Ferme du Monde et CAT - Carentoir (56)

« Ils ne savaient pas que c’était possible, alors ils l’ont fait » (1) - Présentation d’un parc animalier ouvert au public proposé par un CAT

Ce 1er avril 1996, cette fois-ci, ce n’était pas un poisson, c’était pour de vrai. Le parc ouvrait bel et bien ses portes. Voilà 3 ans et demi de travail acharné enfin couronnés de succès. Les travailleurs handicapés qui, entourés de leurs éducateurs,  ont fourni tant d’efforts voient enfin le résultat de ce qu’ils ont accompli : « C’est pour nous ? C’est pour nous ? » n’arrêtent-ils pas de dire en constatant les nombreux visiteurs qui affluent..
Un retour en arrière s’avère ici nécessaire.

Genèse du projet

Nous sommes en 1986. Une riche veuve de la région parisienne, originaire de Carentoir, fait un leg au Centre d’Aide par le Travail du Bois Jumel à condition que ce soit au profit des travailleurs handicapés : une superbe propriété de 45 hectares, constituée de bois, de prairies et d’un magnifique manoir breton de schiste et de granit.
Que faire de cette nouvelle acquisition ? Le C.A.T. se consacre déjà à des activités para-agricoles : entretien des espaces verts et agro-alimentaire. Parmi ces dernières, une production a apporté une certaine notoriété, réinventée d’ailleurs avec l’aide de l’INRA : la confiture de lait (50 Tonnes par an), mise en vente dans les épiceries fines. Mais, la ferme de 20 vaches qui était exploitée jusqu’alors n’était plus adaptée au milieu du travail protégé : les quotas laitiers imposés par la CEE, les exigences sanitaires trop rigoureuses, la mise aux normes des installations trop onéreuses ... Progressivement, se fait jour l’idée de monter un parc ouvert au public qui montrerait des animaux d’élevage des 5 continents. Après tout, toute l’histoire de l’humanité a été rendue possible graçe à ces animaux qui ont fourni laine, viande, lait ou œufs ainsi que le fumier pour fertiliser les sols cultivés et la force pour le bât ou le trait.
L’équipe éducative est vite convaincue de l’opportunité du pôle touristique. La région est, il est vrai, déjà très fréquentée par les touristes. A 5 km, La Gacilly (300.000 visiteurs par an) avec notamment son magasin d’usine Yves Rocher. A 20 km Rochefort-en-terre et ses 700.000 visiteurs par an. Les responsables du CAT se rendent en Angleterre et en France dans des zoos et fermes pédagogiques. Puis, ils font faire une étude de marché : si une grande majorité des personnes interrogées affirment avoir déjà vu un lion ou un ours, ils sont entre 2 et 7% seulement à avoir vu un alpaga ou une chèvre angora. Les promoteurs sont définitivement convaincus. Côté financement, ils budgètent 4 millions de francs (30% de subvention, 30% d’emprunts et 40% de fonds propres). Les travaux s’engagent enfin. Douze travailleurs handicapés encadrés par 3 éducateurs techniques spécialisés et 2 ouvriers professionnels se mettent au boulot. Mis à part le gros œuvre de terrassement et certains aménagements d’intérieur, c’est eux qui vont, année après année, tout prendre en charge : rénovation des bâtiments qui ont bien souffert des intempéries et du poids du temps, nettoyage et aménagement de 25 hectares de bois et de prairies (5km d’allées, 12,5km de clôtures extérieures, autant d’intérieures électrifiées, 2.000 poteaux, 8 grands abris, 14 petits, la signalétique, le dispositif d’accueil, un mini-golf, les parking et les plantations etc ...)
 
 

La ferme du monde

Ce qui frappe au premier abord en parcourant ce parc, c’est son extrême propreté. L’entretien semble ne souffrir d’aucune approximation. Tout est fait au contraire pour mettre en vedette les plus beaux spécimens d’élevage. En outre la ferme est aménagée d’une façon astucieuse. Chacun des 5 enclos, d’une surface de 4 à 5 hectares, permet aux animaux de vivre en semi-liberté en troupeaux. Le sillonnement de l’allée qui traverse la ferme donne l’occasion à chacun de s’approcher à moins de 20 mètres des animaux. Au choix, un circuit court (1, 2 km) ou un circuit long (4,5 km) que l’on peut parcourir soit à pied soit en petit train avec visite guidée. Au programme : l’Afrique (watussis, dromadaires, chèvres, ânes, moutons...), l’Asie (yacks, buffles d’eau, chameaux, porcs chinois  et vietnamiens...), l’Europe (aurochs, bœufs d’écosse, porcs laineux, ...) l’Amérique et l’Océanie (zébus, lamas, alpagas, ...). En tout plus de 250 animaux et 150 volailles  (ces dernières présentées dans un ancienne porcherie transformée en volière), le cheptel étant appelé à s’agrandir au cours des années au gré des naissances (déjà une chamelle en mars dernier), des échanges et des achats. Autre attraction, la ferme des enfants qui propose un contact direct avec les animaux que l’on peut approcher, toucher, caresser et nourrir en toute sécurité.
La Ferme du Monde ouverte toute l’année a fixé son seuil de rentabilité à 30.000 visiteurs. Après les 6 premiers  mois de fonctionnement, la fréquentation en a atteint 21.000. Succès de curiosité ? A lire la satisfaction exprimée à longueur de page sur le livre d’or, on peut escompter une fidélisation. Déjà des idées nouvelles sont en gestation, et des projets sont en perspective, telle cette animalerie avec possibilité d’achat qui sera bientôt ouverte, une extension progressive ou encore des animations, expositions et projections vidéos à thème dans la salle pédagogique en cours d’aménagement, voire des journées proposées à des groupes scolaire ou des classes vertes. L’objectif est bien d’innover et de se renouveller afin de toujours maintenir l’intérêt du public.

 

Le projet éducatif

L’élevage possède un avantage majeur dans le domaine du travail protégé : l’animal domestiqué ne fait pas de différence entre un individu dit « normal » et la personne déficiente ou handicapée. Le public, quant à lui, présente une difficulté majeure : on ne doit pas le décevoir. La sanction en serait impitoyable.
Entre cet atout et cette problématique, se situe un défi de taille : amener des travailleurs handicapés à travailler au contact du grand public, et amener le public à venir à la rencontre des travailleurs handicapés. La Ferme du Monde  gagne ce pari chaque jour de son ouverture en créant une expérience quotidienne de rencontres et d’insertion.            
Tous les C.A.T. sont confrontés à la nécessité d’offrir à chaque personne employée un poste adapté à ses possibilités. Ici, cela est relativement aisé tant il est vrai qu’un parc de cette importance propose tellement de tâches que chacun peut y trouver son compte. Les plus déficients excellent dans le contact avec les animaux : ils s’occupent de l’entretien du parc, des soins et du nourrissage des bêtes. Les plus performants vont au devant des visiteurs : accueil, vente des billets, service à la cafétéria et à la boutique, conduite du petit train, voire même pour certains d’entre eux un projet de fonction comme guide.
Deux dangers menacent toutefois une telle expérience. Le premier consisterait en un fonctionnement à perte qui menacerait très vite sa pérennisation. Le second est bien lié à la logique commerciale : rechercher avant tout la rentabilité. Serge Temey, directeur du CAT est à ce propos très clair. S’il vise à l’équilibre financier, il ne perd à aucun moment de vue l’objectif social de l’entreprise : « il faut veiller au respect des personnes. Si elles ne s’y retrouvaient pas, il faudrait s’arrêter. Cette activité n’est pas une fin en soi. C’est un simple outil, un support. L’important, c’est la prise en charge des personnes handicapées. Mais, en même temps, cet outil est très riche de possibilités. Le travail protégé a besoin de valoriser ses savoir faire. Un lieu visité n’est-il pas la meilleure façon de montrer ce que nous faisons? Le plus difficile reste à faire, il faut maintenant tenir. »
Cette expérience tout à fait exceptionnelle méritait amplement que Lien Social en rende compte. Ses promoteurs souhaitent pouvoir échanger avec d’autres équipes éducatives. Ils ont surtout envie que leur savoir-faire et leurs acquis puissent servir éventuellement à ceux qui voudraient utiliser le créneau touristique dans le domaine du travail protégé.
Contacts: « La Ferme du Monde » CAT le Bois Brassu 56910 Carentoir - Tél: 99.08.94.94 / Fax: 99.08.97.72
 
(1) Marc Twain
 
Le C.A.T.Le CAT du Bois Jumel à Carentoir est un établissement communal qui accueille 45 travailleurs handicapés légers et moyens (des hommes de 18 à 55 ans).
 
La Ferme du Monde, située dans le Morbihan à 3 kms du bourg de Carentoir au nord de Redon, est ouverte toute l’année, tous les jours sauf la lundi de septembre à juin.
 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°379  ■ 02/01/1997