Bateaux de pêche pour jeunes délinquants

Répondre à la délinquance des jeunes par l’innovation

Une expérimentation audacieuse vient d’être lancée par la Protection judiciaire de la jeunesse. Encouragée par les uns et vilipendée par les autres, le sujet fait polémique. Reportage.
 
Finalement, la conférence sur le commerce des espèces sauvages menacées a rejeté, le jeudi 18 mars, l’interdiction de  la pêche du thon rouge. Ce n’est sans doute que partie remise, tant l’inquiétude monte quant à l’épuisement des stocks mondiaux de différentes espèces maritimes. De lourdes menaces pèsent sur des poissons comme le cabillaud, la dorade rose ou l’espadon. Les autorités européennes fixent chaque année des « taux admissibles de capture » décliné en quotas nationaux entre les États-membres. Ces nouvelles restrictions ont dors et déjà relancé le plan de mise à la casse des bateaux de pêche, dans notre pays. En 2008, 180 bâtiments avaient déjà été démantelés. Des subventions pouvant aller de 150 000 à 600 000 € furent alors accordées, selon la taille et l’âge du bateau.
Le nombre de mineurs délinquants n’a cessé de croître depuis 40 ans. Les adolescents mis en cause sont ainsi passés de 1970 à nos jours de 80.000 à 200.000. Pour endiguer une telle marée, la PJJ a élaboré une multiplicité de solutions. En septembre 1997, Jacques Toubon, alors ministre de la justice décidait de la création d’Unités éducative à encadrement renforcé. Elisabeth Guiguou, son successeur de gauche à ce même poste, ne remit pas en cause son idée, rebaptisant simplement ces unités en Centres éducatifs renforcés. Puis, ce fut au tour de 50 Centres de placement immédiat d’être créés à partir de janvier 1999. En 2003, Dominique Perben constituait les Centres éducatifs fermés (ils étaient au nombre de 38, en 2009, pour 396 places) et lançait la construction des Établissements pénaux pour mineurs (la première des six structures prévues sera inaugurée en mars 2007).
 

Vers une convergence ?

Quel rapport peut-on établir entre ces deux informations en apparence sans relations apparentes ? Il faut croire qu’à la PJJ, on dispose d’esprits créatifs et inventifs. Y est né le projet ambitieux de créer des Centres éducatifs embarqués (CEE) ! Parmi les bateaux de pêche devant être désarmés, beaucoup sont trop petits ou inadaptés à l’accueil de mineurs, et notamment de ceux placés sous main de justice. Pourtant, les plus récents et les plus imposants, du type des grands thoniers senneurs de plus de 24 mètres, peuvent tout à fait être aménagés en conséquence. Dix d’entre eux devaient être détruits d’ici à la fin décembre 2009. Subventionnés pour une part à leur construction, ils vont bénéficier d’aides financières pour être démantelés. L’occasion était bonne de les réutiliser intelligemment. Le ministère de la Justice a pris une option sur six d’entre eux. Une convention a été signée avec le ministère de l’agriculture et de la pêche, ainsi qu’avec la Communauté européenne. Des aménagements sont en cours devant permettre notamment que les cabines destinées aux mineurs puissent être fermées de l’extérieur et soient équipées de systèmes de surveillance. L’équipage adulte entourant six jeunes embarqués sera composé d’un personnel de l’administration pénitentiaire (qui assurera la sécurité à bord), de deux éducateurs (chargés de la vie quotidienne) et de deux marins pêcheurs (encadrant la pêche). Car il s’agit bien d’intégrer les jeunes délinquants au monde du travail : « nous avons bien conscience de la dureté de la vie à bord. Mais ce sont justement les vertus du travail et de l’effort que nous voulons réhabiliter auprès d’adolescents qui ont, pour la plupart, totalement perdu leurs repères » commente Robert Dupalot, chargé de mission auprès de l’administration centrale de la PJJ pour ce projet.
 

Des réactions mitigées

Comme on pouvait s’y attendre, les réactions ont fusé. Et ce n’est rien de dire qu’elles sont particulièrement hostiles. De la part des syndicats tout d’abord, qui parlent « d’un retour au temps des galères », ou encore de « régression de 150 ans en arrière : ce n’est plus la terre qui réhabilite le colon, mais la mer, à présent ». D’autres encore rappellent que la présence sur un bateau est peu compatible avec le statut de la fonction publique. Mais, les oppositions ne proviennent pas que des personnels de la PJJ. Du côté des pêcheurs professionnels, c’est pour le moins le scepticisme : « notre métier est dangereux : un jeune qui tombe à l’eau n’a pas toujours la garantie d’être sauvé » explique l’un d’entre eux. « Et puis, les quotas réduisent nos possibilité de pêche. On n’a pas besoin d’avoir en plus la concurrence de ces bateaux » continue-t-il. Robert Dupalot balaie tous ces arguments : « les syndicats se sont opposés successivement à l’ouverture des CER, des CPI, des CEF, puis des EPM. Après quelques années, leur hostilité s’est érodée quand ils ont vu que ces dispositifs fonctionnaient bien. Il en sera de même pour les CEE. » Pour ce qui est des menaces de concurrence pour les artisans marins pêcheurs, il explique qu’un accord est en négociation pour que le résultat de la pêche soit remis aux Restaurants du cœur. Ainsi affirme-t-il, « une dimension d’altruisme et de don de soi s’ajoutera à ce projet, ce qui constitue un atout supplémentaire pour la réinsertion future de ces jeunes ». Pour autant, et afin de calmer les polémiques, dans un premier temps une seule unité prendra la mer, avec uniquement des volontaires. Basée à Belle-Île dans le quartier de Haute Boulogne où la PJJ a gardé des bâtiments après la fermeture de l’IPES en 1977, cette nouvelle structure serait inaugurée en toute discrétion, pour éviter les manifestations syndicales. Nous avons appris qu’elle aura lieu ce jeudi 1er avril. 
 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°967 ■ 01/04/2010

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