuisine d’un centre social ou encore à nettoyer les graffitis, ...). Cette activité peut s’accompagner d’une interdiction de fréquenter un groupe de jeunes ou d’un cours de réflexion sur la violence, le tout accompagné d’un suivi par un travailleur social. Une autre catégorie de sanction relève de l’enfermement qui peut aller de plusieurs week-ends passés en cellule individuelle (lit fermé dans la journée, livre et tabac interdits seul et isolé, rien qu’avec ses pensées) à plusieurs semaines en cellule collective en institution spécialisée (avec des cours tant théoriques que professionnels). Bien sûr, on trouve aussi l’ultime mesure condamnant le jeune à un emprisonnement en quartier des mineurs d’une prison.


Une police au service de la prévention

Autre originalité du système allemand, c’est bien le rôle de prévention dévolu à la police et notamment celle spécialisée dans la protection de la jeunesse.

Ainsi, peut-on trouver de véritables boutiques ouvertes largement au public et qui exposent les différents systèmes de fermeture, d’alarme et de protection contre le vol. Des cours d’« affirmation de soi » sont même proposés aux femmes pour les former à réagir à toute tentative d’agression.

En direction des jeunes, la police participe activement aux campagnes d’information concernant la maltraitance, les sectes ou la toxicomanie. Certains policiers sont spécialement formés pour intervenir au sein des établissements scolaires. Mais au-delà d’une intervention magistrale, les techniques de sensibilisation sont très au point. Jeux de rôle, vidéos, débats sont largement utilisés à l’image de cette sucette distribuée à raison d’une pour deux élèves, consigne leur étant donnée de trouver le moyen de la partager. Respect de l’autre, sens du compromis et non-violence se trouvent largement valorisés dans les conflits qui opposent quotidiennement les adolescents.

De retour de voyage, les participants ont pu constater la concordance des soucis et des efforts au-delà des frontières, mais aussi la profonde créativité des acteurs chacun apportant ses propres solutions. Prochaine étape: l’accueil des partenaires allemands à Saint-Nazaire pour continuer à comparer plus en détail les différentes pratiques.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°400  ■ 29/05/1997