Permanence du S.D.J. - Bruxelles

Mais comment se passe concrètement  le travail d’un service social se fixant pour tâche d’accompagner les usagers dans la défense de leurs droits face aux Institutions?  Pour le savoir, nous sommes allés voir sur place.  Nous avons passé quatre heures avec Benoît Van Veirsbilck, assistant social qui tient la permanence du SDJ de Bruxelles tous les après-midi de la semaine de 14H00 à 18H00. S’y succèdent entre dix et vingt usagers qui viennent y chercher aide, information soutien et accompagnement. A l’interface entre le médiateur familial, le conseiller juridique, l’éducateur et le professionnel de polyvalence de catégorie, sa compétence est étendue et les sollicitations nombreuses et diversifiées. Jugeons-en plutôt.
 

Face à l’employeur

C’est d’abord Amid et Mehdi qui entrent. Leur maître d’apprentissage les a fait travailler tout le mois de septembre. Puis il les a licenciés... mais tout cela sans salaire ni contrat de travail. Ce n’est pas la première fois que ce patron de garage agit ainsi. Les trois premiers apprentis n’ont rien osé dire, ni faire ... Amid et Méhdi, eux connaissaient le SDJ. Ils sont victimes de pratiques tout à fait illégales. Benoît leur explique les deux options qui s’offrent à eux. Ils peuvent tenter de s’arranger à l’amiable ou bien attaquer en justice. Un rendez-vous est prévu d’ici dix jours avec ce patron indélicat. Si cela n’aboutit pas, ils iront voir un avocat commis d’office (ici, on dit « pro-déo) pour engager une procédure judiciaire.
 

Face au juge de la jeunesse

Puis arrivent Nathalie et Anne. Rescapées d’une bande responsable de nombreux délits, la première a été  placée, la seconde incarcérée en préventive pendant deux mois. Nathalie vient pour se plaindre de sa mère chez qui elle est retournée mais qui l’a mise de nouveau à la porte. Engueulades, coups donnés par son frère... elle s’est réfugiée chez la mère d’Anne (dans la même cage d’escalier). Sa mère refuse de lui financer son école de coiffure, alors dit-elle qu’elle a de l’argent: elle vient de s’acheter plein de Moulinex.  Bénéficiant de la scolarité obligatoire (jusqu’à 18 ans en Belgique), elle pourrait retourner dans l’établissement qu’elle fréquentait l’année précédente, enfin quand elle daignait honorer les profs de sa présence ... Mais, elle a changé, assure-t-elle: à présent, elle s’est calmée. Benoît lui propose d’aller y négocier sa réintégration. Ce qu’elle accepte. Mais le travailleur social n’est pas dupe. Une telle motivation est surtout liée à sa prochaine audition par le juge de la jeunesse. Nathalie a peur d’être de nouveau placée. Un peu de stabilité serait un bon argument face au magistrat. De toute façon Benoît téléphone à son avocate pour convenir d’un rendez-vous pour préparer l’audience.
Cette fois-ci, c’est le téléphone qui retentit. Christelle avait pris contact avec le SDJ alors qu’elle était en fugue. C’était sa façon à elle de signifier au juge son désir de quitter le foyer où elle est placée. Quand elle est en face de lui, elle est bloquée. Elle ne peut dire un mot. Benoît est resté en contact avec elle quand elle était en galère, donnant à sa demande des ses nouvelles à ses parents. Ceux-ci ont exigé de pouvoir remonter jusqu’à elle.  Devant un refus ferme et poli, ils ont porté plainte contre le service. En vain: il n’est pas illégal de rester en contact avec une mineure en fugue. Rendez-vous est pris avec Christelle pour travailler avec elle la prochaine audience qu’elle aura avec le juge.
           
 

Face à l’école

Gwénaël et sa mère rentrent. Après une altercation avec un camarade, vite interrompue par l’intervention d’un professeur, Gwénaël a été mis à pied un jour. Mais la punition s’est transformée en renvoi définitif. Ils sont une quinzaine dans le même cas. Certes, il le reconnaît, il était turbulent l’an passé. Mais depuis septembre, il s’est calmé. C’était le premier incident. Disproportion entre l’acte et la sanction, non-respect de la procédure disciplinaire  (puisque la famille n’a  pas été convoquée, n’a pas reçu de courrier, le jeune n’a pas été entendu) ... la décision de renvoi est illégale. Benoît conseille une négociation à l’amiable avec le préfet de discipline. Sinon la famille est fondée à attaquer l’école en justice.
 
 

Face aux autres procédures judiciaires

Nouvelle communication téléphonique: cette fois-ci, c’est un jeune qui s’est fait voler sa Carte d’Identité. Une ligne téléphonique a été établie à son nom. Depuis, il reçoit facture sur facture avec menaces d’huissier. Là il faut porter plainte auprès de la police et envoyer une lettre recommandée à la compagnie de téléphone.
 
 
Amina, demandeuse d’asile est sous le coup d’une procédure d’expulsion. Or, elle a un projet de mariage avec un belge. Pour suspendre la décision qui la frappe, un recours en justice est nécessaire. Benoît lui montre le texte qu’il a préparé. Elle le corrige. Il lui explique la procédure à suivre pour l’adresser aux autorités judiciaires compétentes. Il lui recommande surtout d’en garder une copie par devers elle afin de la présenter en cas de contrôle de police.
 
 

Face au centre public d’aide sociale

Puis vient le tour de Rachid. Demandeur d’asile, lui aussi, il  est empêtré dans des difficultés financières. Il s’est fait refuser une aide. Coup de fil au Centre Public d’Aide Sociale pour tenter d’y voir plus clair. Il obtiendra la prestation demandée et pourra surtout bénéficier de l’aide médicale qui lui permettra de soigner ses dents.
Dernière visite de l’après-midi, un couple chargé d’enfants, victime de la précarité. La Compagnie de Gaz et d’électricité leur a coupé l’alimentation en énergie. La première aide du Centre Public d’Aide Sociale n’a couvert qu’une partie de la dette. Malgré la garantie représentée par le travail que vient de retrouver Madame, la Compagnie ne veut rien savoir: pas de réouverture des compteurs tant que toute la dette n’aura pas été épurée. Le couple se dit mécontent de l’assistante sociale du Centre Public d’Aide Sociale. Benoît leur propose d’aller trouver le chef de service. La législation belge propose depuis vingt ans un RMI appelé minimex. Son ambition consiste à garantir le respect minimum de la dignité humaine. L’impossibilité pour cette famille de bénéficier des sources d’énergie peut constituer une atteinte à leur dignité. En justice, le Centre Public d’Aide Sociale peut être condamné à payer l’intégralité de la facture permettant le rétablissement du gaz et de l’électricité. Mais avant d’intenter un tel recours un accord amiable sera tenté.
 
Voilà le quotidien de ce service du Droit des Jeunes qui propose un relais original que les mineurs et les jeunes adultes ne peuvent trouver nulle part ailleurs. Nombre de collègues français se seront reconnus dans telle ou telle intervention.  Sa spécificité apparaît bien néanmoins au travers de sa neutralité et de son indépendance à l’égard de toutes les autres structures. L’intérêt de cet organisme se mesure finalement bien à l’affluence des usagers qui la fréquentent.
 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°366  ■ 26/09/1996