Mineurs errants - Bordeaux (33)

Comment répondre aux jeunes qui ne demandent rien ?

Proposer un accueil minimal répondant aux besoins primaires : on connaît de tels dispositifs pour certaines catégories d’adultes. A bordeaux, un centre de jour va ouvrir à destination des mineurs errants. Reportage.

Les intervenants en toxicomanie ont compris depuis quelques années déjà l’intérêt de proposer des espaces dits à « bas seuil d’exigence ». Ce sont des lieux qui offrent un minimum de prestations : soins médicaux, échange de seringue, accueil chaleureux et bienveillants autour d’un café etc… Aucune contrepartie n’est exigée, mise à part peut-être une attitude décente exempte de violence ou d’alcoolisation. Cette initiative a été inspirée par une politique de santé publique qui privilégie la réduction des risques : mieux vaut des toxicomanes qui prennent des produits, en respectant un minimum de règles d’hygiène que l’impuissance face aux effets sanitaires désastreux induits, telle l’épidémie de Sida qui ravagea un temps leurs rangs. La présence et l’écoute bienveillantes ainsi assurées sont destinées à une population qui, de toute façon, resterait hors d’atteinte des services sociaux. Le pari est de rendre leur quotidien moins destructeur, de permettre une première accroche, avec l’hypothèse que dans certains cas, cela pourra aller plus loin. La même méthode fut adoptée pour les sdf qui bénéficient en certains endroits de lieux d’accueil où ils peuvent entreposer leurs affaires, nettoyer leurs vêtements, se poser quelques heures. Il est difficile d’imaginer un tel dispositif pour des mineurs qui, par définition, sont placés sous la responsabilité de parents qui doivent donner leur autorisation pour toute action engagée auprès d’eux.

Du côté des mineurs

Pourtant, le Service du droit des jeunes situé à Lille avait obtenu, dans les années 1990, l’accord du parquet pour accueillir de jeunes fugueurs sans avoir à les signaler immédiatement, le temps d’essayer d’entamer un travail avec eux, possibilité légalisée depuis par la réforme de mars 2007. Le dispositif imaginé par Marie-Noëlle Maillard et son équipe est une avancée innovante en terme d’accueil de bas seuil pour les mineurs. Mais, pour comprendre les raisons de son émergence, il nous faut commencer par le début. Nous sommes dans le département de la Gironde. Comme dans bien d’autres régions du pays, les services de protection de l’enfance sont confrontés à l’afflux d’une population de mineurs étrangers isolés, demandeurs d’asile. Les différentes maisons d’enfant à caractère social les accueillent bien volontiers. Ce public est particulièrement apprécié. Même s’ils ont vécu des expériences traumatisantes, ce sont des adolescents propres, honnêtes, autonomes, fiables.  « Un rêve pour les éducateurs » explique Marie-Noëlle Maillard qui raconte une anecdote significative : la confrontation lors d’un repas entre un jeune métropolitain et un mineur isolé. Le premier en grande souffrance hystérisait ses symptômes, en se scarifiant devant tout le monde. Au bout d’un moment, le second lui a répliqué : « tu me fatigues avec tes petites coupure. Regarde celles qu’on m’a faites. Moi, si j’avais pu, j’aurais préféré les éviter ! » Le jeune avait été torturé, avant de fuir son pays d’origine !

Création de la MECS

Les mineurs isolés jouent un rôle souvent stabilisateur auprès des jeunes français placés, car ils sont preneurs de ce qu’on leur propose, qu’ils considèrent comme une chance extraordinaire après ce qu’ils ont subi. Constatant le flux important de jeunes arrivants, Pierre Etienne Gruas, Directeur du service Enfance-Famille du Conseil général conçoit un projet original : celui de créer une petite structure d’accueil qui se chargerait des primo arrivants. Il s’agirait, sur une période de deux mois, d’assurer une évaluation psychologique, scolaire, sanitaire et sociale afin de préparer une orientation. Il imagine d’intégrer ce dispositif à un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile qui avait déjà sollicité le Conseil général sur les enfants des familles hébergées. Il fait le pari que ces dernières peuvent servir d’étayage aux jeunes primo arrivants. Philippe d’Ellias, Directeur du foyer Quancard, valide le projet : il accueillera à compter de novembre 2002 dans ses locaux une Maison d’Enfants à Caractère Social agréée pour recevoir six filles et six garçons. Les deux premières années, tout se passe bien. L’équipe éducative accueille des jeunes en provenance pour l’essentiel d’Angola, du Congo ou d’Albanie qui investissent l’internat. Le travail engagé auprès d’eux permet leur intégration dans les réseaux des autres MECS de la région. C’est à compter de 2005 que la situation commencer à être plus complexe. Plusieurs facteurs intervenant concomitamment vont contribuer à brouiller les prises en charge.

Une action en tension

Il y a d’abord le vote en octobre 2003 de la loi Sarkozy qui impose, pour qu’un mineur étranger isolé puisse obtenir une naturalisation, un délai de prise en charge de trois ans par l’Aide sociale à l’enfance. Cette voie d’intégration jusqu’alors utilisée systématiquement par l’équipe devient caduque si le jeune accueilli est arrivé après l’âge de 15 ans. En outre, des situations de grave décompensation psychiatrique survenues dans les mois précédents font douter de la pertinence du systématisme en matière de changement de nationalité. Cette procédure, si elle règle administrativement les problèmes, en posent d’autres tout aussi angoissants, les jeunes n’étant pas forcément prêts à assumer ainsi le reniement de leurs origines. Et puis, survient un sentiment d’instrumentalisation : certains jeunes arrivaient à Bordeaux, acheminés par des  réseaux clandestins, l’adresse de la MECS en poche. Ils se rendaient directement au Conseil général ou dans les bureaux de la gendarmerie pour qu’on leur indique le chemin. Ainsi, de ces jeunes chinois dont seulement deux avaient été intégrés au centre en deux ans et demi. Six d’entre se présentent en l’espace de huit mois. Sans compter cette secte évangéliste, faisant venir de très belles adolescentes du Congo qui après l’étape de la MECS, pensait l’équipe, étaient contraintes à la prostitution. A la fin 2004, les arrivées se sont faites plus spontanément. Certains marocains travaillant comme ouvriers agricole dans la région bordelaise ramenaient du pays de très jeunes filles, au prétexte de les scolariser. Plus souvent exploitées comme bonnes non rémunérées, elles réussissaient à s’échapper et venaient trouver refuge à la MECS.

Un public diversifié

Une autre population est bientôt venue se greffer : de jeunes errants le plus souvent en provenance du maghreb. Des adolescents ou de jeunes adultes se gardant bien de donner leur âge, vagabondant du nord de l’Espagne au nord de l’Italie, en passant par sud de la France, ne tardèrent pas à venir frapper à la porte. La cohabitation ne fut pas toujours facile entre les jeunes en provenance d’Asie et ceux arrivant du bassin méditerranéen : discrétion, retenue dans les contacts physiques et l’expression des sentiments pour les uns, exubérance, proximité corporelle, manifestation bruyante pour les autres, la prégnance du groupe chez les premiers s’articulait difficilement avec la culture bien plus individualiste des seconds. La vie de l’internat a commencé à se durcir, certains mineurs posant de gros problèmes à l’équipe. A certains moments, c’est le groupe entier qui fuguait la nuit. Sans compter des jeunes errants qui pouvaient faire régner la terreur, contraignant des ados à dormir avec un couteau sous leur oreiller. L’équipe était confronté à un défi : il lui fallait diversifier ses modes d’accueil, la juxtaposition de ces différents publics n’étant plus possible. Elle choisit de garder l’internat pour celles et ceux qui avaient le plus besoin de cocooning, tout en offrant des logements en appartement pour les plus autonomes. L’hébergement d’urgence pouvait être assuré par des chambres d’hôtel qui, pour précaires qu’elles soient, pouvaient néanmoins répondre à des besoins ponctuels.

Vers un accueil de jour

Mais comment réagir face aux jeunes qui se contentaient de prendre une douche et de manger, sans rester dormir ? Ils exprimaient à leur façon une souffrance qui devait être prise en compte. Ils avaient besoin d’une aide, mais laquelle ? L’idée se fit très vite jour d’un accueil ouvert sur la journée. Il s’agissait de proposer un lieu commençant par assurer la prise en charge des besoins primaires : « j’ai prévu un budget important en « bobologie » : dermatoses problèmes de dents, maux de tête … La vie de la rue, la malnutrition, la consommation de shit ou de bière, ça abîme. » explique Marie-Noëlle Maillard. Cet espace devait d’abord comporter un salon assez grand avec un bar où l’on peut boire un jus d’orange ou un café. Il y aurait aussi une salle permettant l’alphabétisation, des intervenants venant assurer deux à trois séances par semaine de « français première langue ». Un bureau devant rendre possible un entretien discret en tête à tête. Ce lieu ne se fermerait pour autant pas sur lui-même, mais serait ouvert sur l’extérieur. Il proposerait des sorties en soirée pour assister à des spectacles. Mais il pourrait tout autant accompagner vers les institutions sanitaires ou des psychologues, si le jeune en ressent le besoin. On est bien là dans une interface entre l’intérieur et l’extérieur. Si le premier objectif est bien de tenter une première accroche éducative et de dépister certains troubles pour proposer une réponse, l’idée est dans un second temps d’évaluer la possibilité d’un hébergement.

L’intérieur et l’extérieur

« On doit pouvoir déterminer si le jeune relève d’un simple accueil de jour, d’une nuit d’hôtel d’un hébergement en appartement ou en internat. Mais on se laisse un peu de temps avant d’intégrer dans notre travail cette offre de logement » confirme Marie-Noëlle Maillard. Cela ne signifie pas pour autant que cet hébergement soit l’aboutissement forcément recherché. L’équipe est bien décidée à manier le paradoxe : « ce n’est pas toi qui décide quand tu pars. Là, tu dois t’en aller, car on ferme » ou encore « tel jour, tu n’es pas attendu donc tu ne viens pas » tel est le discours qui doit pouvoir être tenu. « Refuser un hébergement, c’est faire le pari que l’ado a une solution d’hébergement. Il retournera là d’où il vient : dans un squat ou chez des amis. C’est une prise de risque. Mais, c’est aussi l’idée de base de notre action. » Après de nombreux mois de réflexion et de recherche, ce lieu ouvrira ses portes à la rentrée de septembre 2008. Il sera hébergé au rez-de-chaussée d’un CHRS déjà existant en plein centre de Bordeaux: le foyer Jonas qui se situe impasse Saint Jean, entre la gare et le quartier de la Victoire. L’équipe de la MECS, renforcée par un poste supplémentaire d’éducateur spécialisé, s’y relaiera toute la semaine (sauf les jeudi et dimanche). Cette action menée à Bordeaux va expérimenter un accueil de bas seuil pour des mineurs errants. Réponse souple et adaptée à un public échappant jusque là largement aux efforts de la protection de l’enfance. « On expérimente sur un an. Si ça ne fonctionne pas, on s’arrêtera là » conclue Marie-Noëlle Maillard. On ne peut que lui souhaiter à elle et à son équipe bon vent.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°890 ■ 26/06/2008

 

Contact : Centre d’orientation sociale, MECS du foyer Cancard / tel : 05 56 87 23 62 / Email : cos.quancard@wanadoo.fr