Un centre de loisirs ouverts à tous, handicapés ou pas (35)

Accueillir des enfants quelle que soient leurs déficiences, mélanger valides et handicapés : de plus en plus d’Accueil collectif de mineurs sont confrontés à cette question. Pendant que les uns s’interrogent, Loisirs Pluriel le fait depuis vingt ans.

Beaucoup de structures proposant leurs services aux personnes porteuses de handicap, sont le fruit de la mobilisation de familles cherchant à créer des lieux d’accueil à la journée et/ou de prise en charge en internat. Pour Loisir Pluriel, il n’en va pas de même. Quand Laurent Thomas, Sandra Petiteau et Olivier Le Stang créent cette association à Rennes, en 1992, ils ne sont pas directement concernés par le handicap. Ils ont, certes, accumulé de nombreuses expériences d’animation auprès de publics atteints de handicap physique, mais c’est bien à partir, avant tout, de leur position d’animateurs qu’ils vont penser leur association.

Genèse de Loisirs Pluriel

Leur conviction, quant à la possibilité et surtout l’intérêt de la démarche favorisant la rencontre entre enfants handicapés et valides, ils la tiennent d’un séjour de vacances organisé par l’Association des paralysés de France. La présence d’une colonie de vacances traditionnelle voisine leur avait donné l’idée d’organiser une kermesse en commun. Ce fut la révélation. Loin de se méfier ou de s’éviter, les enfants se mélangèrent, les plus valides entraidant et soutenant les plus déficients. Les enfants porteurs de handicap s’en trouvèrent à ce point stimulés, qu’ils ne semblèrent ne plus avoir autant besoin des adultes. Les uns côtoyant les autres, chacun n’y avait trouvé que de l’enrichissement et du bonheur, à partager ainsi les mêmes jeux et les mêmes activités. Fort de ce constat, la réflexion chemina sur la pérennisation d’une telle cohabitation. Il fallut du temps, pour faire aboutir un tel projet. C’est le 3 novembre 1993, qu’ouvrit le premier centre de Loisirs Pluriel, accueillant le mercredi des enfants porteurs de handicap et valides, au sein des mêmes activités. A la fin de la première année scolaire, le nombre d’enfants fréquentant le centre avait atteint la trentaine, démontrant concrètement que l’utopie pouvait devenir réalité et que le rêve s’était accompli. C’est cette première expérience qui va forger les principes qui seront appliqués, avec succès, dans les vingt ans qui vont suivre. Les conditions permettant de garantir la qualité de l'accueil et de l'encadrement, sont les mêmes, hier comme aujourd’hui.

Les conditions du succès

C’est d’abord la taille des groupes qui doit être limitée : un centre Loisirs Pluriel accueille, en moyenne, 30 à 35 enfants par jour d'ouverture, répartis en deux groupes d'âge (les Petits Bouts de 3 à 6 ans et les Lutins de 6 à 13 ans). Ce nombre est délibérément réduit, permettant ainsi aux enfants en difficulté dans un grand groupe de trouver leur place (comme les enfants hypersensibles aux bruits) et aux animateurs de connaître chaque enfant et ses parents. L’ambiance peut ainsi rester consensuelle, presque familiale. Les listes d’attente pour y entrer peuvent s’allonger, il n’est pas question, pour autant, d’accroître la taille du groupe : la quantité d’enfants accueillis ne doit, en aucun cas, nuire à la qualité de l’accueil. Le second principe auquel l’association tient tout particulièrement, c’est la parité systématique entre enfants porteurs de handicap et valides. Sans que l’on soit dans un système de quotas rigides, l’équilibre entre les deux catégories d’enfant est au cœur même de la raison d’être de la démarche. Bien entendu, toutes les activités font aussi l’objet d’une adaptation permettant leur accessibilité à toutes les formes de pathologies présentes, quelles qu’elles soient : agrandissement des espaces de jeu, modification des règles… Dernier principe : les conditions d’encadrement. Le nombre d’animateurs est quatre fois plus important que dans un centre de loisirs traditionnel : sur la base d'une moyenne d'un adulte pour deux enfants porteurs de handicap. Chaque animateur présent reçoit, en outre, une formation de base et continue qui lui permet de savoir comment réagir, face aux différentes formes de déficience.

Savoir répondre au handicap

C’est l’IFAPH (Institut de Formation à l’animation auprès des Personnes Handicapées) émanation de Loisirs Pluriel, qui assure ces formations. Le recrutement des animateurs étant permanent, les cycles de quatre modules proposés le sont trois fois par an (à la Toussaint, en février et en début juillet), permettant ainsi à chacun de suivre l’un après l’autre, à son rythme. Il est intéressant de donner le détail de ce qui est ainsi transmis, pour mieux se rendre compte de la préparation assurée. Le premier module est celui de l’initiation : c’est le moment où est présenté le projet de l’association et où l’on sensibilise les futurs encadrants tant aux attentes des familles, qu’aux différentes pathologies existantes. C’est aussi l’occasion de montrer comment se pratiquent les manipulations de corps et la manutention des fauteuils. Le second module est consacré à l’apprentissage des gestes d’urgence et à l’adaptation des activités, illustrées par des exemples adaptés aux problématiques de l’autisme et des troubles envahissant de la personnalité. Le troisième module est entièrement dédié à la communication non violente, approche incontournable face, notamment, aux enfants souffrant de troubles du comportement. Le quatrième et dernier module se centre sur l’analyse de pratiques : il s’adresse aux animateurs ayant déjà travaillé et souhaitant revenir sur des circonstances où ils se sont sentis en difficulté. Beaucoup d’animateurs ont déjà un parcours dans le médico-social ou se destinent aux métiers d’aide médico psychologique, moniteur éducateur ou éducateur spécialisé.

Loisirs pluriel : mode d’emploi

Ouvert en 1993, le premier centre a ensuite essaimé. Il eut été quand même dommage qu’une action aussi fertile reste limitée à la seule agglomération rennaise. L’association décide en 2002 de se transformer en Fédération, chaque centre étant géré par une association locale affiliée. On en est à quatorze aujourd’hui (voir encadré). Avant d’envisager toute nouvelle ouverture, une étude de faisabilité est menée par la Fédération : évaluation du nombre d'enfants handicapés sur le territoire concerné, analyse de la pratique existante, en matière d'accueil périscolaire les concernant, contacts avec les partenaires financiers potentiels. Si le projet s’avère viable, une association locale est créée, rassemblant des parents d'enfants handicapés, des parents d'enfants valides et des professionnels. Puis, vient la négociation avec les collectivités et partenaires : Ville ou Communauté de Communes, Conseil Général, CAF, Jeunesse et Sports, DCSC… Pour ouvrir un centre Loisirs pluriel, permettant l'accueil, chaque jour d'ouverture, 20 à 25 enfants dont 10 à 12 enfants handicapés, il est nécessaire de répondre à un certain nombre de besoins. Les espaces où vont se dérouler les activités, tout d’abord. En général, ce sont des locaux scolaires qui sont mis à disposition par la municipalité, le mercredi et lors des vacances. Vient ensuite le financement d’un poste de directeur de structure (à plein temps), l'encadrement complémentaire et sa formation. Cela représente 60.000 à 80.000 € de subventions annuelles, selon les lieux d'implantation.

Une idée qui fait son chemin

L’association Loisirs Pluriel le proclame, clairement : l’action qu’elle a engagée, depuis vingt ans, ne se veut ni une émanation de l’éducation spéciale, ni un lieu d’accueil privilégié pour enfants porteurs de handicap, mais bien un pont entre le monde des valides et celui de la déficience, utilisant le jeu et l’animation pour que l’un et l’autre se comprennent mieux et réussissent à mieux vivre ensemble, dans la vie comme dans les loisirs. Elle n’a donc pas l’intention de démultiplier à l’envie le nombre de ses centres. Le risque serait de devenir un alibi, pour éviter que chaque centre traditionnel fasse le nécessaire, de son côté. Car, l’ambition de l’association est bien là : faire école et inciter les accueils collectifs pour mineurs, à franchir le pas de recevoir des enfants différents, en les mélangeant avec ceux qui sont valides. Elle encourage et accompagne d’ailleurs cette inclusion, quand c’est possible, là où elle est présente. Même si la prise en charge de certaines déficiences est parfois complexe, il reste tout un public fragilisé qui peut trouver sa place, si la volonté de l’accueillir est au rendez-vous. L’appréhension initiale, les hésitations premières, les objections logiques doivent pouvoir céder le pas devant le bonheur de voir des enfants partager les mêmes jeux, les mêmes plaisirs, quelles que soient leurs difficultés respectives.

Contact : Tél : 02 99 09 02 36 - Courriel : federation@loisirs-pluriel.com - Site : http://www.loisirs-pluriel.com/
Une journée au centre
Dans ce type de centre, l’emploi du temps n’a rien de vraiment particulier. A partir de 8 heures, activités informelles. De 9h30 à 11h45, les animateurs s’adaptent aux possibilités d’arrivée échelonnée des enfants. A 11h45, préparation au repas pris sur le centre. Après le repas, temps calme. A partir de 13h15, accueil des enfants inscrits l'après- midi. A partir de 14h, redémarrage des activités. A 16h30, goûter. De 17h à 18h, accueil des parents et échange avec l’équipe.

Quinze années d’extension
C’est en Bretagne qu’ont commencé les Centres Loisirs pluriel : St Brieuc en 1997, Saint Malo et Vitré en 2000, Quimper en 2006 et Pays de Lorient en 2012. D’autres régions ont aussi rejoint la Fédération : Pays de Loire (deux centres à Nantes, en 2002 et 2011, Le Mans en 2004 et Cholet en 2012), Haute-Normandie (Pont-Audemer, en 2006), Nord-Pas-de-Calais (Tourcoing) et même en région parisienne (6ème et 19ème arrondissement de Paris, respectivement en 2004 et en 2005).

 

Jacques Trémintin - Journal De l’Animation ■ n°132 ■ octobre 2013