Dossier sur le Québec

D’un pays a l’autre ...

Le système juridique québécois puise ses sources dans les traditions à la fois anglo-saxonne et française.
La première inspiration, d’origine  britannique se manifeste surtout par le régime dit accusatoire. C’est à la police et au ministère public d’apporter la preuve de l’infraction et de la culpabilité. Si celle ci n’est pas faite, le juge a alors pour seule alternative que l’acquittement. Au Canada, au pénal, le principe veut que la preuve soit apportée « hors de tout doute raisonnable »; au civil, il s’agit de réunir une « prépondérance de preuves » : celles-ci doivent apparaître plus probables qu’improbables, plus vraisemblables qu’invraisemblables. Une illustration de cette différence entre le « hors de tout doute raisonnable » et le « prépondérance de preuves » a été donnée il y a de cela quelques mois à l’occasion du procès d’Ogey Simpson, ce sportif américain accusé d’avoir assassiné sa femme, qui a été acquitté au pénal et ... condamné au civil pour les mêmes faits ! Ce système est fort différent de celui que l’on trouve en France où le Juge d’Instruction a l’initiative de l’enquête qu’il doit mener à charge comme à décharge (fonction inconnue outre-Atlantique) et où le tribunal tranche à partir de son intime conviction.
La tradition française se retrouve quant à elle dans un code civil largement inspiré par le code Napoléon. On retrouve aussi des lois de protection de la jeunesse et de traitement de la délinquance (voir articles spécifiques) qui sont relativement cousines à nos ordonnances de 1945 et loi de 1958.

Le Canada est une fédération. La justice de ce pays se partage entre les attributions d’ordre fédéral (comme la criminalité ou le divorce) et celles qui relèvent des provinces (comme la protection de la jeunesse ou le mariage). Ainsi, au sein de chaque province, on retrouve des cours et des juges dépendant du fédéral (Cour d’Appel, Cour Supérieure) et ceux qui sont spécifiquement provinciaux (Cour de Québec, Cour municipale). Les deux niveaux de juridiction sont amenés par la force des choses à s’entendre. Ce qui n’empêche pas les tensions. Ainsi, c’est sous la pression du fédéral, qu’un amendement a donné la possibilité pour les jeunes de 16 à 18 ans d’être dans certains cas déférés devant une cour de justice pour adultes. Il en va de même pour les propositions concernant le rabaissement de la majorité pénale de 12 à 10 ans et de la limite d’âge de compétence des tribunaux de la jeunesse de 18 à 16 ans. Pour l’instant ces modifications n’ont pas été adoptées, le parlement du Québec résistant à cette volonté d’origine plutôt anglophone (largement plus inspirée par ce qui se passe aux USA).

Les juges ne reçoivent pas de formation spécifique, comme c’est le cas en France avec l’Ecole de la Magistrature. Au départ, ce sont des avocats qui peuvent justifier de 10 années d’activité professionnelle dans le droit et qui font acte de candidature. Placés sur une liste d’aptitude, ils seront choisis et nommés en fonction des besoins soit par le gouvernement fédéral (pour les juges relevant de sa compétence -ils sont 150 au Québec), soit par le gouvernement provincial (ils sont 250).

Le Procureur de la Reine, appelé aussi Procureur de la Couronne intervient uniquement en matière criminelle ou pénale. Il n’est jamais présent en matière civile ou commerciale.
Les avocats ont un statut privé. Mais, ils peuvent aussi être salariés de l’Etat. Dans ce cas, ils sont payés par l’Aide Juridique. Le justiciable a la liberté de choix quant au statut de son conseil, y compris dans l’assistance d’un avocat privé payé par l’aide juridique (à hauteur d’un forfait fixé par la loi). Au moment de toute arrestation, le prévenu a le droit de consulter un avocat et ce, dès les premiers instants de la garde-à-vue. Les avocats organisent à cet effet des permanences de garde, très prisées par les jeunes professionnels  (il faut payer pour y être inscrit) qui y voient un moyen de se faire une clientèle.
La partie civile n’a pas sa place au moment du procès pénal ou criminel. Elle fera valoir ses droits dans la procédure civile.

La production cinématographique et télévisuelle américaine largement présente sur nos écrans met fréquemment en scène le système judiciaire. Cela explique pourquoi certaines procédures en vigueur sur le nouveau continent sont parfois plus familières au justiciable français que les étapes de son propre système judiciaire. Ainsi, du serment prêté sur la bible ou du juge appelé « votre honneur ». Il y a toujours quelque chose d’étonnant pour l’auditeur européen d’assister à ces joutes entre avocats du mineur, de la famille, du service social qui ont la possibilité de contre-interroger en plein procès l’inspecteur de police, l’expert psychiatre, l’éducateur-référent ... pour consolider ou au contraire affaiblir la preuve avancée. Non moins étonnantes, les tractations entre avocats avant le début de l’audience pour se mettre d’accord et aboutir à un arrangement que le juge entérine sans coup-férir. Il suffit que l’accusé plaide coupable pour que le procès n’ait pas lieu et que l’on passe directement à la fixation des sanctions. S’il plaide non-coupable, alors, commence le jeu des parties en présence pour amener la preuve... ou la démolir.
Pour nous européens, la logique nord-américaine peut sembler bien curieuse. Outre-Atlantique, elle constitue la base de toute bonne justice.
 
 
 La loi sur les jeunes contrevenants
La loi sur les jeunes contrevenants a été adoptée en 1984, puis modifiée en 1994.
Elle débute par une déclaration de principes dont la philosophie va traverser tout le texte.
 

Principes de base

« Les adolescents ne sauraient dans tous les cas être assimilés aux adultes quant à leur degré de responsabilité et aux conséquences de leurs actes; toutefois, les jeunes contrevenants doivent assumer la responsabilité de leurs délits. » Cette vision du jeune délinquant, à la fois immature et à la fois responsable est réaffirmée quelques lignes plus loin: « la situation des jeunes contrevenants requière surveillance, discipline et encadrement; toutefois, l’état de dépendance où ils se trouvent, leur degré de développement et de maturité leur créent des besoins spéciaux qui exigent conseil et assistance » C’est ainsi très clairement que se trouve affirmé la prégnance de l’éducatif sur le répressif : « la protection de la société qui est l’un des buts premiers du droit pénal applicable aux jeunes, est mieux servie par la réinsertion sociale du jeune contrevenant, chaque fois que cela est possible, et le meilleur moyen d’y parvenir est de tenir compte des besoins et des circonstances pouvant expliquer son comportement » et encore: « le droit des adolescents à la liberté ne peut souffrir que d’un minimum d’entraves, commandé par la protection de la société ».
 

Mesures substitutives

Le premier chapitre de la loi est consacré aux « mesures de rechange » qui peuvent se substituer aux procédures judiciaires. Ce n’est pas un hasard si le texte commence par des solutions alternatives.
Si un mineur commet un acte de délinquance, il peut lui être proposé des actes de réparation qui éviteront un procès. Pour cela, un minimum de conditions doivent être réunies: ainsi, on doit vérifier la preuve suffisante justifiant d’une poursuite, la reconnaissance de l’adolescent de sa pleine responsabilité dans l’infraction commise et sa ferme volonté de collaborer à la mise en œuvres des mesures. La loi précise qu’il ne pourra être fait état des aveux de culpabilité ou des déclarations formulées par le jeune en vue de bénéficier de mesures de rechange, comme preuve dans les poursuites civiles ou pénales dirigées ultérieurement contre lui.
 

Parents gardiens?

La loi sur les jeunes contrevenants précise aussi les conditions de la détention préventive. Originalité du système québécois, la possibilité en lieu et place de « la mise sous garde », de confier l’adolescent « aux soins d’une personne digne de confiance ». Cet arrangement fait l’objet d’un engagement écrit signé tant par l’adulte-« gardien » (qui déclare assumer les soins du jeune, se porter garant de sa comparution, et de respecter toutes les conditions fixées par le juge) que par le mineur. Seule une nouvelle ordonnance peut décider de dégager l’adolescent et son « gardien » des obligations contractées. On se trouve alors parfois dans une situation où les parents sont mandatés par le tribunal pour surveiller leur rejeton, comme alternative à la détention !
 

Le jugement

Le procès a lieu selon des procédures quelques peu différentes par rapport à celles qui s’appliquent aux adultes. Mais les règles de droit et d’administration de la preuve sont les mêmes.
Le tribunal peut demander que le jeune contrevenant soit évalué par une personne compétente, chargée de fournir un compte rendu d’ordre médical ou psychologique. De même peut-il faire établir un « rapport prédécisionnel » faisant le point sur les antécédents du jeune,  sa maturité, son désir de réparer, ses capacités d’amendement ainsi que les aptitudes éducatives de ses parents.
Les auteurs de ces documents peuvent être contre-interrogés devant le tribunal, par le jeune, sa famille, le poursuivant et les avocats de ceux-ci. Toutefois, le juge peut décider de ne pas rendre public tout ou partie de ces rapports, si cette communication devait nuire gravement soit à l’adolescent soit à des tiers. Les avocats seuls peuvent alors en prendre connaissance en totalité.
 

Les sanctions

Le juge a à sa disposition toute une série de sanctions possibles: libération aux conditions fixées par le tribunal, une amende maximale de 1000 $, le versement d’une somme à la victime, la restitution à leur propriétaire des biens qui lui ont été dérobés ou son indemnisation sous forme de service, l’exécution d’un travail bénévole au profit de la collectivité, une période de probation d’une durée maximale de 2 ans ou encore une mise sous garde continue ou discontinue.
La peine d’amende peut être acquittée en accumulant des crédits pour un travail effectué dans le cadre d’un programme établi à cette fin.
L’ordonnance de probation, qui est la mesure la plus prisée par les juges, est assortie de toute une série de conditions qui peuvent aller de l’obligation de fréquenter avec assiduité l’école, un centre de formation ou de loisir approprié, de résider en un lieu déterminé, de signaler à la justice tout changement d’adresse, de se soumettre à la surveillance de toute personne désignée par le juge. Ce sont, le plus souvent, les « délégués à la jeunesse » qui sont  chargés d’exercer ce suivi.
Quant au placement sous garde, il « ne doit être imposé que lorsque toutes les mesures raisonnables dans les circonstances, de substitution à la garde ont été envisagées. » Deux types de garde s’avèrent possibles: « garde en milieu ouvert » qui correspondent à nos foyers d’hébergement et la « garde en milieu fermé » qui consiste en un internement sécuritaire (qui remplace ce qui en France constitue l’incarcération des mineurs). Le choix de l’un ou l’autre ou le passage de l’un à l’autre dépendent du comportement du jeune: recours à la violence, tendance à la fugue, capacité d’amendement ... La mise sous garde doit être revue tous les ans. Elle pourra être modifiée en cas de progrès constaté chez l’adolescent, de modifications importantes des circonstances qui ont conduit au placement, de possibilités pour le jeune de bénéficier de services et programmes qui n’existaient pas au moment de la décision initiale. Mais, dans cette procédure de révision, c’est au jeune et à son avocat  d’apporter la preuve des nouveaux éléments.
 

Dispositions diverses

La mise en liberté provisoire du jeune place sous garde est possible « soit pour des raisons médicales, humanitaires ou de compassion, soit en vue de sa réhabilitation ou de réinsertion sociale » pour une période continue de 15 jours maximum, soit discontinue à des jours et des heures fixées.
Le huis-clos n’est pas en matière pénale systématique. Mais le tribunal peut exclure de la salle d’audience toute personne dont il juge la présence inopportune. Toutefois reste interdit comme au civil toute publicité faite au procès qui implique un mineur.         
Est passible d’un emprisonnement de 2 ans, toute personne qui incite ou aide un adolescent à ne pas respecter une décision du tribunal quelle qu’elle soit.
Enfin, dans certaines circonstances, le Tribunal de la Jeunesse peut renvoyer un mineur âgé de 16 à 18 ans devant une Cour d’adultes.
 
 
 
Comment se passe une interpellation
Lorsque les policiers interpellent un adolescent suite à une infraction, ils saisissent le Substitut du Procureur Général.
Le Substitut a la possibilité de fermer le dossier par manque de preuves et donc de faire relâcher le jeune.     
Il peut aussi renvoyer vers le Directeur de la Protection de la Jeunesse, au cas où des mesures de rechange s’avéreraient possibles. L’engagement dans cette solution fait disparaître l’accusation.
Il peut enfin judiciariser, en procédant à une injonction d’avoir à comparaître devant la Cour ou en procédant à la mise sous garde avec la comparution devant le tribunal dans les 24 heures.
 
 
 
 
La loi sur la protection de la jeunesse
La loi sur la Protection de la Jeunesse (que nous nommerons par facilité dans la suite de cet article, à la suite de nos amis québécois « LPJ ») a été votée le 15 janvier 1979. Elle est le produit d’une réforme majeure dans le domaine du droit de l’enfance et a nécessité de longues discussions puisque le projet avait été déposé devant le parlement du Québec en 1977. Plusieurs amendements sont venus depuis aménager  ses modalités.
 

L’enfant, ses parents & l’état

La LPJ reconnaît pour la première fois dans l’histoire législative du pays, l’enfant comme sujet de droit. Elle attribue aux parents la responsabilité première en matière de soin , d’entretien et d’éducation (article 2-2). Pour autant, elle charge l’Etat d’une responsabilité complémentaire quand « la sécurité ou le développement d’une enfant est considéré comme compromis » (article 38) Le législateur a souhaité énumérer les situations que son assertion visait plus particulièrement. Une liste de circonstances se trouve ainsi établie: cela va de l’abandon à la fugue, en passant par l’absentéisme scolaire, les troubles de comportement sérieux, l’exploitation, le danger moral ou physique, l’abus sexuel ou les mauvais traitements physiques, l’absence de soins, le développement mental ou affectif menacé, le risque de danger moral, la privation de conditions matérielles d’existence, les parents qui ne s’acquittent pas de leurs obligations. L’existence de ces précisions est directement liée à la charge de la preuve qui pèse sur les services sociaux qui vont devoir prouver au juge qu’il existe bien une situation dite de « compromission » pour l’enfant.
La loi fait obligation à tout citoyen de signaler un enfant en danger (article 39). Elle précise aussi les modalités quant aux procédures de traitement social éducatif et judiciaire.
 

Un acteur central: le directeur de la protection de la jeunesse

La LPJ a institué (article 31) un Directeur de la Protection de la Jeunesse (DPJ) qui a pour tâche centrale de recevoir les signalements. Il les fait traiter par ses services qui décident alors de les retenir ou non pour évaluation. La moitié des situations font l’objet d’un examen plus approfondi. Seulement 30 % aboutissent à une proposition d’intervention.
Premier cas de figure: il apparaît possible de  passer un accord avec la famille : ce sont les « mesures volontaires » (article 52 et suivants). Le DPJ, les parents et le jeune (s’il a plus de 14 ans) vont alors signer un contrat fixant les modalités adoptées pour modifier le dysfonctionnement dans des proportions telles qu’elles mettent le mineur hors de danger. Cette intervention d’un commun accord est délibérément limitée dans le temps. Un délai d’une année renouvelable une fois est laissé pour permettre de régler le problème. Au-delà de cette période, si l’amélioration envisagée n’aboutit pas, il y aura judiciarisation. Le législateur a voulu éviter qu’une intervention socio-éducative puisse s’éterniser sans que ni le juge, ni les avocats n’aient à jouer leur rôle.
Second cas de figure: si cet accord à l’amiable ne semble pas possible ou pas souhaitable, si une fois établi, il est rompu ou si le terme permis pour les mesures volontaires est dépassé, le DPJ saisit le Tribunal de la Jeunesse d’une déclaration alléguant les motifs conduisant à la compromission de l’enfant (article 74). Chaque partie en présence -le DPJ, l’enfant, ses parents- assistée d’un avocat va défendre son point-de-vue devant le juge qui devra déterminer s’il y a danger ou non et donc décider de toute mesure permettant d’y mettre fin et d’éviter sa reproduction. Le tribunal peut alors ordonner l’hébergement obligatoire (article 62) ou toute mesure qu’il juge utile (article 54)
Troisième cas de figure: dans l’hypothèse d’un danger immédiat et pressant, le DPJ a le pouvoir de prendre en urgence une mesure de retrait de l’enfant (article 46 et suivants). Ce placement (qu’il se réalise en famille d’accueil ou en établissement) n’a une validité que de 24 heures (ouvrables). A l’issue de cette période, une requête est présentée devant le Tribunal qui doit statuer sur le bien-fondé de son éventuelle reconduction qui ne peut dépasser 5 jours. Une nouvelle audience sera alors nécessaire pour obtenir une nouvelle période d’hébergement de 30 jours renouvelables une seule fois aux fins d’enquête, d’expertise et d’évaluation qui devront aider à une prise de décision sur un plus long terme.
           

Droits des usagers

La LPJ ne fait pas que fixer les conditions et modalités d’intervention auprès des mineurs en danger. Elle précise aussi les droits des usagers et des devoirs des professionnels à leur égard. Ainsi, les services du DPJ « doivent être accessibles tous les jours de la semaine et 24 heures par jour » (article 34). L’article 2-4 précise « la nécessité de traiter l’enfant et ses parents avec courtoisie, équité et compréhension, dans le respect de leur dignité et de leur autonomie ». Le même article stipule qu’il est nécessaire non seulement de permettre aux usagers « de faire entendre leurs points-de-vue, d’exprimer leurs préoccupations et d’être écoutés » mais aussi de veiller à ce que ceux-ci aient bien compris les explications qui leur sont fournis. A cet effet, ils doivent être informés de la possibilité de consulter un avocat et de faire appel de la décision prise. Une Commission des Droits de la Personne et des Droits de la Jeunesse peut être interpellée (ou se saisir d’office) afin d’enquêter sur toute situation d’un enfant ou d’un groupe d’enfants dont les intérêts ne sembleraient pas avoir été respectés (article 23). Ses membres peuvent pénétrer dans tout service ou établissement à propos desquels ils ont un motif raisonnable de soupçonner un dysfonctionnement grave mettant en péril la sécurité ou le développement d’un ou des mineurs qui y sont accueillis. A cet effet, ils se font délivrer une autorisation par le Juge, mais peuvent s’en passer en cas d’urgence. Suite à cette visite, la Commission émet un avis. S’il n’est pas suivi, le Tribunal peut être saisi.
Autre droit important pour l’usager: celui de consulter son dossier (article 96). Ce n’est pas seulement l’avocat qui peut en avoir copie, mais aussi l’enfant (s’il est âgé de 14 ans et plus) ainsi que ses parents. C’est la communication qui est la règle, l’exception étant la décision du Tribunal interdisant tout ou partie de la transmission au cas ou celle-ci provoquerait de grosses difficultés (dans ce cas-là, seul l’avocat peut en avoir connaissance).
Parmi les personnes en capacité d’interjeter appel, on trouve « l’enfant » (article 101) dont la capacité d’ester se trouve ainsi élargie. L’article 107 précise: « l’appel est instruit et jugé d’urgence ». Toutefois, il n’est pas suspensif de la décision, sauf si le juge en décide autrement.
Le DPJ est tenu de réviser périodiquement la mesure. Si l’enfant ou la famille ne sont pas d’accord avec les termes de cette révision, ils ont la possibilité de saisir le tribunal (article 74-2).
Il est important de rappeler que la LPJ cherche bien placer l’enfant hors de tout danger. « Toute intervention auprès d’un enfant et de ses parents doit viser à mettre fin à une situation qui compromet la sécurité ou le développement de l’enfant et à éviter qu’elle ne se reproduise » (article 2-3). Pour autant, ses objectifs consistent bien dans la réinsertion dans les meilleurs délais dans la famille, en aidant les parents à assumer leurs responsabilités. Si cela s’avère impossible, il sera recherché des conditions de vie dans le placement qui se rapprochent le plus du milieu familial normal (article 4).
  

Livret d’accueil 

Chaque adolescent pris en charge dans un Centre de Réadaptation relevant du Centre de Jeunesse de la ville de Québec reçoit un livret d’accueil composé de cinq documents. Leur présentation ici permettra au lecteur de se faire une idée de l’esprit dans lequel fonctionnent les internats rééducatifs de la Belle Province.

Règles internes et mesures disciplinaires 
      
Affichées dans tous les lieux d’accueil, ces règles et mesures sont en outre remises au mineur et à ses parents sous la forme d’un document écrit compris dans le livret d’accueil.
                        « Bonjour à toi,
       Quelle que soit la raison précise de ta venue au Centre de Réadaptation, nous savons qu’elle est reliée à une situation difficile pour toi et que tu n’as probablement pas souhaité ton séjour. Il en est de même pour les autres jeunes que tu y rencontreras. Avec toi et tes parents, les éducateurs et autres professionnels vont établir et poursuivre un plan d’intervention pour que tu sois plus clair en toi et que tu trouves des solutions à tes difficultés. Les services offerts et les programmes mis en place n’ont qu’un but : répondre le mieux possible à tes besoins afin que tu reprennes rapidement ta vie en main. » Ainsi commence le livret qui s’adresse directement au jeune.
 
Deux brefs chapitres viennent rappeler ce qu’un dépliant spécifique développe (voir § 3) à savoir les droits (« tu es une personne à part entière et nos lois disent que tous les êtres humains sont égaux en valeur et en dignité et ont droit à une égale protection en regard de la loi ») et les obligations ( le jeune vit avec d’autres adolescents, les éducateurs, la direction qui ont chacun des droits: « tu réussiras à t’entendre avec eux en respectant leurs droits comme ils devront respecter les tiens »).
 
Puis viennent les règles de conduite proprement dites. Elles sont regroupées autour de cinq catégories de responsabilité.
§   Responsabilité du jeune face à lui-même: santé, règles d’hygiène, mode vestimentaire, alimentation et interdiction de consommation (alcool, drogue).
§   Responsabilité du jeune face aux autres: respecter autrui dans les relations de la vie sociale. Il s’agit d’accepter la différence, de suivre les règles de savoir-vivre, de ne menacer personne. Sont prescrits le matériel à caractère pornographique, morbide ou violent, les armes et objets dangereux. Il est par contre demandé au jeune « d’exprimer poliment et au bon moment ton désaccord sur une décision prise par l’éducateur » ou encore de « respecter les mesures prescrites pour protéger les autres de la contagion ».
§   La responsabilité des biens personnels et de ceux d’autrui: garder les chambres propres, participer à l’entretien, respecter l’environnement et le matériel prêté, ne pas emprunter sans permission ni briser les biens de l’autre ou du centre.
§   La responsabilité face à l’implication: participer le mieux possible et activement aux mesures d’aide proposées et remplir les tâches confiées.
§   La responsabilité face aux tâches et rôles de chacun: accepter l’éducateur dans son rôle d’autorité et de conseiller, mais aussi assumer le mieux possible ce que le jeune s’est engagé à faire.
 
Viennent ensuite les mesures éducatives et disciplinaires.
Si d’un côté, la vie en société impose le respect des règles sociales, rappelle le document, chacun est unique avec ses propres besoins et réactions. Aussi, les mesures adoptées par l’éducateur sont-elles adaptées à chaque personnalité et à chaque situation.
§   Les mesures éducatives évoquées sont multiples: depuis « utiliser l’humour » à « te donner un ordre clair et ferme » en passant par « te rappeler la règle en cause », « t’inviter à parler seul à seul », « s’approcher un peu plus de toi », « te demander de cesser ou de faire quelque chose »,  « te proposer une réflexion ».
« Ainsi l’éducateur pourra te signifier sa désapprobation de façon discrète afin que tu changes ton comportement. Il pourra attirer ton attention par un regard, une mimique, un signe de la tête ou de la main, par un bruit quelconque ».
§   Puis viennent les mesures disciplinaires qui sont « des moyens beaucoup plus encadrants » visant à « sanctionner tel ou tel comportement, de manière à ce qu’il ne le répète plus. » « Si l’éducateur doit sanctionner un de tes comportements, il te dira qu’il le fait, il te dira pourquoi il le fait, et combien de temps cela va durer, de manière à ce que tu comprennes toujours le sens du geste qu’il pose à ton endroit »
Première mesure possible: le retrait. Cela peut s’appliquer dans la même pièce, mais éloigné du groupe, dans une autre pièce, dans la chambre, dans une salle neutre ou de retrait. « Dans ces situations, il pourra t’être nécessaire de te retrouver seul quelques temps, soit pour que ta colère baisse, sans que tu te sentes humilié, pour te soustraire à la pression du groupe, pour éviter qu’une situation s’aggrave, pour te permettre de reprendre le contrôle et pour que tu puisses voir un peu mieux ce qui se passe en toi. » La durée de ce retrait dépend de la collaboration et de l’implication du jeune.
Deux autres mesures sont possibles: elles « sont très sérieuses, car elles te privent de ta liberté de mouvement. » Toutefois, elles « ne peuvent être utilisées comme punition ou sanction, elles ne peuvent servir qu’à te protéger ou protéger autrui d’un danger ». Il s’agit de l’isolement et de la contention. L’isolement a lieu dans une pièce aménagée à cet effet, la contention consiste à bloquer physiquement l’adolescent en pleine désorganisation.
L’éducateur peut aussi prendre des sanctions sous la forme d’un retrait d’opportunités (libertés accordées suite à un comportement positif telle la possibilité de circuler seul dans le centre, ne plus être à proximité de l’adulte, s’inscrire à des activités à l’extérieur du centre, etc ...) Cela peut être aussi une « conséquence » (suite à un manquement à une règle): reconnaître ses torts, présenter des excuses, être privé de TV, rester en retenue, nettoyer ce qu’on a sali, être l’objet d’une plainte, etc ... « Toujours les conséquences doivent être appliquées en respectant ton intégrité et ta dignité. C’est pourquoi les corrections physiques, les privations de nourriture ou de sommeil ou toute autre mesure indigne ne peuvent jamais servir de sanction pour quelque geste que ce soit ».
Toute mesure disciplinaire répétitive fait l’objet d’une « stratégie spéciale » qui vise à pallier à une situation de grande souffrance d’un jeune n’arrivant pas à intégrer le rythme de vie et les exigences du centre. Ces modalités sont dûment élaborées en équipe et autorisés par le chef de service.
                       
Le document se termine par un long paragraphe consacré aux « moyens d’appel et de plainte »: « Les éducateurs (agissent) au meilleur de leur connaissance avec ce qu’ils sont comme individu et ce qu’ils vivent. Eux aussi, sont des être humains comme toi et peuvent se tromper comme tout le monde. C’est pourquoi nous voulons te préciser quelles sont les démarches que tu peux faire, si tu crois qu’un éducateur s’est trompé en intervenant auprès de toi (...) Tu as le droit de savoir pourquoi on agit de telle façon avec toi, de faire réviser les décisions. La loi te permet même de porter plainte officiellement. » Avant de repréciser le contenu d’une procédure qui fait l’objet d’un dépliant spécial(voir §4), le texte incite le jeune à régler son problème directement: « plus tu seras habile à résoudre tes conflits par toi-même de façon responsable et avec  la personne concernée, plus il te sera facile d’atteindre tes buts dans la vie. »
 
           
Code d’éthique du personnel
En tant que membre du personnel, « j’ai comme attitude fondamentale dans mes relations avec l’usager et le titulaire de l’autorité parental, d’accorder le même respect, la même attention, les mêmes égards que je voudrais pour moi-même et les miens dans une situation similaire. » C’est ainsi que commence le document qui énumère toute une série d’engagements regroupés sous trois chapitres:
- le respect tant des différences que des besoins, de la capacité de compréhension de l’usager et du titulaire de l’autorité parentale, et de son information quant à ses droits.
- la valorisation: reconnaissance et développement des capacités, habiletés, expériences, compétences ainsi que de l’autonomie et du sens de la responsabilité.
- l’implication: favoriser la participation à l’action engagée.
Ces valeurs clairement désignées apparaissent comme les moyens d’atteindre le but que se fixent les Centres de Protection de l’Enfance et de la Jeunesse: aider les jeunes et les mères en difficulté, ainsi que leur famille à se reprendre en main sur le plan personnel, familial et social.
 
 
« Mes droits, j’y tiens ! Mes obligations, je les remplis ! »
Ce dépliant -comme son titre l’indique- précise les droits et obligations auxquelles est soumis l’adolescent.
Parmi les droits rappelés, on compte celui d’être traité avec dignité et respect, de bénéficier de services adaptés à ses besoins, d’être informé, entendu et consulté sur les questions qui concernent le jeune, le droit d’exprimer son désaccord, d’être représenté par un avocat, de communiquer en toute confidentialité, de consulter son dossier (en conformité avec la loi sur l’accès à l’information).
Quant aux obligations, elles sont au nombre de 5: le respect (des personnes, des règles et des procédures), l’écoute attentive, l’honnêteté, la collaboration et la franchise.
Un comité d’usagers fonctionne dans chaque centre. Il se fixe pour tâche d’informer les usagers, de les accompagner dans leur démarche et leur éventuelle procédure de plainte, à veiller aux conditions de vie, à sensibiliser le personnel  aux besoins des jeunes accueillis.
 
 
« Vous désirez faire part de votre insatisfaction ? Procédure de plaintes. »
Formulaire à remplir dans le cas d’une insatisfaction ou d’une plainte.
Les personnes à contacter sont au choix de l’usager:
- l’intervenant social référent,
- le responsable de l’établissement,
- la conseillère aux plaintes des Centres Jeunesse de Québec qui doit répondre dans un délai maximal de 60 jours,
- passé ce délai, sans réponse, un recours peut être adressé à la Régie Régionale de la Santé et des Services Sociaux du Québec (organisme d’Etat s’occupant de la gestion du secteur médico-social).
 
 
Lettre de la « commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse »
Cette lettre rappelle au jeune quels sont ses droits et les modalités pour faire appel auprès de la Commission au cas où il pense que ceux-ci ne sont pas respectés.
 
 
 
L’avocat d’enfant au Québec
A plusieurs reprises depuis 1976, le barreau du Québec s’est penché sur la représentation des enfants par un avocat devant les tribunaux. C’est d’ailleurs à partir de 1979 que certains avocats se sont spécialisés dans le droit de la jeunesse.
Une nouvelle commission s’est réunie à partir de septembre 1992. Elle a auditionné de nombreux experts et a tenté de faire le point. Son pré-rapport a été soumis à diverses instances professionnelles. La mouture finale a été présentée en février 1995. Elle formule un certain nombre de propositions de modifications législatives. Le corpus de ce texte a été utilisé ici pour présenter la pratique de l’avocat d’enfant dans la  Belle Province.
 

L’enfant, sujet de droit

C’est à partir des années 70 que l’enfant, jusqu’alors objet de droit est devenu au Canada sujet de droit au même titre que l’adulte.
Toutefois, la vulnérabilité du mineur a incité le législateur à maintenir une distinction préservant la primauté de son intérêt particulier. Ainsi, la preuve par ouï-dire de la déclaration du jeune est-elle admissible. Celui-ci bénéficie par ailleurs de la possibilité de l’huis-clos mais aussi d’une ordonnance de non-publication des éléments de son procès ainsi que de l’accompagnement pour les moins de 14 ans d’une personne de soutien. La réforme du code civil a élargi le droit pour le mineur d’ester. La possibilité pour lui de s’exprimer et d’être entendu qui relevait auparavant du pouvoir discrétionnaire du tribunal est devenue obligatoire sous réserve d’un âge suffisant et de la capacité de discernement. Dans les faits, la représentation par un avocat a pu se généraliser en 1973 suite à l’adoption de la loi sur l’Aide Juridique permettant l’assistance gratuite pour les mineurs. C’est à partir de l’adoption de la loi sur la Protection de la Jeunesse votée en 1977 qu’est fait obligation au juge d’informer l’enfant de la possibilité de bénéficier d’un conseil et même dans  certains cas de veiller à ce qu’il en soit pourvu (par exemple quand son intérêt est opposé à celui de ses parents, quand il est exclu de l’enceinte du tribunal, quand la communication de certaines parties du dossier lui est interdite). Pour autant, si le droit à la représentation est bien reconnu, cela ne se réalise pas systématiquement. Si cela était, cela signifierait la judiciarisation de toutes les décisions le concernant, ce qui n’est pas souhaitable. L’intervention de son représentant légal ou éventuellement d’un tuteur ad’ hoc peut éventuellement suffire pour sauvegarder son intérêt.
Le tuteur ad’ hoc est désigné par le tribunal quand l’enfant se trouve en opposition avec la personne détentrice de l’autorité parentale et surtout quand il n’est pas en capacité de mandater par lui-même. C’est le tuteur alors qui mandate.
 

Le mandat de l’avocat d’enfant

Dans les cas où l’avocat représente effectivement l’enfant (en matière criminelle, de protection et plus limitativement en droit civil), le rôle qui lui dévolu recouvre 3 possibilités: amicus curiae, gardien ad litem et procureur.
Lorsque l’avocat est nommé par le tribunal pour informer, assister et conseiller l’enfant sur le droit, il joue un rôle d’intermédiaire avec les adultes et veille tout particulièrement à rendre compréhensible la procédure et le langage juridique. Il est alors comme son nom l’indique (amicus curiae): « l’ami du tribunal ». Tenu à la plus stricte neutralité, il peut difficilement prétendre représenter l’enfant.
Deuxième option possible, celle de gardien ad litem. Cela concerne plus particulièrement l’enfant incapable, vu son âge et sa maturité, de mandater. Cela n’exclut toutefois pas qu’il puisse bénéficier d’un conseil. Il s’agit alors pour celui-ci de protéger l’intérêt de l’enfant, de veiller au respect des procédures et de présenter des conclusions qui aillent dans son sens.
Troisième possibilité: celle du procureur, il s’agit littéralement de recevoir procuration de l’enfant. On est là, dans la règle du mandat conventionnel qui régule au Québec, la relation du professionnel avec son client.  Il l’aide à élaborer sa représentation. L’avocat non seulement défend son intérêt, mais va aussi représenter ses droits et ses désirs.  Il a le devoir de l’informer sur la faisabilité de ses souhaits ainsi que sur leurs conséquences. Il ne peut présenter des conclusions contraires au mandat de son client. Dans une situation de cas de conscience il a le devoir de se retirer. Quand on aborde ce rôle de procureur, se pose aussitôt la question de la capacité du mineur à donner un mandat.
Entre la naissance et l’âge adulte, l’enfant acquière progressivement les aptitudes nécessaires à sa participation aux décisions juridiques qui le concernent : capacité de discernement (compréhension de la nature et des conséquences d’un acte), de contractualisation (l’établissement d’un contrat implique la conscience  d’avoir à s’obliger) et d’assentiment (aptitude de l’individu à recevoir et à donner son avis sur  ce qui le concerne). Malgré la rareté des études sur cette question, il semble que ce soit entre 12 et 14 ans que l’enfant va pouvoir manifester en outre les facultés d’expression de sa volonté, de l’expression d’un choix et enfin de révocation d’un mandat. La loi ne donne aucune règle quant aux critères d’âge. Est-il souhaitable que le législateur fixe cette limite ? L’absence d’uniformité des différents textes de référence rendrait la chose délicate. Si on laisse à l’avocat le soin de décider si l’enfant est apte à mandater, c’est le risque d’arbitraire qui apparaît. D’autant plus que la plupart des avocats ne sont pas formés à déterminer la capacité effective de l’enfant. Cette solution a pourtant l’avantage de la souplesse. Elle permet de s’adapter à chaque cas particulier. Une enfant peut apparaître apte à mandater dans une procédure simple et moins apte dans une procédure plus complexe. De plus, ce n’est pas tant l’âge qui détermine la capacité que le développement psycho-intellectuel, ainsi que l’état de vulnérabilité. La solution adéquate serait alors de rendre obligatoire la formation des avocats et de contrôler plus étroitement leur pratique, tout en leur laissant évaluer librement les capacités du mineur.
 

Compétences et déontologie

La différence établie entre la notion de droit et celle d’intérêt a provoqué depuis des années de nombreux échanges: pour les uns, l’avocat doit se limiter à la défense des droits de l’enfant alors que pour les autres il a aussi le devoir de préserver ses intérêts. Les lois canadiennes quant à elles les considèrent comme complémentaires.
Autre débat très vif: celui qui tourne autour de ce que signifie représenter ses intérêts, avec notamment le dérapage possible quant à l’idée que se fait l’avocat de l’intérêt de l’enfant.
Un certain nombre de règles de déontologie s’imposent plus particulièrement au travail d’avocat d’enfant.
En tout premier lieu, il y a la relation de confiance. Valable dans tous les cas, elle est particulièrement importante avec les mineurs. Elle se concrétise par une disponibilité accrue et une continuité dans la représentation. Puis vient la célérité: l’avocat doit s’assurer que les dossiers ne sont pas retardés inutilement, en faisant attention notamment aux multiplications des remises dues aux expertises et évaluations demandées.
Autre notion fondamentale: la communication. Il est essentiel que l’avocat se mette au niveau de compréhension de l’enfant, s’adapte à son langage, respecte son contexte familial et socioculturel et lui permette de discerner la nature et les conséquences de l’affaire qui le concerne.
La confidentialité est à la base de la relation de confiance. Elle s’exerce à l’égard de toutes les parties tierces, y compris la famille. L’avocat pourra consulter son syndic au cas où son devoir de confidentialité irait à l’encontre de l’intérêt de l’enfant. La loi l’autorise dans les cas d’abus sexuels de sortir du secret professionnel.
Mais, il faut aussi remarquer la nécessité de compétences particulières notamment celles qui concernent les notions minimales quant aux besoins, aux stades de développement et aux moyens de communication propres aux enfants.
 
Le rapport de la commission se termine par toute une série de propositions comprenant la création d’un organisme de consultation et de surveillance susceptible de conseiller les professionnels, d’assurer leur formation et de recevoir toute plainte de la part des clients mineurs ou de leur famille. Autre proposition: l’admission automatique à l’aide juridique de tout enfant en opposition d’intérêt avec ses parents. Ceci afin d’éviter à l’avocat tout conflit d’allégeance dans le cas où c’est la famille qui paie les services du conseil. Enfin, la création d’une liste d’accréditation des avocats spécialisés dans le droit des mineurs, la présence sur cette liste impliquant une obligation de formation minimale.
 
 
 
Services socio-éducatifs au Québec: organisation & mutation
Province de près de 7 millions d’habitants au sein d’une fédération canadienne largement dominée par les anglophones, le Québec est animé dans le domaine socio-éducatif d’un dynamisme tout à fait étonnant. La pression nord-américaine poussant à la déréglementation et au retrait massif de l’Etat au sein des programmes sociaux y est pour beaucoup. Préserver les avancées sociales que la « Belle province » s’est toujours honoré d’assumer, tout en répondant aux limitations de crédit, tel est le défi qu’il s’agissait de relever. C’est un véritable bouleversement qu’a connu le secteur socio-éducatif à partir de 1993. Nom générique de cette évolution: « virage-milieu » à comprendre comme un large mouvement de désinstitutionalisation et de rapprochement de la population.
 

L’intervenant place au cœur des quartiers

Illustration de cette évolution, la fermeture de grands internats dont le personnel et les moyens ont été redéployés sous diverses formes.
Ainsi les « Points Services Locaux »: ces nouvelles structures sont implantées au cœur des quartiers. Ce sont de petites unités qui mélangent à la fois un internat de 9 ou 10 lits et un suivi de 25 ou 35 jeunes en milieu ouvert. C’est la même équipe de professionnels qui assure conjointement ces deux activités. Le contact est très proche avec la population du quartier et les modalités de l’hébergement sont fixées d’une manière très souple et évolutive. L’enfant peut être reçu en internat une nuit ou plusieurs. Le passage de la vie en famille à celle de l’hébergement se fait progressivement, tout comme le retour au sein du milieu naturel. Bien sûr, un tel dispositif n’est vraiment possible que pour les situations qui ne sont pas trop lourdes. De grands foyers rééducatifs continuent à exister pour les jeunes dont la déstructuration nécessite un retranchement du milieu familial. Il n’en reste pas moins que cette modification a abouti par exemple dans la région de Montréal à la disparition la moitié du nombre de lits disponibles.
 

Substitut parental

Autre illustration de ce « virage-milieu », l’instauration de la mesure de « probation intensive » dont la ville de Québec a été à l’origine.
Lorsqu’un jeune commet des actes de délinquance qui lui valent un procès devant le tribunal de la jeunesse, ce dernier a coutume de décider de son suivi par un travailleur social chargé de vérifier le respect des obligations fixées: assiduité scolaire, interdiction de fréquentation de tel ou tel groupe de jeunes, contrainte de rentrer avant une heure précise (appelé « couvre-feux »), etc...
Dans le cadre de cette procédure dite de probation, l’intervenant a en charge 25 suivis. Cela peut convenir dans certaines situations. Dans d’autres, l’efficacité de la mesure s’en trouve limitée. Avec la « probation intensive », le travailleur social a en charge 5 jeunes. Son travail va consister à soumettre les adolescents à un contrôle intensif pour aboutir à la modification de leur comportement. Cela signifie intervenir à tous moments de la journée ... et de la nuit, de la semaine et ... du week-end. Ce service implique une grande flexibilité de la part du professionnel qui peut avoir à intervenir aussi bien à minuit que le dimanche matin. Une telle action ne convient pas à tous les cas de délinquants. Il permet de supplanter l’autorité familiale quand celle-ci est défaillante. Il est inopérant si ce dernier est criminogène et encourage la déviance du jeune.
 

Restructuration à grande échelle

Mais le « virage-milieu » a aussi été l’occasion d’une complète réorganisation des services socio-éducatifs.
Jusqu’en 1993 fonctionnait un certain nombre de services et d’établissements qui voyaient leurs compétences et attributions respectives se chevaucher. A partir de cette date, tous ces organismes ont été regroupés dans deux institutions distinctes.
Il y a tout d’abord les services dits de « première ligne » rassemblés sous l’égide des « Centres Locaux de Service Communautaire ». Toutes les actions relevant de la prévention sont basculées dans ce premier ensemble de synthèse: soins infirmiers de type dispensaire, accompagnement social, aide psychologique, actions en direction de l’enfant et la famille.
Deuxième institution créée en « seconde ligne »: le « Centre de Jeunesse » qui intervient dans la protection de l’enfance en danger ou en difficulté. Différentes directions prennent en charge l’évaluation des signalements de maltraitance, les suivis en milieu ouvert, l’hébergement en internat ou la gestion des adolescents délinquants.
Cette réorganisation a provoqué inévitablement un redéploiement des personnels. Ainsi dans la région de Montréal, sur les 1700 employés de ce qui constituait alors les « Centres de Services Sociaux », la moitié a rejoint en « première ligne » les « Centres Locaux de Service Communautaire ». Quant aux 11 Centres de Réadaptation (foyer d’hébergement), dont le plus important comprenait quand même 220 jeunes pour 350 employés, ils ont non seulement vu leur nombre être réduit, mais se sont mis à dépendre d’un seul conseil d’administration et d’une seule direction (celui et celle du Centre Jeunesse). Ainsi, ces structures disparates, sans coordination et confrontées à une traditionnelle culture de conflits et de friction ont trouvé une articulation qui leur permet de se répartir les taches et les compétences.
Avantage micro-humain: un enfant n’est plus un enjeu entre différents services qui se le renvoient comme une patate chaude. C’est un seul et même organisme à qui il incombe de trouver une solution.
Avantage macro-humain: face aux services de santé qui absorbent 90% des budgets et de l’activité ministériels, les services socio-éducatifs ne sont plus dispersés et acquièrent dès lors un poids un peu plus conséquent.
 

Résistance & ouverture

Un tel chamboulement n’a pas été sans provoquer de multiples résistances. Des licenciements ont eu lieu dans le secteur  de soutien (cuisinières, personnels d’entretien ...). Des pertes ont aussi eu lieu dans le milieu de l’encadrement. Les cadres ont vu doubler leur charge de travail: 1 pour 7 employés auparavant, 1 pour 15 dorénavant ... sans qu’on sache si les tâches de pur contrôle bureaucratique occupent dès lors tout leur temps disponible ou si elles ont cédé la place à un véritable travail de conseil et de supervision. Les professionnels ont été partagés entre leurs intérêts catégoriels et la perception qu’ils ont eue en tant que cliniciens de la pertinence de cette évolution. Toutefois, cette dernière a été rapide sans qu’aucune précaution ne soit prise. Le « virage-milieu » n’a été précédé d’aucune expérimentation préalable, mais a été généralisé très rapidement. Les ajustements s’opèrent au fur et à mesure au sein de chaque organisme présent dans les 16 régions qui composent la province du Québec. Ce qui fait dire aux responsables que le tableau d’aujourd’hui ne sera pas forcément celui des prochaines années, tant ils se sentent encore en pleine période de mutation.
 
 
À propos du secret partagé
Le secret professionnel s’impose à tout(e) assistant(e) de service social par profession et à toute une série d’autres professionnels par fonction (exerçant dans les services de PMI, de l’ASE, du RMI, etc ...). Pourtant, l’essentiel de l’action sociale se réalise à partir et dans le cadre d’une équipe. Dès lors, se pose le dilemme qui consiste à soit respecter scrupuleusement le devoir de discrétion à l’égard de l’usager, ce qui implique le blocage de tout travail de collaboration entre collègues, soit échanger des informations en violant le secret. La pratique a permis de déterminer le secret dit « partagé » qui permet de communiquer des renseignements, en respectant toutefois la qualité de la personne à qui l’on transmet (est-elle tenue aux mêmes obligations ?), le caractère limité de ce que l’on transmet (uniquement les éléments indispensables) et l’accord préalable de la personne concernée.
Confrontés à la même problématique, nos collègues québécois ont mis au point une fiche qui formalise auprès de l’usager cette pratique dont on pourra lire les détails ci-dessous.
 
 
À propos de la mesure de probation intensive
Parmi la panoplie des mesures que propose la loi québécoise sur les jeunes contrevenants on trouve (en allant du plus au moins sévère) la mise sous garde fermée (l’équivalent en France de l’incarcération), la mise sous garde ouverte (qui correspond au placement en foyer éducatif) et la probation (appelée chez nous « liberté surveillée »). Cette dernière mesure est particulièrement prisée puisqu’elle constitue plus de 50 % de toutes les décisions rendues par les magistrats. La population délinquante concernée par cette procédure comporte une fraction particulièrement déstructurée pour laquelle apparaît très vite l’inadéquation d’un suivi en milieu ouvert et la nécessité d’une mise sous garde. Pour autant, n’y a-t-il pas là place pour une solution intermédiaire ? C’est pour répondre à cette question que  dès le début des années 80, les USA et le Canada anglais ont mené des expériences qualifiées de « probation intensive ». Il s’agissait d’appliquer à des adolescents délinquants à haut risque une intervention spécifique exercée dans des conditions optimales. A l’automne 1992, le Ministère de la Santé et les services sociaux du Québec acceptèrent de subventionner l’expérimentation d’un tel programme. De mars 1993 à août 1994, 12 jeunes ont bénéficié d’une mesure de « probation intensive ». Au bout de ces 18 mois, un bilan était tiré de cette opération. Sa synthèse présentée ici donnera au lecteur une image assez représentative à la fois des modalités de fonctionnement des milieux socio-éducatifs québécois, de leurs capacités d’innovation, mais aussi des limites de méthodologies qui ne seront pas sans interroger plus d’un professionnel français.
 

Le « programme » dit de probation intensive

Pour les québécois, une expérience ne peut être menée sans que soient précisés le mode d’emploi et les références théoriques qui s’y réfèrent.
Ainsi, parle-t-on de la délinquance comme d’un phénomène lié à la crise normative de l’adolescence : 90 % des jeunes des pays industrialisés posent des actes qualifiés de circonstanciels, d’occasionnels, conçus avant tout comme des incidents de parcours. Pour 4 à 5 % de la population jeune, à cette délinquance « commune » se rajoute une délinquance « distinctive » qui multiplie les agirs et persiste à travers les années. Pour l’expliquer, on peut se référer à Greenberg qui insiste sur l’incapacité à satisfaire de façon socialement acceptable ses besoins, ou à Gottfredson et Hirshi qui parlent en termes de défectuosité de l’équipement de socialisation qui provoque les comportements inadaptés.
Conformément à ces prémisses théoriques, la « probation intensive » propose une rééducation des jeunes délinquants sous une forme particulièrement intensive et contraignante : couvre-feux; assiduité, ponctualité, travail et respect tant à l’école qu’au travail; interdiction de fréquentation tant de certains lieux que de certaines personnes; interdiction de consommation d’alcool ou de drogue; travail fourni au profit de la communauté etc ... L’ensemble de ces exigences va faire l’objet d’un contrôle direct : 4 contacts en moyenne par semaine (par téléphone, ou en contact direct), auprès du jeune et de ceux qui l’entourent (parents, école, clubs sportifs ...) et ce à toute heure du jour ou de la soirée, en semaine comme en week-end. En outre, il pourra être procédé à des tests urinaires ou sanguins pour vérifier d’éventuelles consommations illicites. On est là clairement dans une perspective de surveillance-contrôle, même si l’aspect aide-support garde une place fondamentale ne serait-ce pour préserver la relation de qualité entre le jeune et l’intervenant source de l’efficacité de l’action engagée.
 

Sélection du groupe de jeunes

Afin de déterminer les jeunes les mieux adaptés à un tel programme, une échelle a été retenue, celle mise au point par Fréchette en 1980. Elle se présente sous la forme de 12 variables :
            1- Présence de délinquance contre la personne.
            2- Volume des délits supérieurs à la moyenne du groupe.
            3- Présence d’intoxication lors des passages à l’acte.
            4- Utilisation d’instruments.
            5- Planification.
            6- Présence de complices.
            7- Fréquentation de pairs déviants ou délinquants.
            8- Absence de tension lors des passages à l’acte.
            9- Motivation utilitaire.
          10- Présence d’antécédents.
          11- Précocité (délinquance avant 12 ans).
          12- Utilisation de violence lors des passages à l’acte.
 
L’utilisation de cette grille est des plus simple. Chaque réponse positive à une question vaut 1 point.
La population sélectionnée pour le programme devait se situer dans un score-moyen entre 5 et 6 points. Mais pour être retenue, encore fallait-il qu’une décision du tribunal ne soit rendue.
Douze jeunes finirent par être désignés. Au bout de 12 semaines, 3 d’entre eux furent retirés du programme en raison de l’abondance et de la gravité de leurs nouveaux délits.
 

Evaluation des résultats

Il s’agissait, une fois l’expérience menée de pouvoir répondre aux questions portant sur la faisabilité du programme dans la réalité et sur les effets souhaités sur le comportement des jeunes. A cet effet, une méthodologie rigoureuse fut élaborée.
                       
Chaque intervention fut méticuleusement consignée à l’aide d’un formulaire informatisé permettant une compilation des différents éléments quantitatifs obtenus.
 
De plus, des mesures cliniques furent effectuées tant aux plans de la personnalité que du comportement sur chaque participant en début et en fin de programme. Deux instruments furent utilisés. La fiche crimino-métrique de Fréchette tout d’abord, permettant de dégager un indice de criminalisme, c’est à dire une mesure de mésadaptation repérée à partir de données sur la capacité criminelle (27 items) et sur la capacité sociale (31 items). L’inventaire Jessness ensuite, utilisé en Amérique du Nord depuis 1960 comme support diagnostic auprès des adolescents délinquants et qui tente d’identifier certaine dimensions fonctionnelles et dysfonctionnelles de la personnalité.
                       
Enfin, trois sous-groupes contrôle furent constitués afin de permettre l’analyse comparative des résultats :
§   Un premier groupe dit « comparable » composé de 9 jeunes présentant un niveau d’engagement dans la délinquance aussi sérieux que ceux bénéficiant de la probation intensive.
§   Un second groupe de 13 jeunes placés en Garde Ouverte pour la même période.
§   Un troisième groupe de 30 jeunes en probation régulière.
 
Les figures n° 1 & 2 apportent les résultats obtenus en matière de récidive entre le groupe soumis à la probation intensive (« intensifs ») et les trois groupes contrôles : « comparables », « mgo » (mise en garde ouverte) et « probation » (probation ordinaire).
 
Au bout de 18 mois, la probation intensive a permis de réduire d’une façon significative le taux de récidive et le volume moyen de cette récidive. La progression est remarquable en regard du groupe-témoin des « comparables » : 58 % de récidive pour 2,2 actes contre 77 % et 4,6 actes ! L’objectif a été atteint, à savoir: la réduction des agirs délinquants des adolescents à haut risque.
Quant à l’amélioration de la fonctionnalité sociale, la figure n°3 nous montre l’évolution à l’intérieur de l’ensemble de la population soumise à la probation intensive.
 
On constate une nette évolution des facteurs tels le « criminalisme »  (baisse de 5,5 à 4,3), la « capacité criminelle » (baisse de 5,2 à 4,1) et de la « capacité sociale » (croissance de 4,3 à 5,4).
 
Si on détaille ces mêmes facteurs en distinguant les 58 % de récidivistes (figure n°4) et les 42 % de non-récidivistes (figure n°5), on constate plus précisément les progressions sous la forme de baisse substantielle de l’orientation délinquante et l’amélioration des habiletés sociales
 

Conditions de réussite du programme

Un certain nombre d’exigences ont pu être dégagées comme essentielles à la réussite d’un tel programme.
Il faut d’abord que la communauté soit partie prenante du projet : juges, magistrats, policiers, écoles, ...
La famille ensuite, doit s’impliquer dans les modalités de l’action entreprise, toute difficulté majeure de sa part dans l’appui de la démarche pouvant sérieusement en mettre en cause l’efficacité.
Troisième facteur, la qualité des travailleurs sociaux qui doivent être expérimentés et bien connaître la problématique, le milieu ainsi que les ressources liés à l’intervention. Autre qualité exigée : la disponibilité, une bonne dose de sécurité professionnelle et personnelle et surtout le volontariat pour un travail qui amène à vivre des horaires non-conventionnels avec des jeunes sévèrement engagés dans la délinquance.
Quatrième ingrédient : un encadrement clinique, une supervision efficiente proposés à l’intervenant qui, s’il passe de 25 suivis (situation de probation classique) à 7, n’en bénéficie pas moins d’une qualité de soutien technique qui ne le laisse pas seul face à ses prise-en-charge.
La réussite du programme de probation intensive doit aussi correspondre en cette période de restriction des budgets socio-éducatifs, à des frais qui ne soient pas prohibitifs. L’application de ce projet pour un groupe de 12 jeunes durant 1 année, avec 2 intervenants et un coordonateur à mi-temps a couté 150.000 $, soit à peu près 660.000 Francs. Un tel coût représente 4 fois celui de la probation classique mais, 2 fois moins que la garde ouverte et ce pour un groupe de la même taille. Comme la population concernée par un tel programme peut être considéré à haut risque, elle justifie soit de la probation classique soit très rapidement d’une mesure de garde ouverte (l’une et l’autre orientation pouvant intervenir dans une égale proportion). Les économies potentielles sont donc tout à fait possibles au vu du simple aspect financier de la question.
 

Epilogue

L’utilisation en France de tests permettant de définir la personnalité des individus à partir du nombre de points obtenus à un certain nombre d’items est l’apanage soit du secret des cabinets de psychologues,  soit des revues grand public qui permettent ainsi à leurs lecteurs de savoir s’ils sont « égoïstes », « performants en amour » ou encore « véritable amateur de bon vin » ... En tous cas, ces tests ne sont pas le point de départ des évaluations.
Il en va de même pour la prégnance des méthodologies comportementalistes très forte sur le continent américain, mais loin de pouvoir concurrencer en Europe la logique psychanalytique encore largement dominante au sein des services et institutions médico-socio-éducatives.
Autant dire que la description qui vient d’être faite de l’expérimentation québécoise de la « probation intensive » peut légitimement nous surprendre, nous qui l’observons depuis le vieux continent. Après tout, n’y a-t-il pas quelque chose d’inquiétant à réduire ainsi la réalité humaine dans toute sa complexité et ses nuances en un simple codage de données (il suffirait alors de cocher des cases et d’additionner les points pour avoir tout compris d’un individu ...) ou en quelques injonctions bien placées visant à modifier les conditionnements.
 
Mais, pour irritantes que soient ces méthodes Nord-Américaines, il n’en reste pas moins une modalité d’intervention que l’on peut désigner comme le «chaînon manquant» entre l’internat et le milieu ouvert. Répondant à la fois à la pression économique des restrictions budgétaires (l’internat coûte très cher) et à la pertinence éducative et clinique du maintien dans le milieu de vie naturel, on peut s’attendre dans les années à venir à une percée de ce type d’expériences. On peut déjà évoquer en France l’exemple fort intéressant des « Services d’Adaptation Progressive en Milieu Naturel » à Nîmes qui ne s’applique pas pour les jeunes délinquants, mais qui tente de répondre à ce qui n’est pas assez dégradé pour nécessiter l’internat, mais trop fragile pour se contenter du milieu ouvert. L’enfant est confié par décision judiciaire à l’institution qui a possibilité d’élaborer un dispositif individualisé, souple et évolutif prévoyant par exemple l’intervention relativement massive du travailleur social au sein de la famille avec des séjours pour l’enfant à l’internat les périodes de midi, postscolaire et de loisirs mais le maintien du coucher chez lui tous les soirs.
 
Il convient toutefois de rappeler, en écho à nos collègues québécois, qu’un dispositif tel celui de la probation intensive n’est pas une panacée et ne convient pas à toutes les situations de mineurs. Il vient finalement se rajouter à une panoplie déjà sophistiquée et comporte intrinsèquement des limites et des conditions d’applications dont nous avons fait état dans cet article et qu’il est fondamental de ne pas perdre de vue.
 
 
Pour le meilleur et pour le pire !
La France et le Québec ont établi depuis de nombreuses années une relation d’amitié et de coopération tout à fait particulière.
Plus de 100.000 jeunes français et québécois ont participé à des échanges depuis 30 ans.
Le tourisme est florissant : 400.000 français franchissent l’océan chaque année en direction de la Belle Province, 200.000 québécois le font dans le sens inverse. Quant à l’immigration, 22.000 de nos compatriotes se sont installés outre-atlantique depuis 10 ans.
Cet engouement n’a pas épargné le secteur socio-éducatif et judiciaire. Tout au contraire, décennie après décennie, le public professionnel hexagonal s’est branché sur la longueur d’onde québécoise, recevant avec avidité telle méthodologie d’action sociale, telle expérience innovante, tel chercheur apportant une approche rénovatrice.
 

Modèle ou pas modèle ?

Il arrive parfois qu’en allant chercher aux sources, ce qui dans notre vieille Europe avait pu apparaître comme révolutionnaire, reprenne ses vraies proportions. Ainsi, cette assistante sociale qui, à la fin des années 80, participe à un voyage d’étude avec un groupe de collègues pour se rendre compte sur place de l’application de la méthode dite de « pratique de Réseaux » initiée par Brodeur et Rousseau, explique: « on croyait qu’ils étaient nombreux à pratiquer. On s’est en fait rendu compte qu’ils étaient très peu. Ils nous ont renvoyé un regard très critique de cette méthode: on nous disait que c’était une façon de demander aux pauvres de gérer leur misère. Cela nous a énormément déstabilisés. Finalement, c’était très sain, qu’on désacralise un peu tout cela. » Désacraliser est le bon terme. On peut aussi l’appliquer à l’Institut Pinel. Sur le front de la lutte contre la pédophilie, cet hôpital psychiatrique est présenté en Europe, comme un modèle. Enfin, un établissement qui essaie de « soigner » les abuseurs. Certes, les méthodes employées, inspirées du comportementalisme ne plaisent guère sur le vieux continent. Mais, au moins, essaient-ils de faire quelque chose. Les équipes qui vous reçoivent quand vous visitez cet établissement, vous regardent avec des yeux ronds quand vous leur parlez de leur réputation internationale. Hôpital de 250 lits spécialisé dans l’expertise criminelle, l’évaluation et le traitement de la maladie mentale, l’unité qui reçoit des pédophiles est forte de ... 10 patients ! Certaines études fixent à une victime sur deux, la proportion de dépôts de plainte en cas d’agression sexuelle. Les enquêtes qui s’ensuivent aboutissent à 30% de mise en accusation et à seulement 3% de condamnation. Sur les 3500 détenus des prisons québécoises, les condamnés « sexuels » représentent 15% soit 500 personnes. Sur cette population, l’Institut Pinel qui pratique, par ailleurs, d’une façon sans doute excellente, la prise-en-charge des malades mentaux, effectue une selection afin de n’admettre en son sein que les détenus qui peuvent démontrer leur coopération et leur motivation. Les pénitentiers appliquent quant à eux à une large échelle des méthodes béhavioristes pures (chocs électriques associés à des images de mineurs).
Rendre compte d’un voyage d’étude au Québec signifie donc éviter le piège de l’idéalisation, travers qui est d’ailleurs contradictoire avec le dynamisme d’un pays qui nous a habitués à ce que la vérité d’aujourd’hui ne soit pas forcément celle de demain.
Si l’Europe est à l’heure des restrictions budgétaires liées au traité de Maastricht, l’Amérique du Nord se trouve entraînée dans un processus similaire avec l’ALEA, cette alliance économique qui unit les USA,  le Mexique et le Canada. Si les deux premières nations n’ont guère de mal à organiser une réduction des programmes sociaux, le Canada, et notamment le Québec qui reste en pointe en la matière, rencontrent plus de difficultés. C’est là une des origines du bouleversement qui caractérise le paysage médico-social depuis quelques années. A partir des années 1993-1994, ce secteur a connu ce que les québécois appellent eux-mêmes le « virage-milieu » ou encore « ambulatoire »: fermeture de lits d’hôpitaux, de grandes structures d’hébergement, regroupement de services entre eux, réorientation vers le milieu naturel, etc ...

Les C.L.S.C.: services de première ligne

Les « Centres Locaux de Service Communautaire » ressemblent à nos Centres Médicaux-Sociaux qui sont composés en France du Service Social Départemental (assistantes sociales de quartier) et de la Protection Maternelle et Infantile (puéricultrice et médecins veillant sur les 0 à 6 ans). Mais, ce serait alors un Centre médico-Social qui, en plus du SSD et de la PMI, regrouperait: le Service de Santé Scolaire, les conseillères CAF, les services de Travailleuses Familiales et d’Aides Ménagères, les dispensaires, les Centres de Planning Familial, les Centres Médico-Psychologiques, les permanences de Sécurité Sociale et les Centres Communaux d’Action Sociale. A partir de 1993, tous ces services ont rejoint les CLSC qui existaient déjà depuis les années 70. Le CLSC nouvelle mouture se définit comme dispensateur de services de santé, sociaux et communautaire auprès de la population: soins infirmiers, accompagnement social ou psychologique, aide à domicile, info-santé, hygiène dentaire, éducation nutritionnelle ... sont ainsi dispensés soit dans les locaux du Centre, soit dans les lieux de résidence, dans les écoles ou dans les lieux de travail. Des actions collectives sont aussi proposées: atelier de stimulation en direction des parents d’enfant de 0 à 6 mois, groupes de support aux parents d’adolescents, aide aux familles d’enfants handicapés, mise en place de cuisines collectives, de cafés-rencontre, marraines d’allaitement contactables 24 heures sur 24. Chaque Centre de quartier est à l’initiative d’actions originales en fonction des caractéristiques de la population locale et de ses difficultés. Les populations  Enfance-Famille (0-11 ans) et Jeunesse (12-24 ans) sont plus particulièrement sollicitées. Les SLCS fournissent certains services 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 quand il s’agit de permanence téléphonique « info-santé », dans les interventions de crise ou d’urgence ou encore dans l’aide ou le soin à domicile. Ils garantissent une intervention médicale ou sociale dans le délai d’une heure dans les situations dites « aiguës, non urgentes ».
Les CLSC ont privilégié depuis leur création l’approche communautaire. Partant du principe que la personne est en interdépendance avec sa communauté, il s’agit pour l’intervenant de ne pas se substituer aux ressources déjà disponibles (familles, amis, tissu associatif, ...) mais de proposer sa compétence en complémentarité. Les valeurs qui sont mises en avant sont dès lors la solidarité et le partage, une intervention axée sur la personne dans sa globalité avant tout respectée et préservée dans son autonomie, et des relations égalitaires,  excluant une  hiérarchisation expert/bénéficiaire.
Autre originalité: ce qu’on peut appeler le « guichet unique ». Lorsque l’usager se présente au centre, il est reçu par un travailleur social qui a pour tâche d’évaluer sa demande. Après avoir fait le point avec lui, il va l’orienter vers une ressource interne (les divers programmes gouvernementaux en vigueur) ou vers une ressource externe. Selon la gravité et l’urgence de la situation, il donne accès aux divers services compétents.
Cette centralisation a permis de créer une dynamique interdisciplinaire: infirmières, médecins, psychologues, travailleurs sociaux, diététiciens, sexologues  travaillent en support les uns par rapport aux autres, et sont au plus près des besoins des usagers. Les cadres ont vu leur nombre diminuer: on en compte ainsi 3 pour un Centre fort de 130 intervenants !
 

Les centres de jeunesse du Québec: services de seconde ligne

C’est encore à partir de1993, que se sont regroupés tous les services intervenant dans la protection de l’enfant sous l’égide des Centres de Jeunesse. C’est là une réforme spectaculaire. Ainsi à Montréal, on ne comptait pas moins de 11 Centres de Réadaptation, parfois d’une taille impressionnante (jusqu’à 350 employés pour 220 lits pour une seule structure !),  tous indépendants les uns des autres. Les 1700 salariés du secteur ont été redéployés. Certains ont rejoint les CLSC où ils continuent des activités dorénavant classées comme relevant de la première ligne. Cette clarification permet de mettre un terme aux chevauchements, et aux coordinations inadéquates que les différents services disparates pouvaient offrir avec son lot de friction et de conflits. Parmi les grands Centres de Réadaptation, 4 établissements ont été fermés, ce qui a permis d’ouvrir des Foyers de Groupe (petites unités d’une quinzaine de jeunes) répartis dans les différents quartiers. Ont pu ouvrir aussi des Points Service Locaux: ce sont des unités mélangeant l’accueil d’internat (9 places) et des suivis en milieu ouvert (25 à 35 jeunes concernés) assurés par 8 ou 9 professionnels. Au plus près de la population, ces services offrent des placements très souples (hébergement à la demande, en fonction de la situation sur 1 ou plusieurs soirs), la continuité étant assurée entre la prise en charge en internat et dans la famille naturelle. Trois grosses institutions subsistent néanmoins, concernant les jeunes qui ont besoin d’être retranchés de leur milieu naturel. La moitié des lits disponibles a disparu. Le redéploiement a été rapide, ce qui a provoqué des résistances syndicales face à des modifications engagées sans garantie quant à l’avenir. Des pertes d’emploi ont eu lieu dans le secteur du soutien (cuisiniers, hommes d’entretien ...) et de l’encadrement (diminué de moitié).
 Le virage-milieu doit être compris comme une sortie de l’institution pour aller vers le quartier, vers la population, au plus près des familles, de ses préoccupations et de ses problèmes.
 
Le secteur socio-éducatif québécois est en pleine mutation: le tableau présenté ici connaîtra certainement dans les années à venir encore des modifications. Le Québec semble avoir la capacité de bouleverser ses institutions pour les adapter aux évolutions.
 
 
 Au carrefour de l’enfance en danger et de l’enfance délinquante: la Direction de la Protection de la Jeunesse
Chaque nation comporte ses propres traditions en matière de droits et d’usages juridiques. Le Québec n’échappe pas à cette règle. Le citoyen français sera ainsi surpris d’apprendre qu’au Canada, il n’existe aucun délai de prescription. Trente ans après une infraction quelle qu’elle soit, on peut encore en rendre compte devant une cour de justice. Sévérité d’un côté, magnanimité de l’autre: la liberté conditionnelle peut intervenir au 1/6 de la peine (la moitié en France). Autre étonnement, le code de déontologie qui s’attache à chaque profession en relation avec le public (avocat, médecin, psychologue, travailleur social, ...) interdit, sous peine de révocation, au professionnel d’avoir des relations sexuelles avec son (sa) client(e), quelles qu’en soient les circonstances, y compris quand celui-ci (celle-ci) est majeure et consentant(e).

En ce qui concerne l’enfance en danger et les jeunes délinquants, on peut constater une proximité assez grande entre les textes de lois québécois et français. On y retrouve la même philosophie de base: volonté de ne pas confondre le monde de la jeunesse et celui des adultes, recherche de responsabilisation du mineur, tentative pour mobiliser les parents, propositions de mesures alternatives à une intervention contraignante tant au civil qu’au pénal... Acteur essentiel du dispositif: la Direction de la Protection de la Jeunesse. Intégrée depuis 1993 aux Centres Jeunesse, elle joue un rôle très spécifique qui lui est reconnue tant par la Loi sur la Protection de la Jeunesse (équivalente à notre loi de 1958) que par la Loi sur les Jeunes Contrevenants (équivalente à notre Ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante).

La D.P.J. est chargée par la loi de recevoir les signalements d’enfants en danger. Un service téléphonique ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 les réceptionne. On en compte 50.000 chaque année. La moitié sont retenus pour faire l’objet d’une évaluation. Dans cette hypothèse, c’est un second service qui va faire le point : contact avec la personne signalante, rencontre avec la famille, l’école, l’enfant. Quand les parents reconnaissent les faits et apparaissent capables de changer leur comportement, il leur est alors proposé des « mesures volontaires » (modalités éducatives visant à leur permettre de se réapproprier leur parentalité). Un contrat est signé entre la DPJ, les parents et le mineur (s’il a plus de 14 ans). Une telle procédure doit correspondre à des situations qui sont susceptibles d’évoluer positivement assez rapidement. Aussi, ces mesures sont-elles limitées dans le temps (1 an renouvelable une seule fois). Au-delà de cette période, si un changement significatif n’est pas intervenu, il y a automatiquement judiciarisation.

Dans le cas où la situation ne se prête pas à une collaboration familiale et s’il y a danger immédiat, la DPJ dispose du pouvoir de retirer autoritairement l’enfant. Ce retrait n’est toutefois possible que pour 24 heures. A l’issue de ce délai, une procédure d’urgence devant le tribunal a lieu, le juge décidant alors du retour ou de la prolongation de la mesure en attendant la fin des investigations.
Mais le placement immédiat n’est pas forcément nécessaire. L’intervention du DPJ peut aussi aboutir à une audience ordinaire au bout de quelques mois pour soumettre au juge des propositions d’aide éducative. En attendant sa décision, les services sociaux ne peuvent agir qu’avec l’accord de la famille.

C’est une autre Direction des Centres Jeunesse qui est concernée par la prise en charge et le suivi des mineurs. Que le travail se fasse au sein de la famille ou par une mesure de « garde » en établissement, ce n’est jamais celui qui a évalué qui assure le suivi ultérieur. Ce sera d’ailleurs à nouveau à la DPJ d’effectuer la révision périodique de la mesure que lui impose la loi.
En matière pénale, le Procureur a pouvoir d’adresser à la DPJ tout jeune délinquant s’il lui apparaît qu’il est possible de lui faire bénéficier de mesures dites « de remplacement ». Celles-ci prennent alors la forme d’actions de réparation  qui aboutissent en cas de succès à la procédure judiciaire.

La DPJ se situe donc bien à la croisée des chemins. Aussi, c’est vers elle que se tourne l’opinion publique quand une affaire de maltraitance ou de mort d’enfant défraie la chronique. Son efficacité est alors mise en doute. Quels que soient les continents,  la même responsabilité pèse sur les responsables sociaux: celle d’en faire trop ... ou celle de ne pas en faire assez !
 
 
 
Les centres fermes existent ... je les ai rencontres !
Cela fait plusieurs dizaines d’années que les centres fermés pour mineurs ont disparu dans notre pays. Les gouvernements de droite parlent régulièrement d’en recréer. Les syndicats professionnels d’éducateurs s’y opposent avec fermeté avec la même régularité.

Le Québec possède encore de ces structures sécuritaires qui constituent un relais à l’incarcération des mineurs. En France, rappelons que le nombre d’adolescents détenus en prison fluctue, passant de 923 en 1987 à 367 en 1991, pour remonter à 575 en 1993.
La loi sur les Jeunes Contrevenants permet au magistrat d’ordonner une « mise sous garde ». Deux sortes de garde s’avèrent possibles: la garde dite « ouverte » qui ressemble à nos internats rééducatifs et la « garde fermée » à caractère carcéral. Cette dernière n’est pas une solution de facilité. Certains amendements à la loi sont venus limiter le recours à cette mesure aux seules infractions ayant entraîné des agressions physiques.
Un exemple de Centre Fermé, celui de TILLY à Québec.  On y pénètre en passant par un sas. La porte d’entrée s’ouvre toute seule sur l’intérieur, mais est commandée par une gâche électrique quand on veut sortir. Une autre gâche commande une seconde porte vers l’escalier qui donne accès aux étages. La commande des systèmes se fait à partir d’un grand bureau vitré. Il n’y a pas de doute: nous sommes bien dans un environnement sécuritaire. Le jeune est accueilli à son arrivée par un agent d’intervention. Celui-ci reçoit l’adolescent dans un bureau aménagé à cet effet. Il est invité à se déshabiller et à prendre une douche. On lui remet alors des effets propres. Les siens seront désinfectés et lui seront rendus dès qu’ils seront secs. L’accueil se veut autant que possible chaleureux et dédramatisant. L’adolescent est ensuite acheminé vers son unité. Le Centre de TILLY comporte 5 groupes de 12 places: trois d’entre eux sont réservés aux « gardes fermées ». Le quatrième concerne plus des jeunes placés en « garde ouverte », mais dont le comportement a contraint le juge à décider d’un séjour en unité d’encadrement intensif et renforcé. Cela  concerne les jeunes qui s’automutilent, qui agressent les personnels ou les autres jeunes, qui fuguent ... Dernière unité, celle dite « flottante » qui reçoit autant des jeunes « contrevenants » qu’en situation de protection.

Une fois son groupe de vie gagné, le jeune découvre les lieux qu’il va habiter quelques jours ou quelques mois: une cellule dotée d’un lit et d’une cuvette de WC, des locaux communs (salle de TV, cuisine, salle à manger) séparés les uns des autres par des cloisons en verre transparent. L’éducateur de service doit pouvoir surveiller à tout instant, tout ce qui se passe. C’est là que réside le mode de fonctionnement du groupe: ne pas laisser de temps mort aux jeunes pris en charge. Chaque instant de leur séjour est programmé, occupé. Le Centre dispose de nombreuses salles de sport ainsi que d’une piscine. Des ateliers et salles de cours permettent le suivi d’une formation scolaire et pré-professionnelle. Chaque jeune va constituer avec son éducateur référent dans les premiers jours de son séjour un plan de service qui précise quels sont les objectifs qu’il va devoir travailler et à quels services vont lui être proposés (pédagogique, psychothérapeutique, psychosocial, de santé, en éducation physique ...). Chaque dispensateur de service mettra  au point avec lui un plan d’intervention et de progression plus précis.

Les jeunes accueillis le sont soit en préventive, soit après condamnation par le juge. Tous les domaines de la délinquance sont représentés: trafic de drogue, vol, agression, meurtre, pédophilie ... Pourtant, 70% des séjours sont inférieurs à 3 mois. Quant à la préventive, 60% de ceux qui y sont soumis sortent au bout de 24 heures après leur comparution. Cette faible moyenne de temps de séjour a posé un problème quant au contenu du travail qui est accompli dans le Centre. S’il s’agit d’un arrêt d’agir ou d’une neutralisation, l’objectif peut être atteint. En matière de rééducation et de dissuasion, c’est déjà plus difficile. Ce constat a amené  l’équipe éducative de Tilly à innover en direction des parents (95% des jeunes retournent auprès de leur famille à la fin de leur séjour). Les parents sont donc invités sur les unités de vie de 17h00 à 22h00. Ils viennent rejoindre leur enfant et se joignent à toutes les activités qu’ils pratiquent: sport, jeux, repas... Cette présence permet aux parents de travailler de concert avec les éducateurs sur les comportements et passages à l’acte ou transgressions de leurs enfants et ainsi de reprendre progressivement le contrôle dans la perspective d’un retour.
La violence n’est pas exempte de ce genre d’établissement. Elle se manifeste notamment quand des jeunes de « gangs » opposés se retrouvent au sein de la même unité. On l’a vu, aucun jeune ne reste longtemps seul, inoccupé. Ses déplacements au sein de l’établissement sont systématiquement accompagnés. Le choix a été fait de confier à des agents d’intervention la gestion des moments de violence. Entraînés aux pratiques de neutralisation physique, ces personnels sont aussi formés aux techniques de relation d’aide. Le recours à des encadrants spécialisés a fait diminuer de façon systématique la violence. Leurs relations avec les adolescents sont favorisés au jour le jour. On a vu qu’ils ont pour tâche de s’occuper du premier contact. Ils assurent aussi les transports à l’extérieur (notamment au palais de justice). Ils passent fréquemment dans les unités de vie. Aussi leur seule présence suffit-elle le plus souvent à calmer la situation, quand ils sont appelés pour intervenir face à un jeune se « désorganise » (dans 90% des cas il n’est pas nécessaire d’utiliser la force). Afin d’éviter tout abus de pouvoir que pourrait entraîner cette intervention, des protocoles précis et détaillés sont prévus qui encadrent strictement la procédure: cela peut aller du simple retrait (le jeune se retire soit à l’écart du groupe dans une pièce à part pour des motifs et une durée qui lui sont précisés) à la contention (« immobiliser l’usager par des moyens appropriés en utilisant la force raisonnable, de manière à éviter les blessures. Toute prise de tête, d’étranglement ou de cou est proscrite ») en passant par l’isolement (« placer l’usager dans un lieu aménagé et désigné à cet effet d’où il ne peut sortir de lui-même »).

Les éducateurs  jouent là le rôle de matons, affirmeront certains lecteurs.
D’autres penseront qu’on a tort en France de laisser à des gardiens de prison la charge d’encadrer des adolescents, même s’ils sont très déstructures.
La pratique québécoise est en tout cas là avec ses qualités et ses défauts auxquels nos collègues d’outre-Atlantique tentent de pallier. Les évolutions qui se sont faites jour depuis quelques années, ne prévoient en tout cas pas la disparition des centres sécuritaires.
 
 
Fiche n°1 : Les jeunes et les droits individuels
Les droits individuels sont garantis au Canada par la Chartre des Droits de l’Homme.
Au pénal, dès son arrestation, tout citoyen -qu’il soit mineur ou majeur- a droit à l’assistance d’un avocat.
Devant le tribunal, la présence d’un conseil, si elle n’est pas toujours obligatoire est néanmoins possible. Le juge a pour obligation d’en informer le justiciable, voire de veiller à ce que celui-ci en soit pourvu (dans le cas par exemple où un enfant est en opposition d’intérêt avec ses parents). Tout mineur de plus de 14 ans peut avoir accès (et se voir délivré copie) de son dossier, sauf ordonnance du juge s’y opposant. De même, il peut interjeter appel d’une décision le concernant.
Une Commission des Droits de la Personne et des Droits de la Jeunesse peut se saisir ou être saisie de toute infraction afférente au non-respect des droits individuels. Elle a autorité pour pénétrer dans toute institution ou service sur qui pèserait un soupçon sérieux de dysfonctionnement, pour y procéder à une enquête, faire des recommandations et porter l’affaire en justice si ses demandes ne sont suivis dans les faits.
Le Centre Jeunesse de Québec distribue à tout jeune entrant dans un des ses Centres de Réadaptation un livret d’accueil qui comporte les modalités pour porter plainte: « Les éducateurs (agissent) au meilleur de leur connaissance avec ce qu’ils sont comme individu et ce qu’ils vivent. Eux aussi, sont des être humains comme toi et peuvent se tromper comme tout le monde. C’est pourquoi nous voulons te préciser quelles sont les démarches que tu peux faire, si tu crois qu’un éducateur s’est trompé en intervenant auprès de toi (...) Tu as le droit de savoir pourquoi on agit de telle façon avec toi, de faire réviser les décisions. La loi te permet même de porter plainte officiellement. »
 
 
Fiche n°2 : Rencontre avec ... Hubert Van Gijseghem
Hubert Van Gijseghem s’est taillé une solide réputation mondiale d’expert des questions d’abus sexuels. Originaire de Belgique, il fait partie de ces européens qui ont trouvé au Québec une terre d’accueil. Il retourne en Europe régulièrement pour proposer des conférences et des formations.
Ses recherches et son travail thérapeutique l’ont amené à s’intéresser tant aux agresseurs qu’à leurs victimes. Par rapport aux premiers il est très pessimiste. La plupart devront être mis hors d’état de nuire. Une petite minorité pourra être contrôlée. Une poignée pourra bénéficier d’une thérapie. Croire que l’on va pouvoir être efficace en l’ordonnant cette thérapie est une vaste blague, explique-t-il. Pour que celle-ci serve à quelque chose, il faut qu’il y ait à la base une souffrance. Ce qui n’est pas le cas de la plupart des pervers pédophiles.
Par rapport aux enfants abusés, les progrès ont été considérables dans la reconnaissance de leur souffrance. Avant 1980, le célèbre rapport du sexologue Kinsey évaluait les pères incestueux à 1 pour ... 1 million ! Aujourd’hui les études de prévalence se recoupent : les victimes d’abus au sens large (toute atteinte d’ordre physique, auditive ou visuelle) sont de 40% pour les femmes et de 20% pour le hommes. Ceux qui subissent un abus avec contact sont de 25% chez les femmes et de 12% chez les hommes. Pourtant seule une personne sur deux dévoilera ce qu’elle a subi. Une enquête comparative faite entre un échantillon de personnes âgées de plus de 80 ans et un autre échantillon âgé de 20 à 30 ans laisse apparaître une diminution du taux d’abus en l’espace de 50 ans. Hubert Van Gijseghem est aussi connu pour ses travaux sur la contagion et la suggestibilité du témoignage chez l’enfant : il explique que plus le récit de l’enfant est contradictoire, hésitant, voire incohérent, plus il a de chance d’être vrai ! Notre société est confrontée à deux plaies affirme-t-il un peu provocateur : la première ce sont les 10% de psychopathes qui sont responsables de 90% de la souffrance de la population. La seconde, c’est l’incompétence de certains professionnels qui ajoutent à la souffrance des victimes au lieu de la soulager. Vouloir à tout prix exorciser le trauma à l’aide d’une psychothérapie continue-t-il peut s’avérer catastrophique pour l’enfant. Les études commencent juste à s’en rendre compte : cela fait plusieurs années que lui le dénonce.
Hubert Van Gijseghem nous a rapporté avoir été nommé expert par le gouvernement au moment d’une grande opération judiciaire chez les Inuits (peuples Esquimaux). On venait de s’apercevoir que depuis des milliers d’années cette population vivait avec l’abus ritualisé mais néanmoins sexuel des pères avec leur fille. En fait, cette culture considère l’enfant comme adulte dès qu’il n’est plus accroché à la mamelle de sa mère. Il acquière dès lors tous les droits d’un adulte, y compris les prérogatives sexuelles. L’affaire a fini par s’enliser: il aurait fallu juger la moitié d’une population qui se demande encore ce qu’on a voulu faire avec elle.
 

A lire :
► Interview Lemay Michel - Québec
► Interview Participants au voyage - Québec 
 
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°410  ■ 18/09/1997