Innovation audacieuse : la médiation parent enfant

Le secteur socio-éducatif et médico-social regorge d’expérimentations qui préfigurent le paysage de demain. Illustration avec la médiation parents-enfant lancée par Enfance et famille, une association de Saint Nazaire.

Maxime a 16 ans. Il est en conflit avec un père peut-être un peu trop exigeant, pour ne pas dire rigide. Sa mère est la seule à pouvoir encore dialoguer avec lui. Elle est le témoin impuissant et malheureux de cette rupture de communication qui semble irréversible entre son mari et son fils. Tout est occasion d’affrontement, comme s’ils ne se supportaient plus. En désespoir de cause, elle se décide à faire appel au service « médiation parent enfant ». Ce sont d’abord les parents qui sont reçus. Ils s’y rendent, en mettant beaucoup d’espoir dans ce qu’ils estiment être la dernière chance. Puis, quelques jours après, c’est au tour de Maxime. Le grand gaillard déclare tout net qu’il n’a aucun problème. Il n’est pas question pour lui d’accepter la moindre médiation. Il n’a rien à dire à ses parents. Ils vont encore lui prendre la tête. En fin de séance, on lui propose néanmoins une rencontre le vendredi suivant avec eux. Maxime, contre toute attente, se retire en disant : « à vendredi ». La rencontre qui suit est étonnante. Elle va durer deux heures et demie. Beaucoup de choses vont se dire. Tout commence par un génogramme. C’est très concret et cela renvoie chacun à ses racines et à son appartenance commune. Maxime ne se fait pas prier pour fournir les dates exactes de certaines naissances sur lesquelles ses parents hésitent. Les positions de chacun se remanient. Le père s’autorise à parler de l’enfance de son fils et lâche tout le bien qu’il pense de lui. De rebelle, Maxime a muté en membre à part entière d’un groupe familial. Après avoir laissé les échanges se dérouler, intervient le moment des arrangements. Nous sommes fin juin. Les uns et les autres appréhendent de nouveaux conflits, au cours de l’été. Les parents s’engagent à laisser plus de liberté à leur fils. L’adolescent souhaite trouver du travail. Une nouvelle rencontre a lieu, début septembre. Elle permet de faire le point sur ce qui s’est passé. Les inévitables dérapages ont pu être repris sans que cela ne fasse un drame. Monsieur évoque, avec une fierté non dissimulée, le travail de son fils au mois de juillet et son entrée en apprentissage. Un déclic a eu lieu. La famille ne souhaitera pas prendre un nouveau rendez-vous. Fin de la médiation : mission accomplie !

Genèse d’une innovation

Quand Claude Aufort décide de lancer un projet qui lui tient à cœur, c’est son privilège de Directeur général de l’association « Enfance et famille » (1)  de pouvoir l’initier. Son idée est claire : créer une nouvelle activité autour de la prévention, en direction d’une population pas encore concernée par la protection de l’enfance. L’un de ses services fait des constats récurrents. Au sein de « l’espace famille » fonctionnent un lieu de rencontre parent enfant, un secteur d’enquête sociale pour le compte du juge des affaires familiales et une équipe de médiation familiale. Les uns et les autres arrivent aux même observations : la difficulté d’entrer en relation avec des adolescents en situation de grande souffrance, surtout quand ils sont en conflit avec le parent chez qui ils ne résident pas. Le comité de pilotage qui réfléchit pendant une dizaine de mois va très vite définir le public susceptible d’être intéressé par l’action projetée (les adolescents et leurs parents) et le créneau d’intervention (les relations conflictuelles). Il s’agit ensuite d’identifier les besoins. Une enquête est engagée auprès des partenaires : Education nationale, pédiatrie, secteur de l’animation, Conseil général, associations de protection de l’enfance … L’idée enthousiasme. Reste à définir les principes de fonctionnement. Ils vont être au nombre de trois : le volontariat, l’impartialité et l’utilisation des techniques de médiation. Premier axe : la libre adhésion. Le travail ne peut commencer à la seule condition que chacun des participants s’engage volontairement. Il n’est pas question de contraindre quiconque. Sur les quinze dossiers qui vont faire l’objet d’une procédure dans les dix huit mois qui vont suivre, sept seront arrêtés par refus de collaboration de l’enfant concerné. Second axe : l’accompagnement impartial. « Nous sommes dans une triple partialité, puisque nous privilégions le père, la mère et l’enfant. Autant dire qu’en nous alliant avec les trois nous ne nous allions finalement avec aucun » explique Elisabeth Pelé, médiatrice familiale et intervenante en médiation parent-enfant. C’est dans ce sens que les deux détenteurs de l’autorité parentale doivent impérativement donner leur accord (notamment quand ils sont séparés). Troisième axe : extension à la médiation parent/enfant des techniques de médiation familiale.

Originalité ou confusion ?

Bien des lecteurs vont s’interroger sur les particularités d’une telle démarche. Qu’est-ce qui la distingue du conseil proposé par un pédiatre, de la thérapie familiale assurée par certains psychologues ou encore du mandat exercé en AEMO ? Reprenons, point par point. Proposer une médiation entre des parents et leur enfant, ce n’est pas dire aux uns et aux autres ce qui serait mieux pour eux ou comment ils devraient agir pour que leurs relations s’améliorent. C’est créer les conditions pour que s’expriment les potentialités des uns et des autres, c’est poser un cadre qui va permettre de libérer l’énergie que chacun a au fond de lui-même, c’est favoriser l’émergence de ce que chacun possède, mais qu’il ne sait pas forcément qu’il possède. C’est bien pour cela qu’on n’est jamais dans le conseil. Est-on plutôt alors dans la thérapie familiale ? Pas plus. Et ce, au moins, pour trois raisons. Parce que cette action n’inclut pas toute la fratrie, mais seulement les deux parents et l’enfant avec qui ils sont en conflit. Parce que mis à part le génogramme, qui est plus là comme une entrée en matière, on ne va pas remonter dans l’histoire familiale qui peut pourtant jouer un rôle dans la reproduction de certains  comportements. Mais on n’est pas là pour le traiter. Cela se fera éventuellement ailleurs et en un autre lieu : on est dans l’ici et le maintenant. Enfin, parce qu’à la différence du thérapeute qui joue un rôle moteur, en médiation, ce sont les personnes concernées qui tiennent les solutions entre leurs mains, jamais les médiateurs. Il ne s’agit pas non plus d’une aide éducative. Si l’intervention d’un professionnel dans une famille se fait sur mandat (qu’il soit contractuel ou judiciaire), ici rien de tel. Ne serait-ce que par la nécessaire adhésion de chacun : un travailleur social intervenant dans une famille est toujours, à un moment ou à un autre, directif. Plus la situation familiale va être dégradée, plus il va être amené à jouer un rôle de suppléance. En médiation, il ne doit jamais y avoir de prise de pouvoir, sous quelque forme que ce soit : la seule base de travail commun s’appuie sur le consensus.

Limites de l’intervention

La médiation parent/enfant telle qu’elle est pratiquée par l’association Enfance et famille se heurte à toute une série de limites. La première d’entre elles est élémentaire : c’est l’adhésion de chaque participant. Il suffit de l’opposition de l’un des participants pour que tout s’arrête. C’est souvent le jeune qui bloque. Il suffit pourtant qu’il fasse le premier pas pour qu’il soit ensuite tenté de continuer, ne serait-ce que par curiosité ou rassuré par le comportement respectueux et équitable de ses interlocuteurs. Mais, c’est parfois le rendez-vous liminaire qu’il n’honore pas. La deuxième difficulté possible, c’est quand survient une pathologie au sein de la famille qui s’avère invalidante dans le travail relationnel qui doit s’engager. Il est ainsi arrivé à l’équipe de prendre du temps avec des parents, pour affiner l’analyse des éléments qui justifiaient une réorientation vers la pédopsychiatrie. Troisième limite, les situations d’hostilité violente entre les deux parents en rupture, agressivité qui place l’adolescent en position de conflit de loyauté. Le travail engagé peut très vite le mettre en porte à faux avec l’un de ses parents. On obtient alors le résultat inverse de celui recherché : le mettre en danger. Les conditions à réunir semblent relever de la quadrature du cercle : des personnes volontaires, ouvertes à l’échange, exemptes de pathologie. On est bien loin des publics auxquels la plupart des professionnels ont à faire. C’est justement là l’originalité de cette démarche : elle se situe en amont des problématiques qui relèvent de la protection de l’enfance. Ce sont ces situations qui ne sont pas à ce point dégradées qu’elles nécessitent l’intervention des services judiciaires ou du moins d’une intervention longue et massive. On n’est pas là dans le curatif, mais dans le préventif. Mais pas dans n’importe quelle prévention : pas la prévention primaire qui tente d’éviter l’apparition des problèmes, ni dans la prévention tertiaire qui essaie d’écarter le risque de la rechute, mais dans une prévention secondaire qui se propose d’identifier l’apparition des problèmes et de les traiter avant qu’ils ne s’amplifient.

Vers une pérennisation ?

L’action décrite ici est tout à fait innovante. D’autres esquisses de ce type d’intervention ont émergé dans d’autres régions (APME Versailles, AADEF Paris, CERME Toulouse … ). Les modalités ne sont pas identiques. Peu importe : on est là dans l’expérimental. Enfance et famille a lancé cette mesure, en septembre 2007, pour une durée de 18 mois. En accord avec son conseil d’administration, l’association s’est engagée sur ses fond propres, mettant à disposition trois professionnel (l’intervention se fait systématiquement à deux), quatre heure et demi par semaine. Elle propose même une analyse de pratique toutes les six semaines, instance particulièrement appréciée et investie par les trois intervenantes. Reste à trouver les financements. Le Conseil général sollicité a répondu négativement, renvoyant vers les fonds dont disposent les Réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents. Sur quinze dossiers reçus au service, cinq ont été menés à bien, sept se sont arrêtés faute, nous l’avons vu, d’adhésion de la part de l’enfant et trois ont été orientés. Faibles résultats ? « Pas forcément. Il a fallu du temps pour que les couples se familiarisent avec la médiation familiale. Il faudra du temps, là aussi, pour que cette pratique se diffuse » réplique Françoise Demathieu, travailleur social qui intervient à l’espace-rencontre et intervenante en médiation parent enfant. Pour autant, c’est une difficulté inattendue qui pourrait bien freiner cette initiative : l’incrédulité de certains partenaires qui ne distinguent pas toujours les contours exacts de ce nouveau service ou qui le vivent comme menaçant (comme ce thérapeute décrétant que son action était incompatible avec la médiation parent enfant). A l’heure où les financements sont accordés, en fonction de bilans circonstanciés démontrant sans équivoque possible l’utilité d’une action, la prévention se heurte à une difficulté atavique : comment prouver ce qu’on a évité, ce résultat virtuel étant par définition objectivement indémontrable. Quatre séances auront permis à Maxime de retrouver un équilibre dans la relation avec ses parents et de reprendre un chemin de vie bien plus épanoui. Que serait-il advenu sans cette intervention ? Une aggravation de la situation impliquant l’intervention de services éducatifs, de la justice des mineurs, un placement coûteux … ? C’est probable. Mais personne n’est à même de l’affirmer avec certitude. A vouloir trop économiser dans les tentatives pour prévenir, on risque de payer très cher pour guérir.

(1)   Espace famille est un service de l’association Enfance & famille : 6 rue de Stalingrad 44600 Saint Nazaire Tel. : 0 240 19 11 14

Courriel : espacefamille@enfancefamille.fr

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°946 ■ 2210/2009