CEF La Rouvellière - 49

 Sortir de la délinquance par l’enfermement : fable ou réalité ?

Beaucoup décriés, mais peu étudiés, les Centres éducatifs fermés méritent d’être mieux connus. Que font-ils au quotidien avec ces jeunes muti-réitérants qui ont mis en échec tous les services qui les ont pris en charge ? Peut-on éduquer dans l’enfermement ? Le reportage sur le CEF de La Rouvellière, à Allonnes, près du Mans permet de répondre à bien des questions ?

Mustapha Labzaê entre dans le réfectoire. Il salue chacun des adolescents présents qui lui répond avec déférence : « bonjour, monsieur le Directeur ». Un échange plein d’humour s’ensuit, chacun s’autorisant gentiment quelques vannes. Deux jeunes sont absorbés par la confection de scoubidous. Celui qui peine, face à ses huit brins, est spontanément conseillé par l’un de ses pairs plus expérimenté. Rencontre banale, comme on pourrait en trouver dans n’importe quel foyer entre un Directeur et des jeunes placés ? Pas tout à fait. Une observation attentive permet d’identifier comment Mustapha Labzaê s’est adressé en particulier à Ludovic, qui manifestement joue un rôle de leader dans le groupe. L’autorité « officielle » établit un contact avec l’autorité « officieuse », destiné à établir un pacte implicite d’une relation pacifiée. Depuis le début de la semaine, les repas ont été bien plus mouvementés et conflictuels. Ce midi, une atmosphère détendue règne : les adolescents rient beaucoup, complices et joyeux, comme une bande de copains de longue date. « Ne vous fiez pas aux apparences, confiera le Directeur en aparté. A tout moment, cela peut exploser. Il nous faut faire preuve d’une vigilance de tous les instants ». Pour l’heure, même si les échanges sont marqués par la cordialité, Mustapha Labzaê en contrôle les modalités, ne laissant rien passer et reprenant systématiquement les tentatives des jeunes de se laisser aller à une certaine familiarité ou provocation. Le souci est permanent d’éviter la faille pouvant favoriser les dérapages. Pourtant, à les rencontrer dans ce lieu improbable, tous donnent le sentiment d’une quête d’affectif et de bienveillance. Et manifestement, malgré les grillages de l’enceinte, c’est ce qu’on leur prodigue, ici. Bienvenu au Centre éducatif fermé La Rouvellière à Allonnes, dans la Sarthe.

Les premiers ratés

Quand l’association Montjoie ouvre ce CEF, en novembre 2005, elle a pris soin de regrouper et de préparer les salariés sur le site, un mois avant de recevoir le premier jeune. Mais, l’équipe tant de direction que des professionnels n’a que peu d’expérience du public attendu. Très vite, la situation dérape. Les portes commandées électriquement sont systématiquement forcées par les jeunes. Il n’y a plus que les adultes, pour empêcher, leur libre circulation, poussant inévitablement à l’affrontement physique. Progressivement, les mineurs prennent le pouvoir. Un climat de violence s’installe. Les dégradations sont innombrables : « à mon arrivée, c’était Sarajevo » se rappelle Mustapha Labzaê. L’équipe est complètement dépassée. Le centre est obligé de fermer en avril 2006, en renvoyant tous les jeunes accueillis. C’est que ce ne sont pas, à proprement parlé, des anges. Ils sont multi-réitérants, comptant à leur actif au minimum trois affaires de délinquance, mais cumulant le plus souvent une dizaine. Ils ont commis du plus banal -comme le trafic de cannabis ou le vol de portable- au plus grave -comme le meurtre, le viol ou le braquage à main armée. Conformément au cahier des charges du ministère de la justice, quatre situations amènent un placement en centre éducatif fermé : un contrôle judiciaire, une liberté conditionnelle, un sursis avec mise à l’épreuve et un placement extérieur dans le cadre d’une incarcération. La technique éducative traditionnelle s’étant avérée inefficace face à ce public très spécial ayant mis en échec toutes les équipes ayant essayé de les prendre en charge jusque là, il s’agissait de repartir sur d’autres bases, en renouvelant la façon de faire.

Renaissance

Le CEF d’Allonnes ne suspendra son activité qu’un mois. Fermé en avril 2006, il ré ouvre en mai. Son personnel a quasiment complètement changé, mis à part un surveillant de nuit, un éducateur et la psychologue. L’humanisme qui a présidé à la création de la structure et qui est enraciné au cœur des valeurs de l’association Montjoie, n’est pas abandonné. Réaffirmé, il va néanmoins s’articuler avec deux approches complémentaires : celle du soin porté par Mustapha Labzaê, le nouveau directeur qui arrive d’ITEP et celle imprégnée d’une méthodologie comportementaliste expérimenté avec succès dans un autre CEF par Ben Insa Daroueche, chef de service éducatif. L’un et l’autre vont construire avec la nouvelle équipe éducative un protocole précis destiné à accueillir, à contenir et à faire cheminer chaque jeune délinquant placé. Cela commence par son admission. Il n’est pas intégré d’emblée dans la structure, mais est pris en charge par un ou deux éducateurs, 24 ou 48 heures, en « dégagement ». Cela se déroule dans un hôtel ou dans un gîte. Ce « tête à tête » très individualisé permet d’expliquer, hors de la pression du groupe, le fonctionnement du centre. Lui sont alors remis et explicités le livret d’accueil, la charte des droits et libertés, l’organisation de la scolarité et le règlement de fonctionnement. Lui est aussi présenté le « référentiel niveau » qui fixe cinq échelons distincts que le jeune va gravir en fonction de son ancienneté et de son attitude. A chaque passage, il gagne une liberté nouvelle et un avantage supplémentaire (voir encadré). Quatre exigences sont posées pour permettre cette progression. Elles sont fondées sur le principe du respect : de soi et d’autrui ; du matériel et des consignes données ; de l’espace et du temps ; de la participation et de l’implication. Après cette préparation vient l’admission proprement dite qui commence par la rencontre avec Mustapha Labzaê.

La journée type

« Ta présence ici ne relève ni de ton choix ni du mien, mais de la décision d’un juge, du fait d’un acte délictueux. Je m’engage à tout mettre en œuvre pour que ton séjour de six mois réussisse. C’est à toi de te saisir de ce qu’on te proposera » lui explique-t-il. Le jeune va ensuite s’installer dans une chambre individuelle équipée de toilettes et d’une douche. L’activité de jour est organisée par séance de trois heures. Elle comporte tout d’abord une remise à niveau scolaire. Même s’il y a déjà eu un accompagnement (réussi) vers un Bac Pro, pour l’essentiel il s’agit de préparer le CFG et pour certains d’acquérir la lecture et l’écriture. En parallèle, cinq ateliers sont programmés. Le premier propose de la mécanique : démontage et remontage de trois « quarts », véhicule hybride combinant un kart et un quad. Chaque jeune aura la possibilité de le conduire, non sur le célèbre circuit des 24 heures du Mans, mais sur un terrain proche du centre. Second atelier mis à disposition, la menuiserie permettant la fabrication d’objets en bois. Puis, vient la traditionnelle salle de sport avec ses appareils de musculation et … un punching-ball. Une éducatrice spécialisée ayant fréquenté cinq années les « beaux arts » au Mans, anime un atelier d’art plastique : elle propose des activités de peinture, de sculpture, de confection de mosaïque et même … de couture ! Un atelier photographique à l’ancienne -avec chambre noire, pellicule, papier photosensible, révélateur et fixateur- lui permet en outre de mener à bien une activité « land’art » utilisant, pour créer une composition, le cadre et les matériaux de la nature. L’occasion d’organiser des expositions de photos sur ces œuvres éphémères soumises, par définition, à l’érosion naturelle. Enfin, dernier atelier proposé : « recup’art ». Didier Deret, artiste sarthois, occupe chaque semaine un local qui lui est dédié. Il y modèle avec les jeunes, la ferraille qu’il a récupérée, la met en forme, la taille, l’assemble par soudure, la moule, la fond, utilisant le plâtre ou la résine pour finaliser leurs réalisations.

Un CEF ouvert sur l’extérieur

La fragilité des comportements qui peuvent s’emballer très vite et la contagion possible entre jeunes, commandent à l’adulte de n’être jamais avec plus de deux, voire trois adolescents en même temps, chaque binôme étant mixé régulièrement. Mustapha Labzaê le dit avec humour : « un jeune, c’est la siesta, deux jeunes, c’est la fiesta, trois jeunes c’est la révolution ». Toutes les semaines, chaque jeune reçoit un emploi du temps individualisé allant du lundi matin au dimanche soir. Le Directeur en accroche aussi un exemplaire dans son bureau. Ainsi chacun sait ce qu’il a à faire, à tout moment. Même si la souplesse est de mise, pas d’improvisation donc, mais un déroulement des activités qui est réfléchi, préparé et programmé. C’est en fonction de l’évolution de chaque jeune que ses activités sont convenues, avec très rapidement des sorties sur l’extérieur. Même si elles sont conditionnées par le comportement et le degré de progression de l’adolescent, il est étonnant de constater pour un établissement qui se dit fermé, combien elles sont nombreuses et diversifiées. Citons les sorties au cinéma, des visites culturelles à Paris, des séances de piscine, des camps à la neige. Il s’agit là non pas d’offrir des loisirs, mais de tester la capacité de socialisation : politesse, respect des consignes, attitudes dans les lieux publics etc … D’autres activités permettent la revalorisation de l’estime de soi, tels ces cours de code de la route suivis avec une auto-école, que les jeunes réussissent tous ou encore la participation à des expositions soit de photographie de « land’art », soit de « récup’art ». Il n’est pas anodin d’entendre un Préfet inaugurant une expo dans sa préfecture s’adresser aux jeunes en leur disant « je vous félicite pour ces œuvres exposées, même si je ne vous félicite pas pour toutes vos œuvres ».

La fermeture, malgré tout

Mais il est d’autres actions encore plus étonnantes. Celle consistant à accompagner des adultes souffrant d’un handicap mental de la Maison d’accueil spécialisée Handi Village à la patinoire. Celle menée dans une maison de retraite, dans le cadre du Téléthon. Celle visant à intervenir régulièrement aux « Restos du cœur », lors des distributions des colis de repas. Celle permettant d’intégrer une activité « peinture sur soie » dans une MJC au Mans, au sein d’un groupe de personnes âgées particulièrement accueillantes. Celle d’un stage théâtral d’une semaine regroupant des jeunes du CEF et d’un IME, avec des adultes d’un CHRS. Celle d’une rencontre organisée avec les résidents du CHRS Nelson Mandela qui retrouvent dans ces jeunes leur propre enfance et le leur disent. Cette confrontation à des personnes vulnérables pouvant constituer des victimes potentielles permet à ces jeunes multirécidivistes de se représenter autrui, pas seulement d’un point de vue intellectuel, mais aussi à travers des rencontres physiques. Ce rapprochement leur donne la possibilité d’éprouver ce que vivent ces autres êtres humains. Pour autant, un CEF reste un espace clos. Même si la clôture de 2,50 mètres qui ceint l’établissement est symbolique, pouvant facilement être franchie, certaines mesures marquent bien la contrainte qui est imposée. La nuit, les jeunes sont enfermés dans leur chambre jusqu’à minuit une heure du matin, jusqu’à ce que le calme règne. Les cigarettes sont contingentées : une après chaque repas et une avant de se coucher. Le téléphone portable est interdit. Les échanges téléphoniques avec les proches se passent depuis le bureau des éducateurs. La réception de colis est interdite. Les courriers sont ouverts en présence d’un éducateur, même si aucun n’est lu par le personnel. Les visites des familles sont limitées. Impossibles dans le premier mois, elles sont progressivement aménagées, pouvant aller jusqu’au séjour, puis à l’hébergement, selon le niveau du référentiel atteint.

Gestion de crise

Si le dispositif décrit jusqu’ici permet de prévenir les crises, il n’a bien entendu pas la prétention de les empêcher toutes. Des adolescents habitués à vivre sans limites, en faisant ce qu’ils veulent quand ils veulent, ont forcément beaucoup de mal à supporter une telle frustration. Il n’est pas rare qu’ils « pètent les plombs ». La contention est alors utilisée, basée sur le principe : « évitez que l’adulte fasse mal, évitez que le jeune se fasse mal et fasse mal ». Une procédure précise a été élaborée qui privilégie la protection et le dialogue. Ce qui est prescrit, c’est l’apaisement et la médiation. Ce qui est proscrit, c’est l’escalade et l’affrontement physique. Pour cela, il est demandé de passer le relais, de respecter les distances, de favoriser la dédramatisation. Mais, cela n’est pas toujours suffisant. Un protocole a été passé avec le secteur psychiatrique, pour permettre son intervention. C’est, d’abord, l’Équipe mobile psychiatrie précarité qui vient rencontrer les équipes tous les deux mois, ce qui facilite son intervention en urgence, en cas de crise. C’est, ensuite, l’hôpital psychiatrique qui se montre très réactif, acceptant l’hospitalisation, convaincu que lorsqu’on lui fait appel, c’est que tout a été essayé, avant. C’est, enfin, le SIMP (« signalement d’infraction en milieu protégé ») qui est faxé au procureur et peut provoquer une garde à vue. Ultime possibilité, organiser un nouveau « dégagement », deux éducateurs accompagnant le jeune en dehors du centre sur un ou deux jours, afin de l’aider à s’apaiser. Au terme de cette exploration du mode de fonctionnement du CEF La Rouvellière, le lecteur pourra se faire son propre avis sur l’idée reçue voulant qu’on ne puisse faire de l’éducatif dans l’enfermement. Sur les cent quatre vingt seize adolescents passés par ce centre en huit ans, certains ont fugué sans qu’on les retrouve, d’autres ont été réincarcérés. Mais la plupart ont fini leur temps et sont retournés dans leur famille ou dans un foyer classique, réussissant à s’en sortir. Le patient travail des cette équipe pluridisciplinaire pour tenter de changer leur destinée mérite bien plus de considération et de reconnaissance que des suspicions et des désapprobations. Si le contrôleur général des lieux de privation de liberté a formulé, à juste raison, de nombreuses critiques sur certains des quarante cinq établissements en fonctionnement, il ne faudrait pas que quelques arbres cachent la forêt.

Contact : cef72@montjoie.asso.fr / Tel : 02 43 80 62 58

 

Le référentiel niveaux
Niveau 1 : aucun avantage. Pas de visite de la famille, mais contact possible par téléphone. Pas de sortie extérieure. Mise à disposition d’un réveil
Niveau 2 : sortie et scolarité extérieures possibles sortie, mais accompagnée. Pécule de cinq euros par jour
Niveau 3 : possibilité de stage et d’inscription à une activité sportive ou culturelle à l’extérieur. Fourniture d’un radio réveil et d’une revue mensuelle. Possibilité d’une journée en famille, une semaine sur deux.
Niveau 4 : Possibilité d’un week-end sur deux en famille. Pécule de sept euros par jour. Fourniture d’un poste CD
Niveau 5 : Possibilité d’accéder à sa chambre en dehors des activités. Pécule à sept euros cinquante par jour. Droit de visite et d’hébergement chaque week-end.


Le projet personnalisé
Pour l’équipe du CEF, le caractère contraint de l’accueil n’est pas antinomique avec les outils de la loi de 2002. Peu de temps après son admission, le jeune accompagné pas ses éducateurs du CEF, va rencontrer son éducateur de la PJJ. Cet échange va permettre d’élaborer une fiche de repères de sa problématique tant sociale que familiale, éducative, scolaire ou professionnelle, judiciaire et médico-psychologique. Puis, les parents sont invités à une réunion où un échange a lieu autour d’un projet personnalisé reprenant les mêmes items que la fiche de repères, mais se terminant par le projet d’avenir. L’autorité parentale et le jeune signe avec le Directeur non pour passer contrat mais pour signifier qu’ils ont pris connaissance du document.


 Témoignage d’Héloïse Lecourt, éducatrice spécialisée, pédagogue animatrice d’un atelier artistique
« Mon travail consiste à proposer aux adolescents du CEF une activité créative ou culturelle. En matière artistique, ce peut être de la peinture sur verre ou sur porcelaine, la fabrication de collier de perles ou de bijoux, de sac, et même de la broderie en point de croix … Les destinataires sont souvent les mères, les frères et sœurs, les copines. Cette activité est vraiment très appréciée par les adolescents. Alors qu’ils ont un passé scolaire douloureux marqué par l’échec, là, ils se rendent compte qu’ils sont capables de faire de très belles choses et reprennent ainsi confiance en eux. Nous participons chaque année au concours organisé par la protection judiciaire de la jeunesse et la cité de la bande dessinée « Bulles en fureur » qui propose de désigner le vainqueur d’une sélection de bandes dessinées. Mais, là où les jeunes ont été les plus fiers, c’est d’avoir eux-mêmes emporté le premier prix du concours 2009/2010 de « Dessine moi un droit » organisé par la Commission européenne. Il s’agissait d’élaborer un poster présentant l’un des droits de l’enfant. Le groupe a aussi participé à des expositions des photos de « land art » que je réalise avec eux, mais aussi des sculptures en métal qu’ils produisent avec Didier Deret, un artiste du Mans. Beaucoup de ces productions sont d’ailleurs éparpillées dans le centre, l’une d’elles « le Cerf du C.E.F» haute de plus de six mètres de haut étant même exposée à l’Arche de la Nature, lieu de promenade de la plupart des Manceaux et qui est un projet soutenu par la Mairie de la ville du Mans. Au niveau culturel, nous utilisons beaucoup le septième art. Mais, nous n’allons pas voir des films grand public. Notre choix se porte plutôt sur le genre « art et essai », notre objectif étant de faire réfléchir les jeunes. Les films que nous choisissons sont autant d’occasions d’échanger sur les sujets de société. Ainsi, le film sur Yves Saint Laurent leur a montré que l’on pouvait faire de la couture et être un homme. Nous avons aménagé une salle de projection que nous utilisons une fois pas mois pour des séances que nous appelons « spect’acteurs » qui sont suivies de débats. Dernièrement, nous avons ainsi présenté Wajda, ce film saoudien sur une petite fille rebelle rêvant d'une bicyclette dans un royaume où cette pratique est interdite aux femmes. Nous participons tous les ans au concours organisé par la protection judiciaire de la jeunesse « Des cinés, la vie ! » : pendant plusieurs mois, des jeunes accompagnés de leurs éducateurs, voient une sélection de films et en débattent. Chaque jeune vote ensuite pour le film qu’il a préféré. Ces votes donnent lieu à l’attribution du prix au réalisateur du long métrage gagnant au cours d’une journée à Cinémathèque française. Parmi nos autres activités culturelles, nous allons visiter des musées, comme celui des beaux arts de Tessé au Mans, mais aussi le Louvre ou le musée Grévin à Paris. Nous sommes aussi aller voir avec eux « Le Lac des cygnes » de Tchaïkovski. Il est reconnu que l’utilisation de l’art pose l’esprit et présente une valeur thérapeutique, aidant à sublimer les souffrances vécues. De fait, les jeunes du CEF sont très intéressés par cet atelier. Bien sûr il faut souvent renouveler les activités proposées. Ils ne tiendraient pas trois heures concentrés sur le même sujet. Encore que, le dernier film que nous soyons allés voir « 12 Years a Slave » durait deux heures et quart. Malgré mes craintes, ils sont restés jusqu’au bout.



Témoignage d’Amandine VOVARD, infirmière au CEF
Mon travail est inscrit dans le médical. Je participe avec le médecin au bilan de santé effectué en début de séjour. Ensuite, je réponds aux plaintes et aux demandes. Je prépare les jeunes quand ils doivent faire une prise de sang ou aller chez le dentiste. Ils en ont parfois peur. On le fait quand ils se sentent prêts. Un jour, un ado a refusé de se déshabiller pour que le médecin l’ausculte. Le médecin a accepté de passer son stéthoscope sous son tee shirt. Dans ce CEF, je suis très peu confrontée à de grosses blessures. En trois ans de présence, je n’ai jamais eu besoin d’aller aux urgences en raison d’altercation physique entre des jeunes, par exemple, preuve qu’il n’y a pas beaucoup de bagarres entre eux. Les traumatismes que j’aie à soigner, ce sont le plus souvent les poings. Parfois, ils s’auto agressent, en frappant contre les murs. J’interviens aussi dans le domaine de la prévention. Je parle beaucoup avec les jeunes des problématiques de tabac, d’alcool, de cannabis. J’aborde avec eux les conduites à risque en matière de sexualité. Je fais intervenir des associations comme « contr’addiction » ou le planning familial. Ceux qui fumaient un paquet par jour et n’ont plus droit qu’à cinq cigarettes ont beaucoup de mal à supporter cette privation. Avec l’accord et le soutien du médecin, je leur propose des substitutifs : nicorettes, patchs, gomme à mâcher … Je valorise ensuite le changement qu’ils constatent eux-mêmes : reprise de goût, meilleure respiration, moins d’essoufflement quand ils pratiquent du sport etc… Mais, je propose aussi d’autres moyens pour répondre aux angoisses : relaxation, sophrologie, travail sur l’instant présent, soins de peau, automassage. Mais là où j’ai beaucoup de succès, c’est avec les séances de massage basé sur l’identification des émotions et de l’énergie positive. Ils demandent presque tous à passer. J’en prends un ou deux, quelques fois en fin d’après-midi. Ceux qui sont trop pressés, je les fais attendre un peu. Ceux qui n’y pensent plus, je leur rappelle cette possibilité. Chacun est libre d’y venir ou non. Même si j’applique une pommade, je pose un pansement ou j’enroule une bande pour rassurer, mon rôle n’est pas finalement tant dans le soin que le prendre soin. Ma fonction implique beaucoup d’écoute. Beaucoup demandent à me voir, avant tout pour parler. Ils évoquent l’éloignement de leur famille, s’apercevant combien ils l’aiment. Au début, ils disent facilement leur haine d’être au CEF. Et puis, à la fin de leur séjour ils sont bien plus positifs, se montrant parfois tristes de devoir s’en aller. Une fois partis, il arrive qu’ils téléphonent pour dire « merci pour ce que vous avez fait pour moi ».

 

Lire l'interview : Labzae Mustapha - CEF La Rouvellière

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1144 ■ 26/06/2014