Se régénérer par l’écriture

Comment cette écriture tant redoutée du professionnel face à la première page blanche du rapport qu’il doit rédiger peut-elle devenir libératrice ? Mode d’emploi.

Qui prend soin des professionnels qui prennent soin des usagers ? Les travailleurs sociaux ne sont pas des machines à fournir de l’aide. La prise en compte de tous les malheurs du monde, cela use. Il suffit pour s’en convaincre de constater le rythme de rotation de certains postes de travail. Les titulaires se succèdent les uns après les autres, sans que l’employeur ne s’inquiète, outre mesure, des raisons de cette érosion rapide. Ce n’est heureusement pas le cas de tous. Certains ont compris que des dispositifs de prévention habilement mis à disposition permettent aux intervenants de tenir. Parmi ces outils possibles, il y a les supervisions, les groupes de paroles, les analyses de pratique… Rares pourtant sont les institutions qui ont retenu la culture comme support de médiation. C’est le Clicoss d’Indre et Loire qui avait innové en la matière, en proposant un atelier d’écriture aux professionnels qui souhaitaient parler de leur quotidien. Le Clicoss 93 a repris cette initiative à son compte en septembre 2002.
 

Constitution de l’atelier

Quand il lança aux professionnels du département la proposition de se retrouver dans un atelier d’écriture, sous l’impulsion de deux animatrices spécialisées, l’expérience séduit tout de suite, au point de se reproduire jusqu’à aujourd’hui. Année après année, ils se sont donc retrouvés, par petit groupe d’une quinzaine de membres, sur dix séances d’une demi-journée. Le choix a été délibérément fait de se retrouver le matin. Si la programmation etait faite l’après-midi, le risque serait trop important que la charge de travail du début de la journée ne contraigne l’un(e) ou l’autre, à renoncer à la rencontre de l’après-midi. Les participants viennent de tous les horizons, chacun travaillant dans des institutions, avec des publics, des missions et des modes d’intervention les plus divers : polyvalence de secteur, CAF, CPAM, Education Nationale, centre d’hébergement d’urgence, secteur sanitaire, association, bénévoles, secrétariat, internats éducatifs… Ce qu’ils viennent y chercher ? Ni une supervision, par plus une thérapie, plutôt une redynamisation. Rares sont les participants qui sont sortis indemnes des questionnements induits. Le travail engagé sur une année donne l’occasion de se (re) positionner par rapport à son métier et de s’interroger sur la proximité ou au contraire la distance que l’on peut adopter. Ils ont accepté le pari de travailleur leur rapport à l’écriture à titre professionnel, tout autant que personnel et de s’engager dans une action collective destinée à essayer de communiquer sur leur vécu. Démarche guère facile qui nécessite implication et authenticité, dans un partage avec d’autres participants sur ce qu’il y a de plus intime en soi.
 

Le travail d’écriture

Les travailleurs socio-éducatifs ou médico-sociaux sont confrontés, dans leur travail quotidien, à l’éphémère et au provisoire, aux chemins de traverse et à l’indicible. Ils doivent faire preuve d’un sens permanent de l’improvisation et de l’adaptation. Ce savoir-faire et ce savoir être, que chacun déploie, ont beaucoup de mal à se transmettre : ils s’éprouvent plus qu’ils ne s’expliquent. Toute la difficulté de la démarche d’écriture vient de cet embarras à mettre en mots ce que l’on vit. Produire un écrit sur l’action engagée est toujours une épreuve. Si cela peut passer par une remise en cause personnelle et professionnelle, source potentielle de souffrance, cela peut tout autant aboutir à une libération. L’écriture peut parfois s’identifier à un accouchement. Les difficultés qui l’accompagnent n’empêchent pas qu’adviennent ensuite une sérénité et une richesse intérieure. Comment peut-on réussir à exprimer l’inexprimable de son métier, cette réalité absorbée dans le feu du quotidien ?
D’abord en prenant le temps de se poser, ce temps après lequel nous sommes tous à courir dans nos métiers. Ensuite, en utilisant l’écriture pour se mettre à distance de ce que l’on perçoit d’habitude, en prise directe, sans grand recul possible. Enfin, en acceptant que la mise en mots vienne nous confronter à ce que l’on a au fond de soi. Dès lors, les idées se mettent à jaillir, les subjectivités à se dévoiler, les expériences vécues à s’exprimer… et le stylo à gratter le papier.
 

Se rendre visible

Il eût été dommage de garder tout ce travail pour soi. La première année fut l’occasion d’un numéro spécial de la revue départementale du Clicoss « Plume » qui ouvrit ses colonnes aux textes rédigés au sein du groupe. Une pièce de théâtre en surgira  « Répliques d’assistance sociale » (RAS) qui donne à voir ce métier à la fois si prégnant et si peu visible.

L’année suivante sera l’occasion d’une publication dans la revue « le sociographe » (janvier 2006). Puis ce sera un calendrier illustré de la production de l’atelier d’écriture à l’orée de l’année 2007. En décembre 2008 était gravé un CD : « si le social m’était conté ». Les 21 petits textes qui le composent ont été écrits par des professionnels médico-sociaux, mais ce sont d’autres travailleurs sociaux qui leur ont prêté leur voix : le CD a en effet été enregistré par les membres du collectif ESORS (Et Si On Ré enchantait le Social) : un collectif se proposant d’articuler la démarche artistique avec les problématiques à l’œuvre dans la société contemporaine. Une production supplémentaire à l’actif du Clicoss 93, qui permet selon les mots de Christine Garcette, sa responsable « de percevoir à travers les mots, l’humour, l’émotion, la poésie, la tendresse parfois, ce qu’il en est aujourd’hui du travail social qui a tant de mal à se dire et qui aurait pourtant tant de choses à communiquer »
 
Contact : ESORS collectifesors@free.fr – 06.63.51.30.08
 
 
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°955 ■ 07/01/2010