La thérapie par le rugby - ITEP - Rennes (35)

Le sport développe l’esprit de compétition. Mais, pas seulement. Il peut aussi être un formidable support de socialisation. C’est l’objectif recherché par le Challenge national de Rugby Inter-ITEP organisé chaque année, dans une ville différente de l’hexagone.

Une compétition de rugby regroupant 336 enfants, cela n’a rien d’exceptionnel. Quarante huit équipes qui convergent des quatre coins de la France pour le week-end de la Pentecôte, ce n’est pas courant, mais ce n’est pas extraordinaire. Mais, quarante huit ITEP qui font le choix de regrouper, au même endroit et pendant trois jours, une population réputée pour ses difficultés psychologiques et relationnelles, cela ne manque pas d’intriguer. Alors même que toute concentration de ces jeunes souffrant de troubles du caractère et du comportement, est un pari osé, au risque de provoquer une situation explosive, là tout se passe dans le calme et dans la sérénité. Que l’on fasse un tel constat sur l’organisation d’un évènement unique, et l’on sera tenté de convoquer le facteur chance. Mais, depuis la première édition qui s’est déroulée à Morlaix (29) en 2006, l’expérience se renouvelle chaque année, dans les mêmes conditions de quiétude et de bienveillance. Après Toulouse qui avait pris la main en 2007, puis les années suivantes Aix en Provence, Auch et Mende, c’était au tour de Rennes d’accueillir le 6ème Challenge national de Rugby Inter-ITEP, les 10, 11 & 12 juin 2011.

L’arrivée

Ce vendredi après-midi 10 juin, c’est par vague que les arrivants se succèdent, la plupart en mini-bus, quelques uns en train. Chaque équipe arbore fièrement la mascotte qu’elle s’est confectionnée : un grand écureuil en papier mâché pour les uns, une maquette géante de TGV avec ses wagons pour les autres, un rhinocéros en mousse pour d’autres encore. La plus humoristique est sûrement cette araignée aux pattes démesurées qu’un enfant porte sur la tête, comme un casque, entouré de tous ses copains. On imagine les heures de travail consacrées à ces drôles de porte-bonheur qui sont délicatement entreposées dans un espace bien en évidence qui leur est dédiée, avant de passer au stand d’accueil. A peine arrivé, un défi est lancé : utiliser les sacs de tri sélectif remis à chaque équipe, pour y répartir tous les détritus, pendant leur séjour. Pour sensibiliser au développement durable, une lampe à friction est attribuée à chaque enfant. C’est une superbe bigoudène (bretonne du sud Finistère en costume folklorique) qui officie. Un peu bizarre quand même : c’est le médecin-psychiatre de l’ITEP organisateur qui a cru bon de se déguiser ainsi, pour accueillir les enfants. Le ton est donné : outre un message éco responsable, les animateurs de ces journées ont décidé de faire découvrir la culture bretonne, à leurs visiteurs. Des sonneurs scandent, à grand coup de bombarde et de biniou, l’arrivée de chaque équipe. A peine installés dans un camping voisin, les enfants seront sollicités pour participer aux jeux traditionnels bretons qui leur sont proposés. C’est bien volontiers que la plupart s’y prêteront, les plus accros du ballon ovale préférant se dégourdir les jambes sur l’un des 16 terrains de rugby aménagés pour la compétition du lendemain.

en_plein_jeu.jpg

Le tournoi

Le samedi 11, c’est le grand jour. Les matchs débuteront à 10h00 et continueront toute l’après-midi, jusqu’à la finale qui verra triompher Chinon pour les 10-12 ans et Toulouse pour les 12-15 ans. La remise des trophées sera l’occasion, pour chaque enfant, de recevoir une récompense, deux boucliers de Brénnus étant remis aux équipes victorieuses, charge pour elles, après y avoir fait graver leur nom aux côtés des précédents finalistes, de les rapporter l’année suivante, pour les remettre en jeu. Les arbitres du tournoi ne se sont pas contentés de comptabiliser les essais transformés. Le fair-play et la coopération dans le jeu sont entrés comme critères tout aussi importants dans l’attribution des points, obligeant chaque joueur à se contenir et à canaliser son énergie, pour ne pas faire perdre son équipe. Une telle rencontre ne pouvait se terminer autrement que par la fête. Le même chapiteau qui avait accueilli les 400 convives, au cours des repas précédents, servira de scène au spectacle final de mime, offert le dernier soir. Les enfants repartiront le dimanche matin, enchantés et heureux, après avoir vécu intensément un moment de solidarité et de convivialité, emportant avec eux la preuve que vivre ensemble ne passe pas obligatoirement, ni par l’agression de l’autre, ni par la violence. Reste quand même, la nécessité d’essayer de comprendre les mécanismes permettant d’expliquer cette trêve, véritable « paix des braves » qui, pour avoir commencé avec ce challenge de Rugby, a peu de chance n’en doutons pas d’aller au-delà, chaque enfant retrouvant très vite les réflexes et comportements propres aux troubles qui le rongent.

Les ingrédients de la réussite

On doit, tout d’abord, la réussite de ce Challenge à la présence massive des adultes. C’est près de 150 bénévoles et professionnels qui ont participé à l’encadrement de ces journées. Nombre des 280 salariés des trois associations organisatrices (l’ITEP les amis des rochers », celui du bas Landry et l’Établissement Public EDEFS d’Hallouvry) se sont investis dans cette opération. Mais, chaque équipe de sept enfants était aussi accompagnée par deux, voire trois éducateurs encadrants. Second facteur, un emploi du temps ne laissant que peu de moments d’oisiveté et d’incertitude, limitant ainsi les risques d’affrontement. Troisième explication possible : une compétition fondée non seulement sur les performances sportives, mais aussi sur la correction des comportements. Et puis, il y a eu ce partenariat exemplaire. D’un côté, des professionnels rompus à la prise en charge de cette population particulière, qui se sont chargés de toute l’organisation logistique, financière et administrative. De l’autre, l’association toulousaine « Rebonds ! » qui a fait du rugby un véritable outil pédagogique, pour favoriser l’insertion des jeunes en difficulté et qui a assuré la gestion sportive de l’évènement. Les enfants habillés en blanc ne pouvaient s’y tromper : les organisateurs étaient en tee-shirt jaune, celui de leurs encadrants était bleu et les arbitres portaient du rouge. Mais, si toutes ces conditions apparaissent nécessaires, elles ne sont pas en elles-mêmes suffisantes, pour garantir un tel succès. Peut-être, faut-il se tourner vers les effets particulièrement bienfaisants d’un sport qui, au-delà de l’épanouissement et du bien-être personnel qu’il procure, est souvent défini comme « l’Ecole de la Vie », pour les valeurs qu’il véhicule.

La magie du rugby

Le rugby est conditionné, mais aussi génère un certain nombre de comportements : un équilibre personnel s’appuyant sur le goût de l’effort et de l’engagement, tout autant que la maîtrise et le dépassement de soi ; une socialisation basée sur l'apprentissage des règles et de la vie en groupe ; le respect et la responsabilité vis-à-vis des autres qui passent par l’esprit de solidarité, de générosité, d’amitié et d’entraide… autant de qualités particulièrement précieuses pour des enfants qui rencontrent d’importantes difficultés dans leurs rapports aux autres. Philippe Reux, Directeur des projets à l’Association « des Amis les Rochers » et maître d’œuvre de toute l’opération en parle avec justesse : « Le rugby est un sport de contacts qui peuvent être rudes. Il est donc très encadré, par des règles strictement appliquées, par les arbitres. Or, tous nos jeunes ont un problème avec le cadre, qu’ils ne respectent pas. Le rugby peut donc leur donner un petit coup de main, pour régler ce problème. Quand on pratique ce sport, on s’aperçoit vite que sans l’autre, on n’est rien. Les avants percutent, dégagent le ballon au centre, en maîtrisant au sol un maximum d’adversaires, le centre pénètre les premières lignes de la défense. Ils passent à l’ailier qui transperce et marque. On voit bien là que chacun a son rôle à jouer et que si un fait défaut, c’est l’ensemble qui en pâtit » Le Rugby apparaît donc comme un support potentiel de structuration. Il serait sans doute excessif de lui attribuer toutes les vertus. Mais, on ne peut en tout cas que le constater : c’est bien cette pratique qui a permis à près de 400 mômes, qui n’hésitent pas d’habitude à s’affronter au premier regard ou à la moindre parole de travers, de se confronter selon des règles normalisées et, le reste du temps, de vivre les uns à côtés des autres, dans le respect mutuel. A méditer.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1024 ■ 30/06/2011