SAFA (29)

Le SAFA : Un filet de sécurité aux mailles resserrées

Intervenir intensivement dans les familles pour soutenir la parentalité : telle est la mission menée à bien par un service récent, fonctionnant sur le nord Finistère.
Quand le Conseil départemental du Finistère lance un appel à projet, en vue de la création d’un service d’AEMO à moyens renforcés, la Sauvegarde de l’enfance répond au cahier des charges proposé, en s’inspirant de la longue expérience du service qu’il fait fonctionner depuis trente ans : le SEMO. Toutefois, la mission qui est fixée par le prescripteur n’est pas de s’adresser à un public d’adolescents et de jeunes adultes en rupture, mais à des familles. La Sauvegarde propose un dispositif visant à intervenir auprès de parents pouvant être confrontés à la précarité, à l’isolement social, à la maladie ou aux troubles psychopathologiques. L’objectif visé est bien de soutenir leurs compétences afin qu’ils prennent en compte au mieux les besoins de leurs enfants. L’accompagnement mis en œuvre concerne des dimensions très concrètes, telles que la scolarité, la santé ou la gestion du quotidien (repas, couchers, loisirs…). Le projet de la Sauvegarde ayant été retenu par la collectivité départementale, le Service d'Accompagnement pour les Familles et les Adolescents (SAFA) ouvre ses portes en septembre 2012 sur deux sites : Brest et Morlaix. Les besoins d’une prise en charge renforcée qui avaient pu être identifiés en amont, avec pour conséquence directe l’appel à projet, se confirment très vite. Les mesures confiées au SAFA par les trois juges des enfants de Brest affluent. Si l’agrément initial portait alors le suivi de quarante quatre enfants, il passe rapidement à cinquante sept mineurs, pour en concerner depuis octobre 2014 soixante dix sept.

Adéquation avec la demande

La population concernée par l’action du SAFA est conforme au cahier des charges. Les enfants concernés par la mesure sont plutôt en bas âge : 96 % ont moins de 16 ans et 70 % moins de 13 ans. Quant aux modalités des moyens renforcés, elles sont conséquentes.
Chaque référent éducatif ne prend ainsi en charge que onze enfants. Ce faible ratio lui permet de se rendre disponible auprès des familles et de répondre aux situations problématiques pour lesquelles il est délicat de temporiser, comme est souvent contraint de le faire un professionnel en AEMO classique, par manque de temps et une trop grande charge de mesures. Autre modalité permettant cette disponibilité et cette réactivité : les horaires d’ouverture. Le service est ouvert de 8h30 à 21h00 en semaine et de 9h00 à 18h00 le samedi. Ils peuvent donc rendre visite aux familles sur une ample période de temps. Chacun possède un téléphone dont le numéro est communiqué aux familles, facilitant ainsi grandement l’information de tout incident ou tension au sein des familles suivies et donc sa propre réactivité. S’il est déjà en entretien, le message enregistré sur son répondeur lui permet de limiter les délais dans sa réponse. En outre, un travailleur social est de permanence chaque semaine pour intervenir sur les urgences du service. Il est également d’astreinte le dimanche de 14h00 à 19h00, pouvant ainsi intervenir. En dehors des ces heures officielles, la ligne du secrétariat est basculée vers un cadre d’astreinte qui est disponible pour répondre aux appels en urgence 7j/7 et 24h/24.

Gestion de l’urgence

Ce dispositif n’est pas sans poser question. La limitation de la disponibilité des services éducatifs aux seules heures de bureau a souvent été mise en cause. Les difficultés au sein des familles surgissant souvent pendant les heures de fermeture, la réflexion qui a souvent été faite, c’est que les travailleurs sociaux ne sont pas là quand on a le plus besoin d’eux. Pour autant, cette mise à disposition du référent en journée et du cadre de permanence le reste du temps n’incite-t-elle pas les familles à réagir dans l’immédiateté, sans chercher à prendre du recul, saturant ainsi les répondeurs et les lignes téléphoniques d’urgence ? Contrairement à ce que l’on pourrait craindre, cela ne débouche pas sur des appels intempestifs. Marion Flamanc, chef de service le confirme : « il n’y a pas vraiment de débordements. En cas de crise, la possibilité de parler à quelqu’un est importante. Les familles se sentent moins seules et ressortent apaisées du dialogue qu’elles ont alors. C’est très rare qu’une intervention au domicile soit nécessaire. D’autant qu’elles savent que leur référent passera dès le lendemain. » Sonia Calvez, maman bénéficiaire d’une mesure d’AEMO renforcée, témoigne du côté apaisant qu’apporte cette possibilité de pouvoir, en pleine crise, parler à un tiers : « savoir qu’en cas de besoin, on peut toujours contacter quelqu’un, cela rassure ». Une autre question émerge, celle des effets pervers de l’intervention intensive à domicile et les risques induits d’intrusion dans la vie familiale.

Une trop grande proximité ?

Sonia Calvez témoigne encore, très à l’aise avec cette question. Claude Picart, l’éducatrice avec qui elle a tissé une relation très forte, a pu être très présente, quand cela était nécessaire, restant par exemple tard le soir pour l’aider à gérer une situation de forte crise avec ses deux garçons âgés de 13 et 16 ans, puis revenant le lendemain matin, pour s’assurer que l’apaisement obtenu la veille perdurait. Un détail cocasse vient souligner cette forte immixtion dans le milieu familial « mon plus jeune fils a surnommé son éducatrice ’’Super Nanny’’ » affirme cette maman avec humour ! La comparaison avec l’actrice de cette émission de téléréalité qui apparaît à l’écran comme omniprésente, semblant être là à tous les moments de la journée est très symptomatique. Mais, là encore, Sonia Calvez est plutôt rassurante : « l’éducatrice est effectivement là, quand cela est nécessaire. Mais, je n’ai pas l’impression de me voir imposer sa présence. » La problématique identifiée au sein des familles concernées par la mesure du SAFA nécessite une intervention intensive, ce qui signifie une visite en moyenne une fois par semaine, cette fréquence pouvant augmenter en cas de nécessité. La plus grande souplesse préside à la gestion de ces visites, s’appuyant beaucoup sur la demande d’intervention. Dès lors qu’une relation de confiance peut se tisser entre l’intervenant et la famille, la présence de ce tiers au sein de la cellule familiale est plutôt perçue comme aidante, qu’inquisitrice. Mais, cela implique une phase d’apprivoisement réciproque plus ou moins longue selon les situations, que seul permet le faible nombre de prises en charge : on ne consacre pas le même temps pour se familiariser avec une famille, quand on a onze suivis et quand on en a trente cinq en moyenne en France !

Une intervention pluridisciplinaire

Ce que le SAFA désigne comme son « équipe technique » regroupe plusieurs professions. Les six « référents éducatifs » sont titulaires d’une qualification soit d’éducateur spécialisé, soit d’assistant social, soit de conseillère en économie sociale et familiale. Cette pluralité est une richesse, apportant une complémentarité de regard sur les situations de familles en grande précarité sociale et sur leurs difficultés éducatives. Un animateur socioculturel fait aussi partie de l’équipe, intervenant spécifiquement sur la dimension des loisirs, partie intégrante des fonctions de tout parent auprès de ses enfants. Il mène des ateliers ludiques, et d’autres activités, en activant le partenariat comme cette production graphique qu’illustrent les photographies de ce dossier. Enfin, le SAFA a passé convention avec deux associations pour proposer aux familles la possibilité d’un soutien à la gestion du quotidien, au domicile, par des Techniciennes de l’intervention sociale et familiale. Les deux psychologues, présentes chacune à Brest et à Morlaix ont avant tout pour vocation de soutenir les professionnels. Mais, elles peuvent aussi rencontrer ponctuellement les usagers. L’idéal serait, pour elles, de préparer le relais avec un centre médico psychologique. Mais, comme dans beaucoup de régions, ces dispositifs sont confrontés à des listes d’attente. Ici, elles sont en moyenne d’un an. Enfin, pivot de l’équipe : le secrétariat qui assure le relais entre professionnels et avec l’extérieur, facilitant la circulation de l’information. Ce plateau technique, coordonné par deux chefs de service, a pour vocation de répondre aux différentes facettes d’une fonction parentale à consolider, à rassurer et à promouvoir. Ambition audacieuse, mais qui est couronnée de succès puisque déjà une liste d’attente a du être instaurée.



« Je m’appelle Stéphanie J. et je vais bientôt avoir 18 ans. Le SAFA intervient dans ma famille depuis le mois de mai 2014. Ma mère est en grande difficulté et n’arrive pas à faire son travail de parent. Tout retombait sur moi : faire la vaisselle, le ménage et m’occuper de mes deux petits frères âgés alors 6 et 9 ans. Je ne trouvais pas cela normal, mais en même temps je culpabilisais en me disant que si je ne le faisais pas, personne ne le ferait à ma place. Quand mon éducateur est intervenu, je me suis sentie écoutée et compris. Il a bien fait la distinction entre moi et mes sœurs réussissant à faire comprendre à ma mère qu’il fallait me laisser vivre ma vie. Cela a été un peu dur, mais il a réussi. Il a su aussi me convaincre que j’avais le droit de penser à moi et à mon avenir. Ce qui m’a rassuré, c’est qu’il s’est aussi occupé de mes frères. J’ai obtenu mon BAC PRO service aux personnes au mois de juin et je voudrais rentrer dans l’armée comme brancardière. Je vais signer un contrat jeune majeur pour continuer à être accompagnée. Mais, je vais devoir changer de service, parce que le SAFA s’arrête à 18 ans. »


Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1171 ■ 15/10/2015