Le droit des jeunes de la Belgique à la France

On sait qu’en France, la place de l’usager a constitué une conquête longue et douloureuse. Pendant longtemps, les enfants étaient retirés à leur famille, placés et déplacés sans que ni les uns ni les autres ne soient ni vraiment consultés, ni véritablement écoutés. C’est dans un bureau du ministère de la Justice à Paris que se décidait l’orientation des mineurs délinquants dans les différents établissements de l’Education Surveillée. Quant à l’Aide Sociale à l’Enfance (A.S.E.) ex-DDASS, ex Assistance Publique, sa réputation n’était plus à faire comme administration arbitraire, au-dessus des lois, rapteuse d’enfants. De plus en plus de voix se sont faites entendre mettant l’accent sur la nécessité que d’objet de leur histoire, l’enfant et sa famille deviennent sujet et acteur.
 

Le recul de l’arbitraire

C’est d’abord la loi de 1984 qui est venue concrétiser ce mouvement en rendant  obligatoire la contractualisation entre l’A.S.E. et les détenteurs de l’autorité parentale. L’intervention éducative auprès de l’enfant qu’elle soit de l’ordre de l’AEMO ou du placement en famille d’accueil ou en établissement implique dès lors obligatoirement le recueil préalable de l’accord écrit des parents. Comme tout contrat, celui-ci peut être rompu à tout moment. En outre, il comporte un terme: en fait, il n’est valable que pour une durée maximale d’un an. Son renouvellement nécessite une nouvelle rencontre et une nouvelle signature.
La loi de 1986, quant à elle, limite à deux ans la validité d’une mesure judiciaire. Ainsi, le Juge des Enfants est tenu de recevoir les parents dans le cadre de la reconduction de la décision à l’égard de l’enfant. Il n’est plus possible qu’un jeune bénéficie d’une disposition le concernant sans qu’une réévaluation régulière ait lieu pour jauger de son opportunité et donc de son maintien ou non.
Ces deux mesures ont été complétées en 1988 par la nouvelle rédaction des annexes XXIV qui régissent les conditions d’accueil des enfants et adolescents déficients  (moteurs, intellectuels, polyhandicapés, auditifs et visuels) au sein de structures privées financées par la Sécurité Sociale. S’y trouvent notées dans l’article 3 les précisions suivantes: « la famille doit être associée autant que possible à l’élaboration du projet individuel ».
Au cours de la décennie 80, lois et réglementation sont donc venues renforcer notablement les droits des usagers. Tout mineur confié à quelque Institution que ce soit doit être impliqué lui et sa famille dans l’orientation qui le concerne. Il s’agit bien d’une authentique limitation de la toute-puissance tant éducative que judiciaire ou administrative. Pour autant, l’appréciation du degré d’implication des clients reste pour l’essentiel du ressort des mêmes acteurs. Même si l’esprit des réformes a fini par se traduire dans les faits pour  l’essentiel dans le secteur médico-social, les contre-pouvoirs face aux dysfonctionnements et dérapages toujours possibles sont encore balbutiants. Certes, existent des recours gracieux et hiérarchiques ainsi que contentieux face à l’ASE, l’assistance d’un avocat est possible face à cette dernière tout comme face au Juge des Enfants dont les décisions sont susceptibles d’appel. Encore faut-il que les usagers aient connaissance de leurs droits et soient aidés à les faire respecter.
L’expérience menée par le Service Droit des Jeunes en Belgique est à cet effet fort intéressante et mérite qu’on s’y penche de près.
 

Un projet pédagogique original

Confrontés exactement à cette même problématique, un certain nombre d’acteurs de la protection de la jeunesse mènent une réflexion qui aboutit à la nécessité d’offrir aux usagers la possibilité d’être épaulés face aux pratiques judiciaires.
C’est en 1978, que  se créé à Bruxelles le premier Service « Droit des Jeunes ».  En 1981, il s’étend à Liège et à Namur, en 1987 à Mons et en 1988 à Charleroi. Ainsi, en quelques années, les principales villes francophones de Belgique se sont dotées d’une structure sortant vraiment de l’ordinaire.
Très vite celles-ci, ont élaboré un projet pédagogique sous la forme d’une charte qui expose clairement les objectifs recherchés: « fournir une aide aux jeunes et aux familles visant à reconnaître leur autonomie et à prévenir ou enrayer leur exclusion sociale, par le recours au droit comme outil de travail ». Sollicité par un client le SDJ propose une information la plus complète possible sur l’ensemble des options qui s’offrent à lui. L’usager reste à tout moment maître de ses décisions et de ses choix. Il peut s’il le souhaite mandater le service pour engager une procédure tant amiable que contentieuse. Mais,  il reste toujours informé de l’évolution des démarches. L’objectif ne consiste pas ici à se substituer aux Institutions déjà existantes, mais à obtenir que celles-ci fournissent bien le service qu’elles doivent procurer. A cet effet, l’accent est mis sur le (r)établissement du dialogue direct du client avec l’autorité compétente. L’aide peut toutefois se limiter à une simple information si les efforts nécessaires sont soit inutiles, soit disproportionnés au regard des résultats attendus ou encore sont contraires à l’autonomie de l’usager.
Les dernières statistiques donnent sur douze mois 4.887 personnes reçues dont 844 pour lesquelles un nouveau dossier a été ouvert. Les demandes proviennent des usagers directement dans 86% des cas, 52% ayant moins de 18 ans.
 

L’extension du SDJ en France

Certes, l’information sur le droit des usagers doit faire partie de l’action des travailleurs sociaux chargés de la protection de l’enfance.
Elle est d’ailleurs largement utilisée quand ceux-ci cherchent à favoriser la réaction des parents sur un terrain judiciaire plutôt que sous la forme d’un passage à l’acte. La famille est alors invitée à consulter un avocat pour faire appel de la mesure qui la frappe. On espère ainsi éviter son intervention brutale et violente pour venir récupérer l’enfant sur son lieu de placement.
On peut aussi compenser l’action autoritaire face à un parent à qui on signifie qu’on agira contre son avis dans ce qui apparaît comme l’intérêt de l’enfant, en lui conseillant d’aller contester l’initiative du Service devant le Juge des Enfants.
Pour autant, on sait que les avocats sont peu formés encore dans ce domaine, que les parents issus de milieux défavorisés ne sont pas toujours à l’aise face au monde judiciaire et que la collaboration fréquente entre les Institutions chargées de la protection de l’enfance et la justice déséquilibre l’équité qui devrait pourtant s’imposer dans le face à face familles en difficulté et services sociaux. Tout cela justifie pleinement l’existence d’un organisme spécifique neutre et indépendant chargé d’accompagner les usagers dans la défense de leurs droits.
Le rapport que le Conseil d’Etat a rendu en 1989 sur l’audition de l’enfant a incité le ministère de la justice à financer des actions en vue de la spécialisation d’avocats volontaires dans la défense des jeunes mineurs. Progressivement une trentaine de dispositifs se sont mis en place à travers toute la France sous la forme pour l’essentiel de permanences gérées par les barreaux dans les palais de justice ou dans les Maisons de l’Avocat.  Mais, on a assisté à un certain essoufflement:  les jeunes ne viennent pas, les financeurs ne suivent pas, les avocats se découragent. Quelques sites ont vu émerger des associations pluridsciplinaires proposant des accueils d’enfants et de jeunes: c’est le cas notamment à Strasbourg et à Lille où ont été créés des Service Droit des Jeunes à l’exemple de leurs cousins belges.
Dans le cas de Lille,  le service est co-financé par la Ville, l’Etat (par l’intermédiaire de la Protection judiciaire de la Jeunesse) et le Conseil Général. Il agit dans trois directions: permanences tant téléphoniques que dans un local permettant de recueillir toutes les demandes et d’informer les jeunes sur leurs droits et leurs devoirs, action collective d’information et de sensibilisation à l’intention du public adulte ou adolescent. Mais le service a aussi été chargé de la mission d’administrateur ad hoc. Le mineur est normalement représenté en justice par les détenteurs de l’autorité parentale. Quand ceux-ci sont dans l’incapacité de le faire (cas par exemple de parents coupables de maltraitance ou d’abus sexuels) le procureur ou le juge d’instruction peut désigner celui qui aura pour tâche de représenter les intérêts de l’enfant au cours du procès: c’est l’administrateur ad hoc.
Le S.D.J. intervient auprès de toute institution qu’elle soit éducative ou non qui ne respecte pas le droit et dont les jeunes qui le contactent ont à se plaindre. Il souhaite avant tout utiliser la médiation et recherche un terrain d’entente commun. Mais cela peut aller jusqu’à des recours en justice. Ainsi, à la suite du refus de la demande de plusieurs jeunes de bénéficier de l’Allocation Jeune Majeur, le Conseil Général du Nord a été interpellé pour  qu’il précise les conditions d’admission à cette prestation et les modalités de son instruction. Face à l’absence de toute réaction, la Commission d’Accès Aux Documents Administratifs a été saisie. Celle-ci a donné raison au S.D.J. et a recommandé au Conseil Général de répondre. Ce dernier restant muet, c’est le Tribunal Administratif qui a été sollicité à son tour et qui dans un délibéré de 1995, valide la position du S.D.J. On en est là: la loi française ne rend pas exécutoire ni contraignante la décision d’une juridiction administrative.
 

Epilogue

La Convention Internationale des Droits de l’Enfant est venue couronner un mouvement de fond qui place l’enfant dans une situation de personne à part entière. De fait, les jeunes ont changé: ils connaissent mieux leurs droits et revendiquent davantage. Pour autant, la présence d’un avocat auprès d’un mineur convoqué au pénal par le Juge des Enfants n’est pas chose systématique. Elle l’est encore moins en assistance éducative. La pratique qui consiste à décider encore pour un mineur sans le consulter n’a pas vraiment disparu. L’impuissance du jeune face à la machine administrative ou judiciaire est une réalité quotidienne. Il reste du travail à accomplir pour permettre de positionner les jeunes dans la juste proportion de leurs droits et leurs devoirs.
 
 
Le Service Droit des Jeunes de Lille ouvert début 1990 est une extension du Point Jeune lui-même créé en 1983. C’est près de 1200 jeunes qui se présentent chaque année dans ce lieu où ils peuvent se poser et être écoutés, sans jugement. En fugue de leur famille, d’un foyer ou bien jetés à la rue, ils sont reçus et peuvent être hébergés 24 heures avec la garantie de l’anonymat.  Au-delà, une autorisation sera nécessaire: soit des parents, soit du substitut des mineurs soit encore du juge des enfants. Lorsque la famille téléphone au Point Jeunes pour savoir si leur enfant est là, l’accueillant répond que seul celui-ci peut donner de ses nouvelles s’il le souhaite. On informe de cette présence les travailleurs sociaux mandatés qui le demandent. Mais là aussi, le mineur sera seul à décider s’il reprend contact ou non. Cette pratique peu coutumière mit au début un certain temps avant d’être acceptée. Aujourd’hui, même la police y adresse des jeunes. Quant au procureur, il classe sans suite dans l’intérêt des jeunes et de leur famille les plaintes déposées par les parents pour détournement de mineurs.

 
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°366 ■ 16/09/1996